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Rétrospective

Prince, visite guidée du Vault de “1999”, Best Of

Prince 1999 Pochette

Depuis le 6 novembre, muziq.fr vous a fait découvrir un à un les inédits plus et le CD live de la réédition “Super Deluxe” du chef-d’œuvre de Prince, “1999”, dans les bacs depuis hier. Retour sur les meilleurs moment de cette saga quotidienne sans précédent.

EPISODE #1 : FEEL U UP

Dans le très attendu coffret “Super Deluxe” du légendaire double album de Prince, “1999” (paru, faut-il le rappeler, fin 1982), les CD 3 et 4 contiendront un nombre assez conséquent d’inédits extraits du Vault, de ceux qui font tant fantasmer les fans . Ces fans qu’on sait globalement frustrés par l’absence d’inédits et de travail éditorial dans les rééditions publiées parallèlement par Sony Music, même s’il faut louer les efforts de présentation – on pense notamment au coffret CD “Ultimate Rave” et au coffret vinyle d’”Emancipation”. Partant du principe que ces précieux inédits devraient être religieusement écoutés dans leur ordre d’apparition sur chaque CD, commençons donc par le commencement. CD 3, plage 1, touche play : Feel U Up.

Feel U Up est un cas intéressant, une sorte de vrai-faux inédit, puisque nous nous étions tous passés en boucle dès le mois d’août 1989 la version figurant sur la face B de Partyman, l’un des titres-phares de la BO de “Batman”. Les hardcore fanatics (dont il sera souvent question dans notre série quotidienne…) s’étant quant à deux gargarisés de la version longue, alias Feel U Up Long Stroke, tellement plus excitante que la version courte. Cette version 89, enregistrée en… 1986 au studio Sunset Sound de Los Angeles, devait figurer à l’origine dans le légendaire projet Camille, l’alter ego “féminin” de Prince. D’où cette voix speeded up, accélérée.

Disons le tout net : quand quelque temps plus tard [ou était-ce avant ? Trente ans déjà… La mémoire commence de nous jouer des tours…] on découvrit la version 81 sur l’une de ces cassettes qui s’échangeaient alors sous le manteau, notre purple blood ne fit qu’un tour. Et l’on se fit d’emblée une réflexion qui n’allait pas tarder à devenir récurrente : « Mais pourquoi il n’a pas plutôt sorti celle-là ?! » Car même si la version 86/89 de Feel U Up n’est pas sans charme (entre vocaux transgenres et groove robotique), la version 81 la surpasse allègrement. Ça tombe bien : c’est celle qui figure en ouverture du CD qui nous intéresse aujourd’hui.

D’abord, le groove, bien plus organique ainsi, voire même extrêmement sensuel (« dans organique, y’a orgiaque » me souffle-t-on dans l’oreillette), quoique programmé avec ces doigts de fée que Prince devait badigeonner avec quelque onguent magique acheté au black market. Prince savait faire respirer les machines, leur donner vie. Elles étaient le socle futuriste de son jeu de basse slappé. Quant à ces lignes de synthé obsédantes qui serpentent plus de six minutes durant entre nos neurones – vas-y Prince, love-toi autour de nos synapses, on adore ça ! –, elles ont de quoi marquer à jamais les esprits les plus endurcis.
On aime aussi passionnément la façon dont Prince double de manière assez osée le chant au début du morceau : une voix falsetto affirmée, une autre fiévreuse, implorante et un rien anxieuse, pour un mélange mi-ange mi-démon dont il avait le secret.

Bref, ça commence très fort, et nous voilà ravis que Feel U Up accède enfin au rang de chanson officielle du T.G.L.C.P., le Très Grand Livre des Chansons de Prince. Pour info, cette version diffère  de la version pirate qui circule depuis des lustres, et surtout vocalement. Voilà pourquoi le plaisir risque d’être grand, voire total, pour toutes et pour tous : les hardcore fanatics ET ceux qui n’avaient jamais entendu Feel U Up sous quelque forme que ce soit.

EPISODE #2 : IRRESISTIBLE BITCH

Au même titre que Feel U Up (lire ici), Irresistible Bitch, le second inédit du CD 3 de l’édition “Super Deluxe” de « 1999” ne l’est également “qu’à moitié”. D’abord parce que c’est une des chansons de Prince les plus piratées qui soient – allez, allez, ne faites pas l’innocent –, avec une qualité de son qui n’a cessé de s’améliorer au fil du temps. Sans jamais atteindre, cependant, celle qu’on pourra déguster le 29 novembre. [Flashback : Paris, jeudi 24 octobre, Hard-Rock Café, listening party de “1999 Super Deluxe”. Quand les enceintes high tech se mirent à cracher Irresistible Bitch devant un parterre de professionnel.le.s de la profession tou.te.s médusé.e.s les un.e.s que les autres, d’aucun.e.s eurent carrément l’impression de l’écouter pour la première fois, tant la qualité sonore révèle des détails jusque-là étouffés ou aplatis par les multiples piratages, NDR.] 

