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Prince, génération diamants et perles

Le 1er octobre 1991, Prince sortait son treizième album, “Diamonds And Pearls” majoritairement enregistré avec son nouveau groupe, The New Power Generation. Le voici réédité pour la première fois, en version “Super Deluxe” notamment. Visite guidée exclusive avant la sortie de ce coffret très attendu le 27 octobre.

Breaking news ! Le génial cri primal en ouverture de Gett Off  n’était pas poussé par Prince mais par Rosie Gaines !
« Woooaaat ?! »
Moi qui depuis tout ce temps croyais que c’était le natif de Minneapolis, eh bien non !
C’est de la bouche de la native de Pittsburg qu’il était sorti, tandis, d’après l’ingénieur du son Steve Noonan, « qu’elle improvisait à la fin de la chanson, et je crois que c’a été pitché, un peu plus bas ou plus haut, je ne sais plus, j’ai oublié. Je ne crois pas que ç’aurait dérangé Prince que je vous dise ça. Je pense qu’il aurait été disposé de rendre à César ce qui appartient à César ». [Hmm, rien n’est moins sûr, mais passons.]
Si notre visite guidée de la réédition “Super Deluxe” de “Diamonds And Pearls” de Prince & The N.P.G. commence par cette petite révélation (j’imagine que quelques harcdore fanatics le savaient déjà…), c’est pour souligner la richesse éditoriale du livret de plus de 100 pages qui accompagne le coffret “Super Deluxe”. En huit chapitres, on replonge dans cette énième nouvelle période créative de Prince marquée, comme chacun sait, par l’avènement officiel de The N.P.G., le groupe flambant new de Prince, majoritairement constitué de musiciens de Minneapolis : le batteur Michael Bland, le claviériste Tommy Barbarella, les danseurs Tony Mosley, Damon Dickson, Kirk Johnson et son ami d’enfance le bassiste Sonny Thompson. Le guitariste Levi Seacer, Jr., seul rescapé du groupe précédent, et la claviériste et chanteuse Rosie Gaines étant quant à eux originaires de la Bay Area.

PRINCE D&P ROSIE GAINES
THE GOOD BOOK

Attardons-nous d’abord sur “He taught everyone you can never make too much music”, la préface de Chuck D, le leader de Public Enemy, qui souligne  avec des mots simples et forts l’entrée réussie de Prince dans le monde du hip-hop – quelle meilleure caution que la sienne ? –, pourtant critiquée, voire sévèrement bashée en son temps. On vous laisse découvrir ses arguments.
Page 10, dans le passionnant chapitre “If it ain’t from Minneapolis, it ain’t shit”, Andrea Swensson revient façon histoire orale sur la manière dont chaque musicien fit son entrée au sein du N.P.G. [Note personnelle : on n’est pas peu fier que Michael Bland nous ait confié dès 2021 en exclusivité pour Jazz Magazine quelques anecdotes sur la façon dont Prince travaillait, sans parler de la belle histoire de son embauche, confiée en off à votre humble serviteur il y a plus de vingt ans à Minneapolis, mais pardon, je m’égare.]

Dans le chapitre suivant, “Prince worked his ass off to make this happen. And it’s happening. What could be better ?”, Jason Draper, qui avait pourtant méchamment dézingué “Diamonds And Pearls” dans son livre Prince Life & Times paru en 2008 (le Prince Estate n’est pas rancunier !), a ravalé sa bile et revient en mode enquête sur tout ce qui du côté artistique, marketing et promotion avait précédé et accompagné la sortie du disque. Les anecdotes liées à la sortie en catimini du désormais rarissime maxi 45-tours de Gett Off pressé à 1500 exemplaires (bientôt réédité ! ne manquez pas le prochain Record Store Day !) et du making of de la fameuse pochette hologramme (la première rencontre avec le directeur artistique Jeff Gold est un grand moment) sont savoureuses, sans oublier ce concert dans le patio des bureaux de Warner Bros. à Burbank, digne, dit-on, de la perf’ mythique des Beatles sur le toit d’Apple Corps à Savile Row.

