Pour la première fois, les quatre albums de Van Halen publiés entre 1986 et 1995 avec Sammy Hagar au micro sont remasterisés et réédités en coffret LP ou CD, avec un disque supplémentaire de huit titres.
Vous auriez vu nos têtes le jour où l’on apprit que David Lee Roth avait claqué la porte de Van Halen ! Cela dit, vu le succès phénoménal de son EP “Crazy From The Heat” en 1985, on la sentait venir cette séparation. La craignait-on ? Oui et non, car on savait le garçon capable de voguer solo, surtout s’il trouvait le guitar hero capable non pas de faire oublier Edward Van Halen – ça, c’était impossible – mais d’entrer en osmose avec lui. Ce fut le cas avec Steve Vai, qui avait déjà fait des miracles au sein d’Alcatrazz, aux côtés du chanteur Graham Bonnet.
Ainsi, le classique instantané “Eat ’Em And Smile” sortit en juillet 1986, sous nos applaudissements.
Mais c’était sans compter sans les ex-camarades du sémillant David qui, eux aussi, n’avaient pas tardé à s’inventer un avenir avec Sammy Hagar en publiant “5150” trois mois plus tôt, en mars de la même année. Pour la petite histoire, le producteur Ted Templeman, avait songé à embaucher Hagar peu de temps après avoir découvert Van Halen en 1977, guère convaincu par les capacités vocales de leur frontman. Mais le natif de Monterey attendra finalement huit ans – ce qui paraît bien peu aujourd’hui – avant de devenir officiellement le second chanteur de Van Halen, vite rebaptisé Van Hagar par ceux qui ne faisaient pas à l’idée de continuer à aimer leur groupe chéri avec un autre chanteur que Diamond Dave.
Tant que Steve Vai resta aux côtés de David Lee Roth, tout se passa très bien pour l’inénarrable showman au look bariolé ; mais dès que le guitariste plia bagage pour se consacrer à sa carrière solo – non sans accepter d’abord une petite pige sympa pour un disque et une tournée mondiale avec Whitesnake –, la machine se grippa, et D.L.R. ne retrouva jamais la formule magique, tandis que ses ex-compères alignaient les disques de platine : de “5150” à “Balance”, en 1995, en passant par “OU812” en 1988 et “For Unlawful Carnal Knowledge” en 1991, ce sont plus de seize millions d’albums qu’ils écoulèrent, sans compter des tournées toutes aussi sold out et lucratives les unes que les autres.
C’est donc cette période non moins faste que la première qui a les honneurs du coffret – cinq LP et/ou cinq CD pour la première fois remasterisés – “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” (Warner Records). Pour info, nous avons pu approcher, manipuler et écouter le coffret LP : l’objet est magnifique, les pressages de grande qualité, l’impression des pochettes itou. Ce qui n’enlève rien au coffret CD. Chacun son support, pas de jaloux ! [On vient de nous confirmer en revanche que “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” ne sortira pas en cassette, NDR.]
On le sait, les pro-Roth et les pro-Hagar se crêpent le chignon depuis trente-sept ans et mourront certainement avec leurs convictions. Alors essayons d’être un peu plus mesurés qu’eux. Le Van Halen featuring David Lee Roth est incontestablement le plus historique et culte. Les chansons, les instrumentaux, les reprises les plus populaires (Eruption, You Really Got Me, Dance The Night Away, Spanish Fly, Unchained, Pretty Woman, Jump, Hot For Teacher…) et les solos de guitare d’Edward Van Halen entrés dans la mémoire collective ont tous été gravés entre 1978 et 1984. Et il faut bien avouer que Van Halen sans David Lee Roth n’était plus tout à fait le vrai Van Halen, mais un autre Van Halen ; et c’est d’ailleurs ce qui pouvait arriver de mieux à Edward, son frère Alex et Michael Anthony : prendre une nouvelle direction avec un chanteur très différent du précédent.