Irresistible Bitch est aussi, comme chacun sait, l’une des faces B légendaires de Prince, dans laquelle il s’était autorisé à employer un mot, et quel mot, bien avant que les gangsta rappers ne le fassent claquer à tours de rimes – non, pas irresistible, l’autre, bitch ! [Shut up Snoop !, NDR.] C’est donc sur la face B du 45-tours de Let’s Pretend We’re Married qu’on découvrit cette funk song sulfureuse, astucieusement samplée, deux ans plus tard, par LL Cool J dans son premier album, “Radio” (écoutez Dangerous). Mais ce qu’on ne savait pas à l’époque – le Net, pour info, n’existait pas encore en 1983–, c’est qu’ Irresistible Bitch avait d’abord été gravée par Prince en 1981. Et c’est donc cette version, bien différente de celle du single de Let’s Pretend We’re Married, qui sort enfin légalement.

Toujours enchaînée à Feel U Up via ce lick de synthé hypnoticobsédancalifragifunky, elle est rigoureusement indentique à celle que l’on a discrètement apprise par cœur depuis des lustres. Mais la goûter avec le bon, avec le VRAI son ne pourra décemment laisser personne de marbre. Qu’est-ce qu’on préfère ? Ces bulles de synthés brûlantes ? Ces cocottes de guitares en chaleur ? Ces beats turgescents ? Ou, comble du porno chic et choc, cette voix effrontément éraillée au bord de la rupture, comme si Al Green avait avalé Mick Jagger ? Tout est bon chez ce petit cochon de Prince ! Et rarement leçon d’electro-funk aura été si goulument X Rated. Et tout ça, désormais, avec le confort moderne.

EPISODE #3 : MONEY DON’T GROW ON TREES

Premier “vrai” inédit du troisième CD de la réédition “Super Deluxe” de “1999”, Money Don’t Grow On Trees (« L’argent pousse pas sur les arbres ») renvoie au sentiment qu’on éprouvait parfois quand naguère on découvrait sur un nouvel opus princier une pop song lumineuse, et non pas une chanson funk salace, ou une ballade soul moite et sexy. Les incartades de Prince dans ce registre plus “blanc” avaient le don de nous surprendre, voire de nous déstabiliser. Parce que ce n’était forcément pas qu’on l’attendait. (Confidence pour confidence, comme disait le poète : le 31 mars 1987, la première fois que j’ai entendu I Could Never Take The Place Of Your Man, cette merveille, j’ai pensé qu’elle n’allait pas me retenir longtemps. Grave erreur, of course…) Mais nous avons fini par comprendre et admettre que notre homme groovait aussi bien en mode atomic dog qu’il ne twistait léger guitare en bandoulière, histoire de creuser un sillon plus mélodique.

Tout ça pour vous dire que Money Don’t Grow On Trees, passée l’orgie funky du redoutable enchaînement Feel U Up / Irresistible Bitch, a presque le don de refroidir nos ardeurs de hardeurs – n’oubliez pas qu’ici c’est le club des hardcore fanatics assumés depuis trente-cinq ans. Rassurez-vous, dès que Prince chante « I’m a hard workin’ boy / ’Cause my Mama didn’t raise no fools / I’m a hard workin’ boy / It’s the only way to stay alive » (non, non, c’est pas du Springsteen, c’est bien du Prince), on sait qu’on tient là une délicieuse friandise pop au double effet Kiss Cool, les paroles “conscientes” apportant l’indispensable petit supplément d’âme – pardon, supplément Dame, puisque Money Don’t Grow On Trees glorifie la figure maternelle.
On aime aussi ce petit riff au son clair, presque rieur, et le côté souple et swingant de la section rythmique : quel bassiste ce Prince, et quel batteur aussi ! Curieusement, on se demande où, dans la version originale de “1999”, Prince aurait pu caser cette chanson. Hmm… Nulle part ! Sauf si Warner Bros. Records avait, dans un moment d’égarement, green lighté un projet fou de triple album. (Qui n’a jamais existé bien sûr, et surtout pas dans la tête de Prince, sans doute déjà comblé qu’“on” le laisse s’épancher sur un double vinyle).

