À l’occasion du 20ème anniversaire de sa sortie, Radiohead rééditera le 23 juin OK Computer dans une version augmentée intitulée OKNOTOK comprenant des faces-B et trois titres inédits.
En 1997, Radiohead ressemblait à la plus belle fille de la Fac. Celle dont tous les garçons étaient amoureux et que tous les autres jalousaient, tout en essayant de l’imiter. Vingt ans plus tard, après la fuite du temps et quelques déceptions, elle ne possède plus le même éclat, mais dès qu’elle entre dans la pièce, chacun éprouve encore le même pincement au coeur… En 1997, Radiohead marchait sur l’eau après la sortie d’OK Computer. Le 23 juin, la réédition OKNOTOK proposera une version remasterisée et augmentée de faces-B et de trois inédits – la marche orchestrale « I Promise », le foudroyant « Man of War » et le vertigineux « Lift » – d’un classic album à la gestation difficile, un combat entre l’homme et la machine où se croisent le rock progressif, Miles Davis et des louves en chaleur…
La maison des esprits
L’enregistrement d’OK Computer débute en juin 1996 à Oxford, au local de répétition de Radiohead, rebaptisé Canned Applause (« applaudissements en boîte »). Dès les premières sessions, Radiohead est confronté à deux problèmes de taille : En premier lieu, le groupe est livré à lui-même. « La décision de nous auto-produire a fait resurgir les tensions au sein du groupe. Tout d’un coup, il y avait trop de choses à apprendre en un minimum de temps », explique le batteur Phil Selway. En refusant toute aide extérieure – hormis celle de Nigel Godrich, dont le rôle sera de plus en plus important au fil des sessions – Radiohead se retrouve avec cinq producteurs. Les tensions internes refont surface, et le régime démocratique de Radiohead vole en éclat devant l’obstination de Thom Yorke. « On fonctionne comme les Nations Unies. Vous pouvez obtenir le veto, mais l’Amérique, c’est moi », déclare le chanteur à la presse. Thom Yorke est aussi persuadé que le fait d’enregistrer dans le local d’Oxford n’est pas la meilleure des solutions. « Le problème, c’est que nous pouvions rentrer chez nous à chaque instant. C’est très difficile de se concentrer sur un enregistrement quand on sait qu’il faut rentrer à la maison pour faire la vaisselle ».
Ce qui apparaissait comme une oasis de liberté se transforme bientôt en cellule confinée. Le groupe se voit contraint de déménager son studio dans un autre endroit. En septembre 1996, Radiohead s’installe à Saint Catherine’s Court, un manoir du 15ème siècle appartenant à l’actrice Jane Seymour, la James Bond girl de Vivre et laisser mourir. Situé près de Bath, l’endroit est perdu au milieu de la forêt. La bibliothèque du manoir est transformée en studio d’enregistrement, une chambre est réquisitionnée pour la batterie tandis que les prises de voix s’effectuent dans l’imposante salle de bal du rez-de-chaussée. A peine arrivés dans les lieux, les membres du groupe s’imprègnent de l’âme séculaire de la bâtisse. « Quelqu’un avait gravé 1612 sur mon lit », se souvient le multi-instrumentiste Jonny Greenwood, « imaginez combien de bébés sont nés, combien de gens sont morts et combien ont pu faire l’amour dans cette chambre ». Thom Yorke, fasciné par l’endroit, croit apercevoir des esprits s’échappant des vieilles pierres du manoir. Inexplicablement, les magnétophones se mettent en route et se rembobinent sans raison. Et lorsque les louves en chaleur se mettent à hurler à l’unisson à la nuit tombée, le doute n’est plus permis : les lieux sont hantés.
King Crimson et Miles Davis
Exalté par le curieux mélange de matériel de pointe et d’esprits ancestraux, Radiohead passera les deux mois suivant à redéfinir le son du groupe, ainsi que ses techniques d’enregistrement. « Nous étions totalement ignorants. Il nous arrivait de nous retrouver à tester les capacités d’un delay numérique en tournant les boutons dans tous les sens et en hurlant « c’est génial ! ». Nigel Godrich s’arrachait les cheveux. De vrais gamins devant leurs nouveaux jouets… », se souvient Thom Yorke. Le chanteur de Radiohead vient également d‘acquérir un MiniDisc sur lequel il échantillonne des fragments de chansons ainsi que des sonorités ambiantes. Le sampleur joue aussi un rôle important dans les nouvelles compositions de Radiohead. Avançant à découvert en terrain numérique, Radiohead ne délaisse pas pour autant l’analogique, et encore moins les instruments vintage. Jonny Greenwood s’est converti au Mellotron, l’instrument de prédilection du prog-rock capable de simuler des ensembles orchestraux. Si le multi-instrumentiste se défend d’apprécier un genre popularisé par Genesis, Yes et King Crimson, l’ombre du rock progressif plane sur une partie des nouveaux titres enregistrés à Saint Catherine’s Court.
