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Classiq Rock

Jimi Hendrix au pays de la femme électrique

Jimi Hendrix Electric 50

Have You Ever Been to Electric Ladyland ? Retour sur le double manifeste de Jimi Hendrix réédité en version Super Deluxe pour ses 50 ans.

« Nous nous excusons pour ce retard. Nous avons travaillé très dur ces derniers temps, que ce soit sur scène ou en studio ». La note d’accompagnement des bandes masters d’“Electric Ladyland” signée par Jimi Hendrix résume en peu de mots la fatigue physique et morale ressentie à la fin de l’été 1968. Les tournées incessantes décrétées par Mike Jeffery, un manager aux méthodes contestables, commencent à peser lourd sur les épaules du guitariste. Il faut ajouter à un emploi du temps aliénant la frustration grandissante de Noel Redding, le bassiste d’un trio en fin de parcours. Toutes les conditions semblent réunies pour que le troisième album de la Jimi Hendrix Experience n’atteigne pas les sommets d’“Are You Experienced” et “Axis : Bold As Love”. Résultat de plusieurs mois de sessions enregistrées entre Londres et New York, “Electric Ladyland” constituera néanmoins l’aboutissement discographique de la courte carrière de Jimi Hendrix.

Open sessions
Contrairement à ce que son titre semble indiquer, “Electric Ladyland” n’a pas été réalisé dans le fameux local de Greenwich Village associé au nom d’Hendrix. C’est à Londres, aux studios Olympic, que démarrent les séances à la fin 1967. Les prototypes de Crosstown Traffic et d’All Along The Watchtower, une reprise de Bob Dylan tirée du récent “John Wesley Harding”, y sont gravés en décembre. Invités de marque de cette production londonienne, Brian Jones, en vacances de Rolling Stones, et Dave Mason, membre fondateur de Traffic, inaugurent un principe d’open session placée sous le signe du système D : Hendrix utilise un kazoo – en réalité un peigne recouvert de cellophane – pour doubler sa ligne de guitare dans Crosstown Traffic. Lors de la mise en boîte d’All Along The Watchtower, c’est un briquet qui glisse sur les cordes de la Stratocaster. Excédé par le nombre exponentiel de prises de ce dernier titre, Noel Redding quitte les lieux à mi-parcours, ce qui contraint Hendrix à empoigner la basse. Les tentatives suivantes sont effectuées en compagnie de Mitch Mitchell à la batterie, Dave Mason à la guitare acoustique et Brian Jones au piano. Multi-instrumentiste de talent au sein des Rolling Stones, Jones s’avère cependant un piètre pianiste aux côtés d’Hendrix. L’essai est avorté, et l’archange blond devra se contenter de jouer des percussions sur la prise finale, une renversante sublimation électrique de la composition folk de Robert Zimmerman. « Je préfère la version de Dylan », commentera l’acerbe Noel Redding dans le documentaire Classic Albums paru en 2002.

Bourreau de travail
Au lendemain de cette étape britannique, les incessantes obligations promotionnelles accompagnant la sortie d’“Axis : Bold as Love” vont éloigner Hendrix du studio jusqu’au printemps 1968. Le groupe sillonne le territoire américain jusqu’en avril, puis la Jimi Hendrix Experience s’installe à New York. L’élaboration du nouvel album reprend au Record Plant, un des rares endroits possédant un équipement 12-pistes flambant neuf. « C’était un très bon studio, très différent d’Olympic qui ressemblait à une cathédrale. Le Record Plant était beaucoup plus petit, mais le son était en revanche excellent », se souviendra Mitch Mitchell. Les bandes enregistrées à Londres traversent l’Atlantique et signifient le début du cauchemar pour l’ingénieur du son Eddie Kramer : « nos premiers enregistrements sur quatre pistes ont été transférés sur douze, puis plus tard en seize. Une vrai galère, car tout le travail effectué jusqu’ici était bon pour la poubelle ». À l’instar de Kramer, Jimi Hendrix devient un bourreau de travail au grand dam du personnel du Record Plant, épuisé par les incessantes jam-sessions improvisées au milieu de la nuit et le nombre astronomique de prises accumulées par le guitariste, en particulier sur Gypsy Eyes et Voodoo Child (Slight Return). Chas Chandler est le premier à craquer : au mois de mai, l’ancien bassiste des Animals et co-manager du guitariste claque la porte, excédé par la présence de visiteurs inopportuns lors des séances de travail : « il y avait un bon nombre de squatters dans le studio, des amis, des groupies et tout un tas de types qui passaient par là. Au bout d’un moment, l’artiste qui se retrouve dans cette situation se contente juste de jouer pour la galerie, et pas pour la console », commente Chandler. Quelques-unes de ces jams donneront néanmoins lieu à des prises mémorables, parmi lesquelles le spectaculaire shuffle jazz-funk de Rainy Day, Dream Away en compagnie du batteur Buddy Miles et de Mike Finnigan aux claviers, et les quinze minutes de blues cosmique de Voodoo Chile, capturées aux petites heures du matin avec Stevie Winwood à l’orgue et Jack Casady du Jefferson Airplane à la basse.