Pas nécessairement d’un aussi bel orient que celui de I Could Never Take The Place Of Your Man ou de When You Were Mine, ces deux grands standards pop & princiers, Money Don’t Grow On Trees a cependant toutes les chances d’être une des chansons du CD 3 que vous écouterez souvent, ne serait que pour reposer vos tympans mis à feu et à sens par Feel U Up, Irresistible Bitch et, et… (Chuuuut !) Allez, tous ensemble : « Money don’t, money don’t grow on treeees… » Aaah, vous voyez, vous connaissez déjà le refrain par cœur !
Tout bien réfléchi, Money Don’t Grow On Trees est peut-être un tube en puissance – oh !, pas dans ce monde, non, hélas, mais un tube du Monde Parallèle, celui des real music lovers.

EPISODE #4 : VAGINA

Quand fut dévoilé il y a quelques semaines le track listing officiel de l’édition “Super Deluxe” de 1999, la présence de Vagina en ravis plus d’un.e. [Pour en savoir plus sur la genèse de cette chanson et ses possibles destinataires, on se rendra sur le site de référence princevault.com.] Vagina, ce devait être l’élégant nom d’artiste dont Prince voulait affubler Denise Matthews, qui préféra opter pour Vanity – on la comprend.

 « Half boy, half girl, the best of both worlds ! » : voilà un refrain qu’on n’est pas près d’oublier ! Pure/impure poésie urbaine princienne – not (vraiment) a man, not (vraiment) a woman, something [we ] will never understand en somme. Pourtant c’est clair : Vagina était mi-fille, mi-garçon, elle vivait en ville, et Prince ne savait jamais si elle mentait. Elle lui a appris à danser. Ils faisaient “ça” la télé allumée. Elle aurait pu être roi, parce qu’elle était forte, mais si compréhensive…

Quelqu’un.e finira bien par écrire un jour un essai, voire un livre – Vernon Reid peut-être, le leader de Living Colour, auteur de Bi dans l’album “Stain” en 1993 ? Nous lui avons posé la question – sur cette série de chansons mémorables questionnant les marges, les non-dits, les interdits et les possibles de la sexualité fin XXe et qui va de Bambi (« All your lovers, they look just like you / But they can only do the things that you do ») à If I Was Your Girlfriend (« Of course I’d undress in front of you / And when I’m naked, what shall I do ? ») en passant par Controversy (« Am I straight, or gay ? ») et I Would Die 4 U (voir plus haut). I
Il faudra désormais ajouter à cette liste de chefs-d’œuvre Vagina, qui n’aura bien sûr jamais l’impact qu’elle aurait (peut-être) pu avoir si Prince avait décidé de la publier (sous son nom ou pas) en son temps, mais qui permet malgré tout, même quarante après, ou presque, de prendre la mesure du bouillonnement créatif d’un esprit libre toujours prêt à faire bouger les lignes. Vagina n’est certes pas un lost masterpiece, mais c’est une vraie perle rare.

Musicalement, on touche à la sécheresse minimaliste typique de l’époque “Dirty Mind”. Deux guitares (une au son clair à gauche, une plus mordante à droite), une basse volontiers slappée, quelques handclaps sur le refrain et… c’est tout ! Pas de claviers, et plus troublant encore, pas de batterie ! Bel exploit que de pop-rocker avec une instrumentation aussi réduite… Vagina aurait pu être interprétée un soir de 1981 au CBGB de New York par Television ou James Chance, et c’est bien là que réside le génie de Prince, ce transformiste transgenre capable de nous mettre en transe à tout instant.
« You never told me how you got your name / Guess you wanted a little fame » : et il avait de l’humour en plus le bougre !
PS : Les paroles de Vagina sont imprimées dans The Beautiful Ones, Mémoires inachevés (éd. Robert Laffont).

EPISODE #6 : REARRANGE

Lady Cab Driver, vous l’aimez :
1) Un peu
2) Beaucoup
3) Passionnément
4) À la folie ?
O.k., on raye les propositions 1, 2 et 3 et on ne garde que la 4. Et sinon, Sexy Dancer, même question à choix multiple. Propositions 1, 2 et 3 à la poubelle aussi ? O.k. ! Et la coda électrisante de Private Joy alors ? À la folie aussi ? Bravo ! Vous êtres maintenant un Official Member (à vie) du D.S.M.C. Hein, quoi, le « Dance Sex Music Club » ?! Mais non, le Doc Sillon Masterclass Club !
Parmi les nombreuses activités que propose ce vénérable club privé fondé à Minneapolis en 1983, vous pourrez notamment profiter des fameuses séances d’écoute animées par des journalistes-experts de la musique princière. Quel dommage, d’ailleurs, que vous ne nous eussiez pas rejoint plus tôt, car pas plus tard qu’hier, Doc Sillon lui-même animait dans la Purple Room A – la plus grande pièce à musique du club – une masterclass très spéciale savamment intitulée “Réarrange ton esprit avant de héler une chauffeure de taxi new-yorkaise”.
Profitant de son accès privilégié au Vault princier, notre bon vieux Doc nous a fait découvrir en exclusivité mondiale Rearrange,  l’un des vingt-quatre titres extraits de la très attendue réédition “Super Deluxe” de “1999”. Ce sont donc ses propres impressions que je vous livre aujourd’hui et que j’ai pris soin de noter sur le petit carnet à spirale dont je ne me sépare jamais quand j’assiste à ses passionnantes masterclasses – le Doc n’aime pas qu’on l’enregistre, et nous le fait poliment savoir dès qu’il prend la parole.