Si le Van Halen featuring Sammy Hagar n’a jamais rallié tous les suffrages – du moins en Europe – et suscite beaucoup moins de nostalgie que sa première incarnation, c’est sans doute parce que Sammy Hagar était déjà très connu aux États-Unis, grâce au maousse premier album de Montrose paru en 1973 (et produit, tiens, tiens, par Ted Templeman), sa carrière solo, qui avait atteint des sommets en 1983 grâce à la chanson-manifeste I Can’t Drive 55, sans oublier l’éphémère super group HSAS avec Neal Schon à la guitare, Kenny Aronoff à la batterie et Michael Shrieve à la batterie. Ainsi, son arrivée dans Van Halen ressemblait pour beaucoup à un “coup” presque marketing ; nombre de fans se dirent : « Ça ne durera pas. » Résultat : neuf ans d’histoire commune et, donc, un tombereau de disques de platine à la clé.
Musicalement parlant, le Van Halen des années 1986-1995 perdit en fantaisie et en originalité ce qu’il gagna en redoutable efficacité. Sans rien renier de leur ADN hard-rock, Sammy, Edwar, Michael et Alex entrèrent dans une sorte de mainstream, et furent l’un des rares groupes des années 1970-1980 à ne pas souffrir de la déferlante grunge des années 1990.
Sammy Hagar n’est sans doute pas le chanteur le plus sensuel qui soit, et côté lyrics, on est loin de Bob Dylan, même si une certaine forme de poésie virile affleure parfois au détour de certaines paroles – si on plaisante ? Allez savoir… En revanche, sa puissance, sa technique, son énergie contagieuse et sa folie savamment canalisée allaient comme un gant aux hard-rock toujours plus heavy prodigué par ses collègues de travail. Quant au magicien de la six-cordes, si ses riffs n’avaient peut-être plus tout à fait l’implacable évidence de ceux distillés entre 1978 et 1984, il resta tout de même au top, et réécouter aujourd’hui avec le tout le recul nécessaire – doublé, hélas, d’un triste sentiment de manque – la manière dont son imagination était encore au pouvoir impose le respect.
Aux quatre classic albums cités plus haut a été ajouté “Studio Rarities 1989-2004”. Hmm, rarities, vraiment ? A Apolitical Blues de Lowell George (une reprise plutôt fidèle de Little Feat extraite de leur album de 1972, “Sailin” Shoes”, produit par, toujours lui, Ted Templeman) et l’instrumental Baluchitherium figuraient respectivement dans les versions CD de “OU812” et “Balance” (mais certes pas sur les versions LP…), Crossing Over dans le CD single de Can’t Stop Loving You, Humans Being et l’instrumental Respect The Wind dans le CD de la BO de Twister de Jan de Bont et, enfin, It’a About Time, Up For Breakfast et Learning To See dans la compilation “The Best Of Both Worlds” parue en 2004. Pas de vrais raretés et encore moins d’inédits donc, mais un simple regroupement de chansons et d’instrumentaux épars. Je sens que quelques hardcore fanatics vont ronchonner.
Espérons pour eux – et pour nous – que dans les prochaines années des versions “Super Deluxe” ou, qui sait, un mirifique coffret étancheront toutes les soifs d’unreleased tracks, outtakes et autres demos – sans oublier les non moins indispensables livrets truffés de liner notes, memorabillia et photos rares (on l’aura compris : il n’y a pas de livret non plus dans notre coffret du jour).
Reste que la (re)découverte de ces albums de Van Hag…, pardon, Van Halen, remasterisés avec un soin qu’on imagine maniaque par Bernie Grundman nous renvoie à une époque joyeusement décomplexée qui semblera certes lointaines aux moins de 40 ans, et nous rappelle si besoin était que Van Halen, depuis que l’âme du groupe s’est envolée le 6 octobre 2020 – trois ans déjà… –, est désormais dans l’incapacité absolue de se reformer, et ça, c’est bien triste. Pourvu, donc, que les ayants-droit du regretté guitariste – Wolgang, si tu nous lis… – entretiennent la mémoire et fassent intelligemment fructifier l’héritage en puisant dans les archives du home studio d’Edward, le fameux 5150, qu’on sait riches en trésors. En attendant, “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” entretient la flamme.
COFFRET “The Collection II Van Halen 1986-1996 Studio Albums & Rarities” (LP ou CD, Warner Records, dans les bacs le 6 octobre).