Le chapitre que les fans vont dévorer est évidemment la “sessionography” rédigée par le grand expert Duane Tudahl, “I’ve got grooves and grooves up on the shelf”, qui détaille une à une les treize chansons de l’album original et, bien sûr, tous les inédits. Il commence par une citation de Prince : « All my last records… have been connected to films. This is just my music. » Là encore, les anecdotes et les détails qui laissent rêveur ne manquent pas. Nous vous laissons le soin de les découvrir, non sans modestement donner notre avis, plus bas, sur cette profusion de diamants et de perles. Le bref chapitre “Did U ever stop 2 wonder”, signé KaNisa Williams, animatrice des sites muse2thepharaoh.com et darlinnisi.net (« My mission is to be a purple signal boost as it relates to self-reflection through the legacy of Prince Rogers Nelson ») n’échappe pas à quelques clichés (« All works of Prince can be read on multiple levels ») et captivera sans doute un peu moins ceux qui ne maîtrisent pas parfaitement la langue de Shakespeare.

Dans “Make the rules, then break them all cuz u are the best” (les paroles de Prince sont décidément bien pratiques pour titrer), Duane Tudahl revient raconter la génèse du concert exceptionnel – inclus dans le blu-ray du coffret – donné par Prince le 11 janvier 1992 dans son club, le Glam Slam de Minneapolis. Deux pages plus loin, dans “Dearly beloved, we are gathering here today to get through this thing called soundcheck”, il en fait de même pour le show Special Olympics donné au Metrodome le 20 juillet 1991, sans oublier le soundcheck, donc, la veille (les deux figurent aussi dans le blu-ray, qui contient aussi l’intégralité du DVD “Diamonds And Pearls Video Collection avec, notamment, les clips de Cream, Diamonds And Pearls, Gett Off, Willing And Able…).
Enfin, avec “Everything U’ll look 4, U’ll find”, l’universitaire De Angela L. Duff signe un dernier chapitre qui n’apporte rien en regard des précédents, revenant sans qu’on sache vraiment pourquoi sur ses chansons préférées de “Diamonds And Pearls” et, surtout, sans rien dire de bien original ni de bien passionnant.