Ainsi, dès qu’il appuya sur la touche Play de la platine CD et que des imposantes enceintes (« des Elipson » me souffla mon voisin de droite) s’échappèrent les premières mesures de Rearrange, je griffonai presque instantanément « Lady Cab Driver ! » dans mon carnet, passé le léger trouble provoqué par une boîte à rythme programmée à un tempo entre chien et loup et, comment dire, un rien pataude – mais rassurez-vous, ce léger sentiment de frustration s’efface bien vite, dissipé par tout ce qui se passe après

Et il se passe tellement de choses étonnantes dans Rearrange que j’avoue avoir du mal à me souvenir précisément de tout. « Comme vous pouvez le constater, nous dit le Doc, Rearrange contient beaucoup d’éléments que Prince a recyclés dans Lady Cab Driver. » C’est vrai, oui, et point n’est besoin d’être un musicologue averti pour s’en apercevoir ! (D’ailleurs, le Doc s’amuse souvent, en clin d’œil à la géniale chanson de Prince Musicology, à nous dire que nous assistons à une séance de “Musicography” animée par ses soins.)
Car le pont de Rearrange ressemble furieusement à celui de Lady Cab Driver, un pont comme suspendu au groove par les cordes d’acier de la guitare de Prince, qui répète inlassablement cete mémorable cocotte funky qui rappelle aussi un peu celle de Sexy Dancer.

Mais avant d’arriver sur le pont, la route qui y mène trois minutes durant révèle d’étonnantes surprises. Hmm, j’ai du mal à me relire parfois – pas facile d’écrire dans le noir ! « Parties vocales astucieusement multitrackées… Culture funk / attitude new wave… Leçon de chants. » Si j’ai mis un s à chant, c’est parce que le Doc a insisté sur la façon dont Prince savait mélanger plusieurs parties chantées, et qui si l’on pouvait les écouter une par une en partant de la bande multipiste, elles révéleraient l’incroyable étendue de son, de ses registres. (Je vous rapporte ses paroles de mémoire là, pas eu le temps de noter, il parle trop vite parfois.)

Et puis il y aussi cette guitare en feu qui déboule après une minute et des poussières (« Guitre disto rck solo 1mn… » : bon sang, à force de taper sur des claviers, la graphie se barre en sucette…). Alors là, c’est l’extase, suivie, donc, par le pont de folie évoqué plus haut. A 3’50” – c’est le chiffre que j’ai noté –, Prince pianote quelques notes, et c’est là que j’ai pensé à Sexy Dancer. Ce qui ne l’empêche pas de continuer à mettre le feu sur sa six-cordes, jusqu’à s’autoriser, ô surprise, Ô DIVINE SURPRISE (quand je griffone en lettres capitales, c’est qu’il se passe un truc important) un stop chorus incendiaire qu’on aura tôt fait de qualifier d’“hendrixien”. Certes, mais moi il m’évoque aussi, voire surtout Free Form Guitar du regretté Terry Kath, feu le génial guitariste de Chicago.

Voilà, ces six minutes et des poussières (d’étoile) se concluent donc dans un joli petit chaos électrique qui rappellera à d’aucun.e.s le petit délire final de Private Joy dans l’album “Controversy”, et qui donne aussi l’impression d’entrer comme par effraction dans la psyché de Prince, « toujours prêt à (nous faire) jouir sans entraves dès qu’il laisse courir ses doigts graciles sur son manche » (oui, c’est à peu près ça que j’ai écrit son mon carnet, pardonnez-moi).
Notre Prince qui est aux cieux, et qui n’aurait sans doute pas consigné sa ferraillante improvisation finale sur disque, même s’il avait décidé de publier Rearrange fin 1982. Mais au final Rearrange fut remisé dans le Vault, Prince préférant en recycler le meilleur pour élaborer ce chef-d’œuvre des chefs-d’œuvre, j’ai nommé Lady Cab Driver, ce movie 4 your ears, ce film pour vos oreilles sexy-coquin que nous avons tant écouté depuis, depuis… on ne compte plus ! Pas plus qu’on ne comptera le nombre de fois que l’on va écouter et réécouter Rearrange dans les semaines qui viennent.

EPISODE #12 : HOW COME U DON’T CALL ME ANYMORE ?