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Buddy Miles et Jimi Hendrix pendant l’enregistrement d’Electric Ladyland au Record Plant de New York

Mastering foiré
La créativité de Jimi Hendrix atteint des sommets lors de son séjour au Record Plant. Les idées foisonnent et le guitariste s’impose en véritable maître du studio. Hendrix fait également preuve de ses qualités de multi-instrumentiste en s’accaparant la basse, les chœurs et même le clavecin sur Burning of the Midnight Lamp, un titre inachevé d’“Axis : Bold As Love”. Sans surprise, le son des guitares bénéficie également d’une attention particulière : sur Burning of the Midnight Lamp, Eddie Kramer parvient à recréer le son d’une mandoline en accélérant la vitesse d’une partie de wah-wah. On entend une guitare rejouée à l’envers sur Have You Ever Been (To Electric Ladyland) ?, un superbe hommage à la soul de Curtis Mayfield, et le rugissement de panthère qui clôture House Burning Down est celui d’une Stratocaster filtrée au travers d’un écho. Étendu sur près de 14 minutes, 1983… (A Merman I Should Turn To Be), l’apogée psychédélique de l’album, propose un épique voyage sous-marin où les cris de mouettes sont recrées à partir de larsens échappés d’un casque d’écoute tandis que les alizés soufflant sur Moon, Turn The Tides…Gently Gently Away proviennent tout simplement de la bouche du guitariste. Come On (Let The Good Times Roll), une reprise d’un classique néo-orléanais d’Earl King, est le dernier titre enregistré le 27 août. Trois jours plus tard, Eddie Kramer expédie les bandes d’“Electric Ladyland” au mastering. Circonscrit par le bombardement électronique d’…And The Gods Made Love et la détonation fuzz de Voodoo Child (Slight Return), l’album sort aux États-Unis le 16 octobre.

La critique et le public saluent le double vinyle comme le chef-d’œuvre du guitariste, mais le musicien ne cache pas sa déception devant le mixage final effectué par le label Reprise : « la plupart des morceaux sonnent comme des brouillons. Il y a beaucoup trop de basse. Nous l’avions produit et mixé nous-mêmes, mais comme le temps pressait, ils ont foiré le mastering car ils ignoraient ce qu’on voulait faire. Il y a des parties enregistrées en trois dimensions qui tombent complètement à plat, juste parce qu’ils ne savaient pas comment effectuer la gravure proprement ». Une autre déception viendra de la pochette d’“ Electric Ladyland”. La photo originale prise par Linda Eastman (la future Mme McCartney), montrant Jimi Hendrix entouré d’enfants sur un rocher de Central Park, a été remplacée en Angleterre par un visuel Caligulesque représentant une assemblée de naïades aux seins nus. Quand la femme électrique devient érotique…

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La pochette originale britannique d’Electric Ladyland

Retour à Electric Ladyland
Dans le cadre de la commémoration du 50ème anniversaire de la sortie d’Electric Ladyland, le double manifeste de Jimi Hendrix paru en 1968 est de retour dans une édition Deluxe disponible en versions 3 CD+1 Blu-ray et 6 LPs+1 Blu-Ray. Celles-ci incluent le double album original, récemment remasterisé par Bernie Grundman à partir des bandes analogiques. Le coffret contient également Electric Ladyland : The Early Takes présentant des démos et des enregistrements studio de cette période, ainsi qu’un mix Blu-Ray audio en 5.1 et haute résolution 24 bits / 96 KhZ de l’album original dans son intégralité par Eddie Kramer.