PRINCE D&P NPG 1

PARTY LIKE IT’S 1991
Et la musique dans tout ça ? Elle est comme de coutume au cœur du coffret “Super Deluxe”, est c’est pour elle que depuis la mort de Prince on attend fébrilement ces objets-disques. Nous vous autorisons à nous quitter dès maintenant si vous souhaitez ne rien savoir et attendre tranquillement la date fatidique du 27 octobre. (Cela nous ferait cependant beaucoup de peine si vous décidiez de vraiment le faire.)
Sinon, commençons notre petite visite en rééditant l’entrée “Diamonds And Pearls” que nous avions rédigée pour Prince, le dictionnaire, ouvrage d’avant le 21 avril 2016 coécrit avec Christophe Geudin. Voilà ce que nous disions :
« Bien qu’il figure parmi les plus grands succès commerciaux de Prince, “Diamonds And Pearls” fait souvent office d’album mal-aimé dans sa pléthorique discographie. Considéré comme « trop accessible », voire « très commercial » par celles et ceux qui firent de Prince leur héros dès le milieu des années 1980, cet album est pourtant plus riche et profond qu’il n’y paraît. Si les Prince lovers de la première heure éprouvent quelque réticence à s’identifier à “Diamonds And Pearls”, c’est certainement parce que Prince y scelle d’un côté sa rupture – temporaire – avec l’univers sonore singulier et bigarré qui fit le sel de ses magnum opus des années 1980, et de l’autre son union, plus ou moins contre-nature, avec le hip-hop, qui commence à truster le sommet des hit-parades. Avec ce disque plus formaté, au son globalement plus poli, Prince change en quelque sorte de maquillage. D’aucuns ne le reconnaissent plus. Ses nouvelles chansons – enfin, pas toutes… – sonnent à la fois plus nature et plus mature, et cherchent peut-être à séduire un auditoire qui n’aurait pas forcément appris par cœur ses disques précédents. Ainsi la chanson titre, ballade rococo aux charmants atours mélodiques ; mais aussi Cream, habile démarquage du Bang a Gong (Get it on) de T-Rex propulsé par une simplissime et maousse partie de batterie de Michael Bland ; ou encore Money Don’t Matter 2 Night, bel hybride pop soul mélodique qui se fait l’écho de la première guerre du Golfe, sont à même de toucher le plus grand nombre.
Prince n’est évidemment plus aussi novateur que dans les années 1982-1987, et l’on pourrait même dire qu’il s’embourgeoise un peu avec sa nouvelle collection de diamants. Ce serait oublier quelques perles noires qui bruissent de toutes ses racines afro-américaines.
Gett Off d’abord, plan d’invasion sexuelle mené à coups de beats impudiques et précédé d’un cri suraigu désormais entré dans l’histoire. Le chant lubrique de Prince, le contrechant puissant de Rosie Gaines et le rap macho de Tony Mosley tournent comme un sacré manège à trois. En prime : la flûte volage d’Eric Leeds, des crissements synthétiques et dissonants comme on entendait alors dans les disques de Public Enemy, et le premier sample* ostentatoire de Prince, Mother Popcorn de James Brown. Daddy Pop ensuite, magnifique exercice de style à la Sly & The Family Stone. Et n’oublions pas Willing And Able et Walk Don’t Walk : la première bénéficie de la participation des Steeles, groupe vocal, familial et gospel de Minneapolis dont l’une des sœurs, Jevetta, est connue pour avoir interprété Calling You, la chanson du film Bagdad Café. [La version de Willing And Able qui figure sur “Diamonds And Pearls” est très réussie, mais celle du DVD du même nom, plus acoustique, l’est encore davantage, et Prince y chante et danse comme un demi-Dieu.] La seconde, non moins gospellisante et positive, évoque encore l’héritage de Sly & The Family Stone. Son refain « Sha-na-na-na-naaaa » sur fond d’embouteillage et de klaxons est assez irrésistible. Enfin, Live 4 Love, rock groovy et sombre, cinématique, incarné par un Prince habité : dans son chant et ses cris, l’inquiétude le dispute à la colère, et c’est impressionnant. Tout autant que le bref chorus rappé de Tony Mosley, auquel Prince laisse d’ailleurs beaucoup – trop ? – d’espace tout au long du disque.
En revanche, on se serait bien passé du jazzy nunuche Strollin’, remake maladroit du Oh Lori des Alessi Brothers. Quant à Thunder, Push et Insatiable, elles n’auraient dû faire office que d’excellentes faces B, et Jughead rester un inédit qui aurait bien fini par être piraté. Mais les CD singles avaient depuis déjà longtemps pris la place des 45 tours, et comportaient plus souvent des remixes que des inédits… Pour autant, malgré ses quelques longueurs et autres semi-ratages, “Diamonds And Pearls” est un disque essentiel qui mérite qu’on s’y attarde, car il célèbre la tranquille créativité d’un leader qui, pour la première fois, joue sur disque la carte collective, laissant son N.P.G.  s’exprimer to the max. Peut-être avait-il déjà songé au slogan qu’il allait utiliser lors de sa tournée Musicology, en 2004 : “Real music for real music lovers*.” » [*Le slogan était en réalité “Real music by real musicians”… Lapsus !]

Comme, j’espère, Jason Draper quand il rouvre son livre de 2008, je ne suis plus tout à fait d’accord avec mon alter ego(aty) de 2010 quand je me relis. Rien à redire ni à retrancher sur ce que j’aime, mais je regrette le terme « nunuche » pour Strollin’ (que j’avais comparé à Oh Lori des Alessi Brothers pour le simple plaisir de mentionner ce duo haï par la Police du Rock) ; quant à Insatiable et Push, elles sonnent bien mieux à mes oreilles, aujourd’hui, que d’« excellentes face B ». Passons. Car j’imagine que si vous êtes toujours en train de lire cet article, vous n’avez pas besoin qu’on revienne sur les treize chansons originales de “Diamonds And Pearls”, ni même sur les remixes et les faces b d’époque (Horny Pony, Call The Law…), mais bien sur les trente-trois vault tracksinédites distillées en trois temps (Part 1, 2 et 3) que nous avons pris la liberté de réorganiser à notre guise pour vous livrer quelques impressions, après moult écoutes répétées.