C’est sur le maxi 45-tours de 1999 que l’on découvrit naguère la version originale de How Come U Don’t Call Me Anymore ?, cultissime face b que Stephanie Mills réenregistra dès 1983 pour la placer en ouverture de son huitième album, “Merciless”. Excellente reprise au demeurant, avec chœurs gospellisants, claviers, basse, batterie et section de cuivres.

Seize ans plus tard, Alicia Keys enregistrait sa propre version, rebaptiséé How Come U Don’t Call Me, arrangée par ses soins et propulsée par un beat métronomique qui lui donnait des atours plus “urbains”. How Come U Don’t Call Me fut l’un des singles extraits de son premier album, “Songs in A minor”, mais il marqua moins les esprits que Fallin’ (que Prince a chanté plusieurs fois sur scène en l’incluant dans un medley avec The Question Of U et The One…).

En 2001, Bilal gravait à son tour la sienne, inclue dans le CD single de Fast Lane. Des claquements de doigts, deux pianos – un électrique, un acoustique –, et rien d’autre. De par sa nudité instrumentale, ce How Come U Don’t Call Me Anymore ? bilalien n’est pas seulement une cover version : c’est un hommage. Bilal aurait cherché à être adoubé par son Prince qu’il ne s’y serait pas pris autrement. Car pour couronner le tout, son phrasé, son timbre, sa capacité à atteindre des notes hautes en couleur (dominante black, brown and beige comme disait Duke Ellington) et ses brusques montées dans les décibels façon bébé hurleur évoquent furieusement son modèle.
Mais au-delà des indéniables qualités de ces trois reprises, il faut raison garder et se rendre à l’évidence : le Purple Boss est insurpassable – mais qui en doutait ?

How Come U Don’t Call Me Anymore ? par Prince, c’est l’irresisitible pitch : un piano d’église, un pied qui bat la chamade, une voix d’ange et des désirs de diablotin ;

How Come U Don’t Call Me Anymore ? par Prince, c’est la magie des faces b, des faces cachées, des chansons rien que pour soi, pour elle, pour lui, pour nous ;

How Come U Don’t Call Me Anymore ? par Prince, c’est une chanson pour mixtape d’amour – « Tu vas voir, y’en a forcément une que tu connais pas… » ;

How Come U Don’t Call Me Anymore ? par Prince, je l’ai écouté 1457 fois, au moins, et dès la première je savais qu’elle m’accompagnerai forever in my life. Comme vous non ?

« Bon alors, Fred, elle est comment cette Take 2 ? Vraiment différente de celle qu’on connaît par cœur ? Plus longue ? Oui ?! Genre, quoi, dix minutes, vingt minutes, trente minutes ? »
Oui les ami.e.s, cette seconde prise de How Come U Don’t Call Me Anymore ? est « vraiment différente de celle qu’on connaît par cœur ». Elle ne dure “que” six minutes et quelques secondes, mais elle a des parfums d’éternité.

D’abord, il y a ce doux « Whenever you’re ready » en guise de top départ à l’ingé son. Attention, it’s rolling, ça tourne… Puis il y a ce piano, plus habité encore que dans la version originale. (Et superbement enregistré qui plus est.) Ces puissants accords churchy, Prince les joue avec un cœur gros comme ça. Ses doigts de fée sont comme les petits marteaux des Dieux, ils frappent en cadence, dansent sur le clavier et entrent en fusion avec les touches d’ivoire et d’ébène, ces noires et ces blanches qui disent toute une histoire : celle de son peuple – « That’s what I’m talkin’ about » lâche-t-il en s’éloignant quelques secondes du micro.

Prince implore sa douce, mais elle boude, elle a le toupet de ne pas le rappeller… How come ? Alors il insiste, fait son numéro – à tous les sens du terme – tandis qu’elle fait mine d’avoir oublié le sien. En usant à merveille de son plus beau falsetto, Prince transcende le gospel et la soul, comme si l’aube du septième jour  c’était tous les jours – et toutes les nuits.

[Ray Charles aurait pu, Ray Charles aurait dû ajouter How Come U Don’t Call Me Anymore ? à son répertoire.]

Quand Prince se met à chanter « just one lousy dime baby, why don’t you call me sometime… », on bascule subitement dans l’hyper-émotion. (Attention Jeanne, tes yeux vont rougir, comme ceux d’Hélène.) Il nous hantera longtemps, ce déchirant whyyyyyyyyyyy [must you torture me] étiré à cœur et à cri, comme si c’était le dernier.

Seulement voilà : it ain’t over.

