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Sheena Easton et Prince, les nouvelles révélations

EASTON Pochette

La nouvelle réédition Deluxe de “A Private Heaven” de Sheena Easton nous en apprend de belles sur la génèse de Sugar Walls, le tube de Sheena Easton écrit par Prince.

Dans le Studio 2 de Sunset Sound, à Los Angeles, le producteur et claviériste Greg Mathieson (la place nous manque pour détailler le nombre de disques sur lesquels il apparaît !), l’ingénieur du son David Leonard (qui venait de travailler, entre autres, avec Chaka Khan et Toto) et les musiciens (Abraham Laboriel, Carlos Vega, Lee Ritenour, Steve Lukather, Lenny Castro, Richard Page, Steve George…) sont sur le point de terminer le quatrième album de Sheena Easton, “A Private Heaven”.
Juste à côté, dans le Studio 1, Prince est en train de peaufiner les chansons de son prochain album, “Purple Rain”. « Il y avait une petite cour à l’extérieur, avec un panier de basket. J’ai fait quelques un contre un avec le garde du corps de Prince, raconte Greg Mathieson dans les liner notes du livret, rédigées par Adam Mattera. Les portes du studio étaient souvent ouvertes, on pouvait entendre la musique sur laquelle on était chacun en train de travailler… De plus, mon ingénieur du son était alors marié à l’ingénieure du son de Prince, Peggy McCreary ! »
Par l’entremise de Peggy McCreary, Prince faisait passer des messages à Leonard et Mathieson, de fil en aiguille, finit par leur remettre la bande d’une chanson quasiment terminée, sur laquelle Sheena Easton n’avait plus qu’à poser sa voix – Prince avait pris le soin d’enregistrer un scratch vocal, une piste chantée servant de guide. « Il ne m’a pas parlé une seule fois, précise Mathieson. Il disait toujours à Peggy “Dis ceci, dis cela au big guy, dis-lui qu’il peut faire ce qu’il veut avec la chanson… »

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Cette chanson, c’était donc Sugar Walls, que contrairement aux rumeurs – démenties par Mathieson –, Prince n’avait pas écrite à l’origine pour Jill Jones mais bien pour Sheena Easton, avec laquelle il enregistrera dans les années suivantes deux duos (U Got The Look dans “Sign ‘O’ The Times” et The Arms Of Orion dans la BO de “Batman”). Il lui offrira aussi d’autres chansons : 101, Cool Love (signées cette fois Joey Coco !), Eternity (que reprendra Chaka Khan).
« Au départ, il voulait que je prenne tous les crédits, poursuit Mathieson. Pas question ! Je craignais trop les embrouilles. Il m’a donc fait promettre que je ne dirai strictement à personne qu’il était l’auteur de Sugar Walls, pas même au label. J’était ok pour dire que je l’avais coproduite avec Alexander Nevermind [l’un des nombreux pseudos de Prince, NDR]. Tout s’est décidé à la dernière minute, c’était la toute dernière chanson enregistrée pour le disque. Je crois qu’on a ajouté quelques synthés, deux ou trois choses ça et là, des chœurs, puis on lui a renvoyé la bande avec des rough mixes pour qu’il donne son accord. » 

Extrait du videoclip de Sugar Walls.

Extrait du videoclip de Sugar Walls.

Sugar Walls fut le second 45-tours extrait de “A Private Heaven”. Greg Mathieson : « Je pense que Prince était déçu que Sugar Walls n’ait pas été choisi comme le premier single… Et quand Strut commença à descendre dans les charts, ç’a fuité : tout le monde savait que c’était lui qui avait écrit le single suivant. La maison de disques m’appela pour me demander si c’était vrai… » Sugar Walls attira vite l’attention. Mais pas seulement celle des fans de la chanteuse écossaise…
Car ses lyrics très explicits qu’on jurerait extrait des Monologues du vagin d’Eve Ensler firent tiquer les prudes – sinon chastes – oreilles du PMRC, le Parents Music Resource Centre de Tipper Gore. Sugar Walls fut ainsi ajoutée illico à l’infâmante liste des Filthy Fifteen (des “Quinze Crasseuses”) entre Trashed de Black Sabbath, In My House des Mary Jane Girls, Possessed de Venom et She Bop de Cyndi Lauper et Darling Nikki de Prince (encore lui !). Le videoclip de Sugar Walls – pourtant bien sage – fut même banni de MTV à cause des paroles !
Réponse de Sheena Easton, en anglais dans le texte, dans Entertainment Tonight en 1985 : « We’re not embarassed to be sexy when we want to be. Men have never had to apologize for being sexy. This is what art’s all about, it’s being free. And if you don’t like it, then tune in to something else. Go watch the news and watch violence if you don’t like sexuality. » Prince le taiseux ne se serait pas mieux défendu.
Aux complétistes, on signalera enfin que cette nouvelle version Deluxe de “A Private Heaven” contient deux CD et trois quatre versions de Sugar Walls : l’originale et ses trois remixes, Dance Mix, Red Mix et l’inédit Long ‘Roman’ Mix (avec un monologue de Sheena Easton assez… sexy !). Il y a de très bonnes chansons dans ce disque à la prod’ délicieusement eighties (Back In The City, Strut, You Make Me Nervous, Swear…), mais trente-huit ans après, Sugar Walls reste au-dessus du lot. Merci Prince.

CD Sheena Easton : “A Private Heaven” (2 CD Cherry Pop, déjà dans les bacs, en vente chez nos amis du rayon soul-funk de Gibert Joseph, Paris VIe).

Le videoclip de Sugar Walls