PRINCE D&P 2
DITES 33

Commençons d’abord par les vault tracks qu’on dira intimement liées à l’album original puisque ce sont des mix, des prises alternatives ou des versions longues destinées à des maxi 45-tours ou des CD singles jamais parus. J’ai nommé :
Diamonds And Pearls (Long Version)
Insatiable (Early Mix)
Live 4 Love (Early Version)
Cream (Take 2)
Daddy Pop (12 Mix)
Horny Pony (Version 2)
Thunder Ballet
Si je ne suis plus d’accord avec mon moi de 2010 (cf. plus haut) à propos d’Insatiable, c’est à cause, ou plutôt grâce à ce Early Mix enfin révélé officiellement (soyons honnêtes : une bonne partie des trente-trois inédits circulent “sous le manteau” depuis des lustres…) et qui surpasse allégrement la VO. Diamonds And Pearls (Long Version), Daddy Pop (12 Mix), Horny Pony (Version 2) et Thunder Ballet (qui n’est pas un nouveau modèle d’aspirateur Dyson mais la BO d’une cassette VHS de 1994) ne passeront sans doute pas en boucle chez la majeure partie des prinçolâtres. En revanche, la Take 2 heavy pop de Cream vaut son pesant de fat groove, et Live 4 Love (Early Version) devrait probablement vous captiver (pour une raison précise, voir plus bas).

Dans ce coffret “Super Deluxe” dont nous continuons la visite guidée – vous êtes encore là ? – se cache aussi le sequel d’un des premiers projets post-mortem supervisés par le Prince Estate, “Originals”. Car en regroupant les treize chansons suivantes…
Pain
My Tender Heart
Trouble
Skip To My You My Darling
Open Book
Hold Me
Martika’s Kitchen
Spirit
Don’t Say You Love Me
Get Blue
Tip O’ My Tongue
The Voice
Standing At The Altar
…on pourrait assembler un “Originals 2” d’excellent facture, car Pain a été créée par Chaka Khan, My Tender Heart et Trouble par Rosie Gaines, Skip To My You My Darling, Open Book et Hold Me par Jevetta Steele, Martika’s Kitchen, Spirit et Don’t Say You Love Me par Martika, Get Blue par Louie Louie, Tip O’ My Tongue par El De Barge, The Voice par Mavis Staples et Standing At The Altar par Margie Cox – oui, Prince écrivait et composait beaucoup pour les autres, mais prenait soin, la plupart du temps, d’enregistrer sa propre version. Trois chansons de notre “Originals 2” imaginaire figurent dans mon Top 10 de ce coffret qui vous sera révélé à la fin de cet article. Patience.

Continuons en piochant façon random dans notre coffret à diamants et à perles. Si vous viviez à Minneapolis au début des années 1990, vous aviez peut-être entendu Glam Slam ’91 à la radio ou dans la boîte de nuit princière du même nom. Glam Slam ’91 préfigure certains passages de Gett Off dans sa version Houstyle. Dans le même esprit, le sympathique The Last Dance (Bang Pow Zoom And The Whole Nine) est une sorte de prequel de Jughead (et de Horny Pony  aussi) ; c’est soir de fête, ou plus précisément de bloc party à MPLS, hip-hop à tous les étages, avec la touche ludico-princière de rigueur. Idem pour Something Funky (This House Comes) [Band Version] et pour l’amusant, quoique moyennement subtil Work That Fat, sorte d’exercice de style basé sur l’insurpassable The Humpty Dance de Digital Underground – ne manquez pas dans le chapitre “If it ain’t from Minneapolis, it ain’t shit” l’anecdote narrée par Tony M. à ce propos. La version de Work That Fat est exactement la même version qui circule depuis plus de vingt ans sur des CD bootlegs et ne constituera donc pas une grande surprise pour les fans qui fréquentaient le Marché aux Puces de Saint-Ouen dans les années 1990 et avaient leurs habitudes au stand de Daniel.
Comment ça, « Ah non, Schoolyard et Letter 4 Miles on les connaît par cœur aussi ! » Tss, tss, pas tout à fait. La version de Schoolyard est plus longue que celle qui circule depuis des années. Quant à l’instrumental Letter 4 Miles enregistré par Prince en duo avec Michael Bland le 30 septembre 199, deux jours après la mort de Miles Davis, il sonne bien différemment (voir plus bas).
Sachez enfin que Streetwalker a été écrit et composé par Rosie Gaines, qu’Alice Through The Looking Glass (dont il existe une version chantée par Sheila E.) vous est sans doute presque familière puisqu’elle tourne sur les plateformes de streaming depuis plusieurs semaines, que Lauriann a été enregistrée à Tokyo en septembre 1990, qu’Hey U était destinée à Margie Cox (qui a enregistré sa propre version, inédite à ce jour) ; qu’I Pledge Allegiance To Your Love est un blues qui n’aurait pas été de trop dans “The Vault… Old Friends For Sale”, et que Darkside et Blood On The Sheets sont indissociables – vous allez bientôt comprendre pourquoi.