Car il nous faut parler des dernières secondes de How Come U Don’t Call Me Anymore ?. [ATTENTION SPOILER] D’abord, ce « sometiiiiime » plaintif et doux, d’où se détache un murmure en chanté, bouche fermée. Bouleversant.
Puis trois secondes de silence et
enfin
quelques notes,
les dernières,
comme une fin rêvée,
comme
quelque chose
qui tombe du ciel.
Séchez vos larmes. How Come You Don’t Call Me Anymore ? (Take 2) vient d’entrer votre panthéon violet.

EPISODE #15 : PURPLE MUSIC

Melbourne, Australie, 17 février 2016. La scène se situe dans un bar de Melbourne, l’Aria. Il est déjà très tard ; Prince vient de donner au State Theater le second concert de son Piano & A Microphone Tour. Il discute sur un canapé moelleux avec son biographe, Dan Piepenbring, qui lui fait remarquer qu’il était content de l’avoir entendu interpréter Purple Music. Prince hoche de la tête, ravi que son interlocuteur ait reconnu cette chanson inédite : « C’est la première fois que je la joue sur scène, précise-t-il, il paraît qu’elle a été enregistrée. Je ferais aussi bien de la sortir. » (Extrait de The Beautiful Ones – Mémoires inachevés, éd. Robert Laffont.)

Que voulait exactement dire Prince par « il paraît qu’elle a été enregistrée » ? À quelle version pensait-il ? À l’une des nombreuses – pirates évidemment – qui circulent sous le manteau depuis des lustres ? Peut-être. La sienne, l’originale, la vraie, la seule, l’unique, gravée dans son home studio en 1982, dormait encore dans ses archives en 2016. « Je ferais aussi bien de la sortir » : il ne croyait pas si bien dire…
Mais il se trompait en disant « c’est la première fois que je joue cette chanson sur scène ».
Non mon Prince, le 17 février 2016 au State Theather de Melbourne, ce n’était pas la première fois que tu levais le voile sur Purple Music.

La vraie première fois, c’était à Paris, au New Morning, à l’aube encore baignée de rayons de Lune cerise du 23 juillet 2010 . On y était, Hélène et moi, et quelques autres, et on s’en souviendra toute notre vie comme si c’était hier. Purple Music, tu l’avais glissée entre I Want To Take You Higher de Sly et All The Critics Love U In New York (rebaptisé pour l’occasion All The Critics Love U In New Morning). Oh, tu n’avais pas fait durer le plaisir bien longtemps… Une minute et quarante-cinq secondes à peine… En fait, elle servait juste de rampe de lancement à All The Critics…
Parenté rythmique aidant, peut-être que les paroles de Purple Music t’avaient traversé l’esprit avant que tu ne chantes celles d’All The Critics… On était en train de vivre quelque chose de fabuleux, d’inouï, d’historique, il était cinq heures du matin passées, tu étais sur scène depuis deux heures du mat’ et des poussières, on avait le cerveau retourné, mais le tien carburait à plein tube : chaque idée qui y germait prenait instantanément forme, là, sur scène, devant nous. Dont celle, un peu folle, de donner ENFIN sa chance à Purple Music, d’en révéler le refrain-mantra, comme ça, au beau milieu d’une nuit parisienne, rien que pour nous. Sympa.

Médusés, nous l’étions, bien sûr, de t’entendre “officialiser” en direct cette merveille inédite et qui, donc, ne le sera plus dans quelques jours, quand ton Estate – hé oui, Prince, tu es mort, et ça on ne te le pardonnera jamais –, NPG Records et Warner Bros. Records feront pousser sur les facings des disquaires du monde entier la version “Super Deluxe” de “1999”.
As-tu vraiment songé, toi, en 1982, inclure Purple Music dans “1999” ? Si oui, il aurait fallu sacrifier l’un des onze chansons…
Automatic ? Ah non !
Let’s Pretend We’re Married ? Impossible.
Lady Cab Driver ? Impensable.
All The Critics Love U In New York ? Inimaginable !
(Etc., etc.)
Tout le problème était là : ta surcréavité, que dis-je, ton hypercréativité repoussait déjà allégrement les limites du support vinyle. A quelques années près, le support CD t’aurait permis d’ajouter Purple Music au track listing final, mais seulement si tu avais pu convaincre ta maison de disques de sortir un double CD, ce qu’elle aurait certainement refusé de faire…

Bref, Purple Music est passé à la trappe, et cela, je trouve, reste l’un des plus grands mystères de la création. Comment as-tu pu vivre trente-cinq ans, ou presque, en sachant que dormait dans ton Vault une telle merveille ? Je ne vois qu’une seule explication (plus ou moins) rationnelle : tu as rapidement compris que tout ce qui y reposait te permettrait un jour – arrivé bien trop tôt, hélas… – de commencer une seconde carrière, post-mortem celle-là. Une vie après la vie quoi, une nouvelle ascension vers les sommets. Sans toi, mais avec nous. Sacré Toi va…

Car s’il y a ne serait-ce qu’allez, une dizaine de titres du calibre de Purple Music en tous sens inouïs qui roupillent dans ton Vault, crois-moi mon Prince, comme Jimi Hendrix avant toi, ta légende va atteindre des proportions encore inimaginables au moment où j’écris ces quelques lignes – et que je réalise, au passage, que je me remets une nouvelle fois à te parler comme si… (T’as vu, Morris Day m’a piqué l’idée.)