Jimi Hendrix Electric 50Electric Ladyland : The Early Takes contient des démos acoustiques —et bien connues des collectionneurs— qu’Hendrix avait enregistrées lui-même sur un magnétophone Teac au début de l’année 1968, et des premières parties de concerts au Sound Center et au Record Plant de New York. « Angel Caterina » (un brouillon de « 1983…) et un « Little Miss Strange » instrumental font apparaître en tant qu’invités Buddy Miles et Stephen Stills. Une des deux prises électriques de « Long Hot Summer » est exécutée par un trio réunissant Hendrix, Mitch Mitchell et Al Kooper au piano. Ce volume de raretés propose une prise alternate de « Rainy Day, Dream Away » relativement proche du produit fini, suivi d’un « Rainy Day Shuffle » uptempo. « At Last…the Beginning » constitue la version préliminaire d’« And the Gods Made Love ». Les démos de Jimi Hendrix, enregistrées en mars 1968, alors qu’il logeait au Drake Hotel de Manhattan comprennent également des interprétations de « Voodoo Chile » et « Gypsy Eyes » et des ébauches unplugged d’« Angel » et « My Friend », deux titres absents de l’album. Ce génreux disque bonus de 78 minutes se conclut sur une mise à plat de « 1983… A Mermaid I Should Turn To Be », à défaut des works in progress de « All Along The Watchtower » et « Voodoo Child (Slight Return) »…

Jimi Hendrix Experience : Live At the Hollywood Bowl 9/14/68, un disque live bonus issu de la série officielle des enregistrements pirates du label Dagger Records constitue une autre pièce exclusive — ne manquez pas l’introduction destroy de « Are You Experienced » et une des rares sorties scéniques de « Little Wing ». Cet enregistrement inédit à la prise de son aléatoire montre le groupe quelques semaines seulement avant la sortie d’Electric Ladyland, une performance brute et chaotique devant les nageurs indisciplinés de la célèbre piscine du Hollywood Bowl. Le Blu-ray inclus dans le coffret contient également la version augmentée de 40 minutes du documentaire At Last… The Beginning: The Making of Electric Ladyland, anciennement issu de la collection Classic Albums. Enfin, L’édition deluxe contient un livre de 48 pages avec des paroles manuscrites de Jimi Hendrix, des poèmes et des instructions à son label ainsi que des photos inédites des enregistrements prises par Eddie Kramer.

Jimi Hendrix Electric Ladyland 50th Anniversary (Experience Hendrix/Sony Legacy). Disponible le 9 novembre en éditions 3 CD/Blu-ray, 6 LPs/Blu-ray et versions digitales. Tracklistings complets ci-dessous.

Electric Ladyland
1) … And the Gods Made Love
2) Have You Ever Been (To Electric Ladyland)
3) Crosstown Traffic
4) Voodoo Chile71CkGh-Px9L._SL1500_
5) Little Miss Strange
6) Long Hot Summer Night
7) Come On (Part I)
8) Gypsy Eyes
9) Burning of the Midnight Lamp
10) Rainy Day, Dream Away
11) 1983….(A Merman I Should Turn To Be)
12) Moon, Turn the Tides….Gently Gently Away
13) Still Raining, Still Dreaming
14) House Burning Down
15) All Along the Watchtower
16) Voodoo Child (Slight Return)

At Last…The Beginning: The Making of Electric Ladyland: The Early Takes
1) 1983…(A Merman I Should Turn To Be)
2) Voodoo Chile
3) Cherokee Mist
4) Hear My Train A Comin’
5) Angel
6) Gypsy Eyes
7) Somewhere
8) Long Hot Summer Night [Démo 1]
9) Long Hot Summer Night [Démo 3]
10) Long Hot Summer Night [Démo 4]
11) Snowballs At My Window
12) My Friend
13) At Last…The Beginning
14) Angel Caterina (1983)
15) Little Miss Strange
16) Long Hot Summer Night [Take 1]
17) Long Hot Summer Night [Take 14]
18) Rainy Day, Dream Away
19) Rainy Day Shuffle
20) 1983…(A Merman I Should Turn To Be)

Jimi Hendrix Experience: Live At The Hollywood Bowl 14 septembre1968 (Dagger Records)
1) Introduction
2) Are You Experienced
3) Voodoo Child (Slight Return)
4) Red House
5) Foxey Lady
6) Fire
7) Hey Joe
8) Sunshine of Your Love
9) I Won’t Live Today
10) Little Wing
11) Star Spangled Banner
12) Purple Haze

At Last… The Beginning: The Making of Electric Ladyland documentary (Blu-ray)
• LPCM Stéréo 24b/96k non compressé
• LPCM 5.1 Multicanal 5.1 24b/96k non compressé
• DTS-HD Master Audio Multicanal 5.1 24b/96k