PRINCE D&P NPG 2
VRAIMENT TOP

Et voici donc pour terminer cette visite guidée nos douze morceaux favoris de la réédition “Super Deluxe” de “Diamonds And Pearls”. [ATTENTION SPOILER]

Schoolyard
Pourquoi Schoolyard ? Parce qu’on peut regretter que cette chanson aux paroles amusantes, coquines et, fait rare, très personnelles (la « Cari » de « seulement 14 ans » qui en est l’héroïne est mentionnée dans l’autobiographie inachevée de Prince, The Beautiful Ones) n’ait pas figuré dans “Diamonds And Pearls”, comme c’était prévu au départ. Enregistrée en juillet 1990, elle dégage quelque de joyeux, de jubilatoire même, bien calée sur son groove pétillant, illuminée par ses chœurs tout en allégresse churchy, les contrechants de Rosie Gaines et cet orgue, aaah, cet orgue. Bref, Schoolyard est une grande outtake de Prince.

Pain
La VO princière n’a que peu à voir avec celle – magnifique – enregistrée par Chaka Khan pour “Dare You To Love Me”, l’album jamais paru auquel Meshell Ndegeocello avait activement participé. Pain façon Chaka Khan fut cependant publiée dans le CD de la série TV “Living Single” en 1997 (avec Meshell à la basse, Joshua Redman au saxophone, Gene Lake à la batterie…). Celle de Prince est une sacrée révélation, un bijou à l’orient rare, avec un riff de piano à la Roy Ayers que vous n’êtes pas prêt d’oublier, un groove souple et puissant prodigué par Michael Bland, la voix prégnante de Rosie Gaines en effet miroir de celle de Prince. Diamant ou perle ? Les deux !

Live 4 Love (Early Version)
Pourquoi cette Early Version de Live 4 Love ? Parce que d’emblée, on se dit qu’on la connaissait déjà, cette version un rien plus gloomy de la dernière chanson de “Diamonds And Pearls”. Mais non. Le mix est différent, et Tony M. n’est pas là ; Prince chante avec plus de retenue, de fragilité, et c’est lui-même qui rappe le texte écrit par le rappeur (« C’est le jour et la nuit », précise ce dernier dans le livret). Chaque nouvelle écoute de cette version de Live 4 Love la rend toujours plus touchante.[Bon, on est entre nous, pas un mot à l’Estate, mais je me demande quand même si je n’aime pas encore plus la version non-autorisée du bootleg de 1999, “H2O”…]

Cream (Take 2)
Pourquoi cette Take 2 de Cream ? Parce que ces coffrets “Super Deluxe” sont aussi faits pour ça : se retrouver au cœur de la création, assister au work in progress. Cette version de Cream enregistrée le même jour – le 3 décembre 1990 – que celle que le monde entier, ou presque, connaît par cœur, est plus brute de décoffrage, plus rough ; sans les contrechants de la VO, elle sonne comme Peach avant l’heure, et le son énormissime de la batterie de Michael B., qui dans l’intro donne l’impression d’écraser la cloche jouée par Kirk Johnson sur une boîte à rythme (une TR-808 si vous voulez tout savoir) – ne laisse pas d’impressionner. Tout autant que cette fausse fin… « 1, 2, 3, come on ! »

Open Book
Pourquoi Open Book ? Parce que même si l’on connaît depuis trente ans la version de Jevetta Steele (produite par Levi Seacer, Jr.) de ce mid tempo soul coécrit par Prince, Martika et Levi Seacer, Jr., Prince arrive à nous vamper avec la sienne, via ses chœurs façon voix démultipliées, ce beat simple et accrocheur, ces accords de synthés brumeux et cette partie de piano lumineuse. Pas de NPG ici, Prince en mode one man band. Et cette voix…