Cette intro boîtarythmée qui fait semblant de caler
: sublime

Cette minimélodie comme seul Prince en avait le secret
: on aimerait toutes les répertorier (pas le temps !)

Ce râle suggestif à 30”
: Marvin, dig this

Ces accords couleur bleu nuit
: visions

Ces handclaps hypnotiques réverbisés à souhait
: obsession

Cette cocotte funky échappée de la basse-cour, à 1’30”
: re-sublime

Ces synthétiseurs dont la brûlante sève électronique semble sortir des murs des gratte-ciels de Technoland ;
ces pages qui tournent (« next page ») ;
ce chant qui file droit sur l’autoroute des rêves ;
cette basse qui slappe ;
cette grosse-caisse même pas humaine et pourtant si charnelle, auto-syncopée comme si un Dieu du rythme un peu pompette l’avait programmée.
Écouter Purple Music au casque est une expérience hallucinogène.

QUEL SON !

Voilà, c’était ma petite Purple Music de nuit à moi. Pas besoin de pétard, ni de cocaïne, Purple Music m’a tuer.

« Si tu peux comprendre ma couleur
Passe ta main dans ton entrejambe
Non, non, non, non, non… Oui ! »

EPISODE #19 :LET’S OPEN THE BOX SET, BABY !

Le voilà donc, le purple graal, le coffret tant attendu, l’objet du désir-disque, la “Super Deluxe Edition” de “1999”, le plus bel effort éditorial, à ce jour, consenti par le Prince Estate – mais ce n’est sans doute qu’un début, the best is yet 2 come, that’s 4 sure. Il est arrivé hier, en fin de matinée. Désolé petit Papa Noël, mais là, je suis tout chose, et côté “hotte things”, tu ne pourras pas faire mieux. See U in 2020 !

Au boulot !

Au boulot !

Sachez que l’objet est absolument somptueux, et qu’avant même d’écouter la version remasterisée du double album original (jamais Little Red Corvette et Let’s Pretend We’re Married, entre autres, n’avaient aussi bien sonné, avec autant de détails et de profondeur), les deux opus d’inédits extraits du Vault (comparée à la version “streaming officiel” de Purple Music que j’ai déjà écoutée 432 fois, celle que je viens d’entendre sur disque est une hallucination), le CD des 7” mixes, des 12” mixes et des promo versions (si, si, vous l’écouterez aussi) et le “Live In Detroit” du 30 novembre 1982, sans oublier le DVD du concert du 29 décembre à Houston, hé bien, sachez, donc, que vous allez le manipuler amoureusement, caresser les pochettes (on ne ricane pas : un objet-disque, c’est sensuel), tourner une à une les pages du livret (et sans doute même les sentir, comme on le fait avec un beau livre), apprécier ce “1999” gravé en vernis sélectif sur la couverture et, lire, que dis-je, dévorer les textes de David Fricke (message personnel : « Hey Mister Fricke, vous auriez dû venir au New Morning en 2010, car c’est bien cette nuit-là qu’il a chanté Purple Music pour la première fois, pas en 2016 »), Andrea Swensson et Duff McKagan (mon préféré, le plus sincère et émouvant). Oups, j’allais oublier : vous éplucherez aussi les crédits et les vault notes de Duane Tudahl, une série de brefs commentaires sur les 24 inédits – oui, 24, pas 23 + 1, car quelques secondes de Moonbeam Levels sont bien inédites…

Une nuit n’y suffira pas.

Puis, l’excitation retombée – enfin, ça, on ne vous garantit rien… –, un sentiment de tristesse vous envahira. Oh !, certainement pas dû au bonheur de posséder un tel coffre à trésor. Non, c’est autre chose, c’est plus pernicieux, c’est presque inattendu…
« Et s’il voyait tout ça ? », penserez-vous.
Il ne serait pas très content, forcément… Il se sentirait pillé, voire, qui sait, trahi.
« Et s’il n’était pas mort ? »
Il l’est, hélas. Mais s’il était encore parmi nous, nous n’aurions évidemment JAMAIS écouté – officiellement en tout cas – tous ces inédits studio et ces live. (Ni, soit dit en passant, lu autant de prose élogieuse à son sujet.)
Restez branché : on reparlera de tout ça avant de se quitter, vendredi, le jour où vous aurez envie de tout sauf de me lire. Mais qu’importe : en attendant, vous n’êtes pas près de vous débarrasser de moi.
Rendez-vous demain avec Don’t Let Him Fool Ya, Teacher, Teacher et Lady Cab Driver / I Wanna Be Your Lover / Head / Little Red Corvette (Tour Demo). E t si d’aventure il m’arrivait quelque chose, ne vous inquiétez pas, Doc Sillon me remplacera.