On retrouve le Mellotron sur « Exit Music (for a Film) », un hommage aux travaux atmosphérique d’Ennio Morricone et « Airbag », un morceau hybride entre electronica et rock à guitares qui définit la nouvelle direction musicale de Radiohead. La partie de batterie de Phil Selway est constituée d’une boucle de trois secondes tirée d’une prise live enregistrée en studio. « On s’est inspirés de DJ Shadow, qui taille puis réassemble à l’infini des loops de batterie dans ses morceaux », explique le batteur. D’autres titres comme « Paranoid Android » (trois morceaux concentrés en un seul, à la manière d’ »Happiness is a Warm Gun » des Beatles), « Let Down » et « Exit Music (for a Film) » utilisent les signatures rythmiques « risquées » à la manière du prog-rock en multipliant les 7/8 et les 5/4. Autre influence dominante : celle de Miles Davis et de son révolutionnaire Bitches Brew paru en 1969. Sur « Subterranean Homesick Alien », le Fender Rhodes domine un mix complexe auquel viennent s’ajouter les lamentations de la pédale Whammy de Jonny Greenwood. « Miles Davis ajoutait souvent des delays planants sur sa trompette, et c’est ce que Jonny a essayé de reproduire », commente Thom Yorke.
« Viser et rater »
Avec l’aide de Nigel Godrich, Radiohead parvient bientôt à capturer l’ambiance particulière des lieux. L’atmosphère hantée de Saint Catherine’s Court resurgit sur le claustrophobique « Climbing Up the Walls », où la ligne de basse de Colin Greenwood tisse un motif menaçant sur un canevas de guitares acoustiques saturées, de voix filtrées et de cordes dissonantes avec 16 violons jouant chacun à une quarte d’intervalle. Enfin, « Fitter Happier » et son texte tout droit sorti des ouvrages d’épanouissement personnel (« Ne pas trop boire/Aller trois fois par semaine à la salle de gym/ Une voiture plus sûre/ Laver sa voiture le dimanche… ») illustre les nouvelles préoccupations du groupe et de son leader. « J’ai écrit cette liste un jour où tout allait mal. On aurait dit une liste de courses. Je l’ai montrée aux autres et ils ont trouvé ça très bon », se souvient Thom Yorke. Le résultat, une voix neutre et complètement déshumanisée sur fond de samples difficilement audibles (dont un extrait des Trois jours du condor samplé sur MiniDisc) résume la démarche d’OK Computer, qui décrit un monde où la technologie prend le pas sur l’humain. Tout au long de l’album, les textes de Thom Yorke semblent inachevés, parfois composés d’embryons de phrases ou de citations obscures entrecoupées de samples, de signaux radios et de voix virtuelles. « Sur OK Computer, la stratégie était simple : il fallait viser et rater », explique Thom Yorke. Computer KO : c’est en détournant l’usage des machines que Radiohead est sorti vainqueur de l’affrontement.
Radiohead OK Computer OKNOTOK (XL/Beggars). Disponible le 23 juin en version 2-CDs, triple-LP et digitales. Coffret colector OKNOTOK Boxed Edition disponible en juillet.
Tracklisting
1. Airbag
2. Paranoid Android
3. Subterranean Homesick Alien
4. Exit Music (For A Film)
5. Let Down
6. Karma Police
7. Fitter Happier
8. Electioneering
9. Climbing Up The Walls
10. No Surprises
11. Lucky
12. The Tourist
13. I Promise* inédit
14. Man of War* inédit
15. Lift* inédit
16. Lull
17. Meeting In The Aisle
18. Melatonin
19. A Reminder
20. Polyethylene (Parts 1 and 2)
21. Pearly
22. Palo Alto
23. How I Made My Millions
Sources texte : Exit Music : The Radiohead Story, Mac Randall (Omnibus Express 1999), From a Great Height, Jonathan Hale (ECW, 99)