Something Funky (This House Comes) [Band Version]
Cette Band Version de Something Funky (This House Comes) aurait tout à fait pu figurer dans le légendaire CD du New Power Generation, “Gold Nigga” : Tony M., encensé par Chuck D. dans sa préface, est en feu ! (Nous aussi on aime bien Tony M., on trouve qu’il a injustement été vilipendé par ceux qu’on n’appelait pas encore les haters ou les trolls au début des nineties.) Et puis plus de sept minutes de New Power Generation « in max attack », ça ne refuse pas. Et on attendait une bonne version studio de Something Funky (This House Comes) depuis qu’on l’avait découverte en intro d’un des concerts donnés par Prince à Rock In Rio II… [Quel dommage, cela dit, que le coffret ne contienne pas la délirante et puissante outtake de plus de huit minutes rappée par Tony M., avec des contrechants incendiaires de Rosie Gaines, The Flow…]

Darkside / Blood On The Sheets
Pour la première fois, un peu à la manière des coffrets consacrés à certains  musiciens de jazz, les spéléologues en chef du Vault princier ont exhumé deux versions différentes du même morceau, mettant ainsi en lumière la manière dont Prince travaillait en studio. Darkside a été enregistré le 4 septembre 1990, Blood On The Sheets le 31 janvier 1991 le même jour que Something Funky (This House Comes) et Hold Me. Ces « jams sous contrôle » (dixit Levi Seacer, Jr.) ont donc donné naissance à deux instrumentaux. Le premier sonnant effectivement comme une jam où l’on entend Prince diriger ses musiciens en donnant des consignes (et nous revoilà au cœur de la création), dont la plus amusante est la première, adressée à Michael Bland (surprise). Darkside est très rock et préfigure What’s My Name. Blood On The Sheets (quel étrange titre…) sonne en revanche moins comme une jam que comme une chanson sans paroles. À en croire les liner notes de Duane Tudahl, Prince avait essayé de poser son chant, mais laissa finalement tomber l’affaire. Blood On The Sheets est donc une magnifique chanson sans paroles, inachevée, sertie d’un solo de guitare incendiaire.

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Get Blue

On vous entend déjà les ami.e.s : « Quoi, Get Blue, que Prince avait filée à Louie Louie ?! Sérieux Fred, c’est vraiment bien ? » Oh que oui c’est vraiment bien. C’est même tout à fait magnifique. « Bi, elle, iou, aïe, blou » (on vous la fait phonétique). Prince chante comme un demi-Dieu (demi, car heureusement pour nous il reste à hauteur d’homme), comme si cette love song triste et bleue n’était destinée à nul autre que lui. D’ailleurs, pourquoi, mais pourquoi ne l’a-t-il pas gardée pour lui ?! Quant à ce solo de piano improvisé au beau milieu de la nuit (Prince a terminé Get Blue à pas d’heure…), c’est une leçon de savoir-faire mélodique.

Trouble
On n’ira pas jusqu’à dire que Trouble aurait dû figurer dans le track listing final de “Diamonds And Pears” – quoique –, mais ce funk spectaculaire, puissant et so nineties composé par Rosie Gaines aurait largement mérité le privilège d’être une bonus track de CD single, ou une face b de maxi 45-tours si vous préférez. Au chant, Prince donne tout, passe en revue ses gimmicks favoris, falsetto gospellisant, chantés-parlés, interjections funky, petits cris et tutti quanti – « Donnez-moi un autre micro, j’ai fini le mien », aurait-il dit à la fin de la première prise (on plisante). En tout cas : « Never give up, never give up once U got troubles, who oh oh oooh », ok ?

Standing At The Altar
Vous connaissez forcément la version chantée par Margie Cox dans la compilation “1-800 New Funk” parue en 1994 – mais si, vous vous souvenez, à l’époque où la question récurrente des moins-fans-que-vous posaient toujours la mêmes questions narquoises : « Il fait toujours des disques Prince ? Et c’est vrai qu’il s’appelle plus Prince, comme le France, ah ah ah ? ». Tel que je vous connais, vous avez même le CD single de Standing At The Altar avec l’Extended Version, pas vrai ? Si vous aimiez cette chanson, vous l’aimerez encore plus – no offense dear Misses Cox – interprétée par Prince. Standing At The Altar, d’après Steve Noonan, « n’allait pas vraiment à Prince, à sa marque ». Ah bon ?! Il nous semble bien présomptueux ce Steve (avait-il branché quelque sonde dans le cerveau du génie de Minneapolis à l’insu de son plein gré ?), car à l’entendre habiter cette chanson gravée le 23 juin 1991 comme s’il était chez lui, on se dit qu’il l’avait bien fait sienne avant, finalement, de l’abandonner.