COFFRET Prince : “1999 Super Deluxe” (NPG Records / Warner Music, déjà dans les bacs).

EPISODE #21 : “TIME2SAY GOODBYE”, HOMMAGE

Hello, me revoilà, je me suis finalement décidé à sortir du coffret “1999 Super Deluxe Edition” [voir épisode Prince, visite guidée du Vault de “1999”, Part 20 : what happened 2 Fred ?, NDLR]. Mais je compte y retourner dès que la rédaction de cet ultime (?) épisode sera terminée. Doc Sillon, que je remercie au passage, vous avait promis mes impressions sur le CD “Live In Detroit November 30, 1982” et le DVD “Live In Houston, December 29, 1982”. On verra plus tard… En attendant, voici donc, avec un jour d’avance sur la date prévue, l’épisode final de ma petite saga quotidienne. J’espère qu’elle vous aura permis de patienter dans la joie et la bonne humeur depuis trois semaines.

So,
2morrow will b the day, le jour tant attendu où les hardcore fanatics vont se bousculer à l’entrée du Gibert Joseph de Saint-Mich’ – celui de Barbès ne sera pas en reste –, puis dévaler quatre à quatre les marches de l’escalier roulant qui mène au sous-soul pour se ruer au rayon soul-funk et prendre Weshdodo en otage si, par malheur, l’édition “Super Deluxe” de “1999” est trop rapidement épuisée.

2morrow will b the day où vous allez tou.te.s passer une nuit blanche pour écouter au casque les cinq CD du coffret tant désiré (enfin, surtout le 3 et le 4 je pense…), et finir vers 5 heures du mat’ par vous passer le DVD filmé à Houston, Texas. Bonne nuit les petits, this is your captain Nounours speaking.

2morrow nigth will b the night où vous rêverez sous un ciel couleur pourpre, pour en décrocher une à une les étoiles et les planter dans votre cœur qui saigne toujours un peu. Sous la Lune cerise, vous danserez sans pouvoir retenir vos larmes.
Des larmes de bonheur ?
Évidemment, mais avec Prince, on ne sait jamais : depuis l’horrible 21 avril, les petites bouffées d’euphorie peuvent subitement être submergées par un tsunami de tristesse post-mortem.
Parce que s’il ne nous avait pas lâchés 4ever, l’ingrat, rien de tout ça ne serait arrivé !

Pas d’“Originals”, de “Super Deluxe” ou, que sais-je encore, d’“Hyper Ultimate Mega Deluxe Edition” de… “Sign ‘O’ The Times” ? “Parade” ? (« No sé », comme disait Zorrino dans le Temple du Soleil.)
Rien de tout ça ne serait arrivé, donc, et la vie serait tellement plus belle.

Car, notamment,
la tournée Piano & A Microphone serait passée par Paris à l’été 2016.

The Beautiful Ones, ses mémoires de 900 pages, auraient fini par être publiées à l’automne 2018 et provoqué un séisme de magnitude 8 dans le domaine de la littérature musicale.

Dans la foulée, il serait parti en tournée mondiale, “The New Revolution Tour 2019”.

Il aurait lancé un faramineux programme de réédition de tous ses albums, augmentés d’un, voire de plusieurs Vault Records calqué sur le modèle des Companion Discs des rééditions Deluxe de Led Zeppelin orchestrées par Jimmy Page.

Et, enfin, à la grande surprise de ses fans, il aurait sorti “Collaborations”, un triple CD de vingt chansons et de dix instrumentaux réalisés avec des artistes et des producteurs aussi divers, prestigieux ou inattendus que Madlib, Brian Eno, Robert Glasper, MonoNeon, James Blake, Stevie Nicks, Jeanne Added, Louis Cole, Paul McCartney, Esperanza Spalding, Jay-Z, Beyoncé, Michael League, Snoop Dogg, Janelle Monáe, Joni Mitchell, Trent Reznor, D’Angelo, etc., etc.

2b continued aurait ainsi continué d’être l’antienne princière.

Mais, hélas,
after2morrow is the day où il faudra bien finir par admettre que Prince esta muerte.
Non, jamais ?
Nous sommes d’accord.
Love,
Fred
Special thanks 2 Véro, David, Pierre & Doc Sillon