Letter 4 Miles
Miles Davis, l’homme en mouvement perpétuel, nous a laissés figés le 28 septembre 1991, et d’aucun.e.s ne s’en sont toujours pas remis. Deux jours plus tard – la veille de la sortie de “Diamonds And Pearls”… –, pour honorer sa mémoire, Prince grava à Paisley Park un instrumental mélancolique et bleu qu’il baptisa spontanément Miles Is Not Dead, puis, après réflexion, Letter 4 Miles. Michael Bland était à la batterie, le boss aux claviers. Letter 4 Miles, c’est du jazz façon Prince ; on songe à certains morceaux enregistrés quelques années plus tôt avec Madhouse, en duo avec le saxophoniste Eric Leeds. On croyait connaître par cœur Letter 4 Miles depuis des lustres puisqu’il figurait déjà dans divers CD pirates des années 1990, tel le “Volume 4” de la légendaire série “The Work”, pour ne pas la nommer. Erreur ! La version du coffret est sertie d’arrangements de cuivres “henrymanciniesqques” signés… Michael Bland (avec l’aide de Mike Nelson des Horn Heads) et calqués sur ses relances et ses pêches. Émotion.

I Pledge Allegiance To Your Love
Quittons-nous – momentanément, car d’autres morceaux frappent déjà à la porte de notre Top 12 – avec ce blues classieux à la B.B. King enregistré le même jour que Sweet Baby, le 1er octobre 1991, le jour de la sortie de “Diamonds And Pearls”. Nul doute, donc, qu’il pensait déjà au successeur de l’album qui vient de se faire coffret, l’innommable “O+>” dont on ne savait pas encore que, paradoxalement, il portait le nouveau nom de Prince. Mais c’est une autre histoire…

ÉPILOGUE 1
1991, c’était l’année, entre autres, de “Nevermind” de Nirvana, “Laughing Stock” de Talk Talk, “The Best Band You Never Heard In Your Life” et “Make A Jazz Noise Here” de Frank Zappa, “Blue Lines” de Massive Attack, “Loveless” de My Bloody Valentine, “The Low End Theory” de A Tribe Called Quest, “De La Soul Is Dead” de De La Soul, “Black Science” de Steve Coleman And Five Elements et, last but not least, de “Dangerous” de Michael Jackson, sorti à peine deux mois après “Diamonds And Pearls”. Les places étaient chères dans le Discman, mais “Diamonds And Pearls” avait la sienne – de choix évidemment.
“Diamonds And Pearls” est un disque important, attachant, moderne, accessible et sophistiqué à la fois, mainstream, certes – cela dit, comparé à celui de 2023, le mainstream de 1991 paraît presque avant-gardiste ! –, mais bien plus osé qu’il n’y paraît. Ce magnifique coffret “Super Deluxe” permet de mesurer à quel point ce créateur insatiable ne se reposait décidément jamais sur ses lauriers.

ÉPILOGUE 2
Et là vous vous dites : « Mais pourquoi ne parle-t-il pas du concert filmé au Glam Slam en janvier 1992 figurant aussi dans le coffret “Super Deluxe” ?! » Le son étant déjà disponible depuis plusieurs jours sur les plateformes de streaming au moment où j’écris ces lignes, j’imagine que, comme moi, vous l’écoutez déjà en boucle. Vivement les images !

ÉPILOGUE 3
J’avais oublié, dans le clip de Cream, cette scène amusante où l’on voit un reporter s’approcher de Prince et lui poser cette question : « Prince, vous considérez-vous comme un Mozart des temps modernes ? » Et l’intéressé de répondre sans hésiter : « Oui. »

ÉPILOGUE 4
À partir de lundi sur fredgoatylapepitedujour (Instagram et Facebook), SEMAINE SPÉCIALE DIAMONDS AND PEARLS. Ne manquez pas ça !

Photos : © Paisley Park Enterprises / Randee St. Nicholas.