Le 24 février, le label Craft Recordings célèbrera la magnificence soul du festival Wattstax à travers plusieurs coffrets. Guy Darol, auteur de Wattstax 20 août 1972, une fierté noire vous dit tout.
Qu’est-ce que Wattstax ? Un assemblage de mots puissants. D’un côté, Watts, un quartier paupérisé de Los Angeles, entré en rébellion le 11 août 1965 à la suite de l’arrestation du jeune Marquette Frye. De l’autre, Stax, un label de musique notoirement soul, à l’origine des succès d’Otis Redding et de Wilson Pickett, dont le nom est lui-même la contraction de Jim STewart et Estelle AXton, ses créateurs en 1961.
Lorsque Al Bell, le vice-président du label, lance un satellite de Stax à Los Angeles en 1971, il va à la rencontre des habitants de Watts et note que ceux-ci ont perdu tout espoir de voir s’améliorer leurs conditions de vie. Il envisage alors de former l’événement qui ferait jaillir l’espérance, un rassemblement musical et politique qui agirait comme un levier de fierté, la preuve sublime, monumentale, irrécusable que les Afro-Américains sont capables d’une démonstration de force, pacifique, joyeuse, durablement féconde.
Porté par Al Bell, Forrest Hamilton, Jesse Jackson, Melvin Van Peebles et Isaac Hayes, cet événement cherche son nom. Le flamboyant succès de Woodstock inspire immédiatement celui de Wattstock. Mais un festival organisé par Stax ne devait-il pas tout simplement s’appeler Wattstax ? Encore fallait-il lui trouver un cadre pour se déployer. Tommy Jacquette avait été l’un des premiers protestataires à se faire arrêter dans la furie de Watts qui avait compté 34 morts et plus de mille blessés. À l’issue de ce moment crucial pour l’avenir de la communauté Afro-Américaine, Tommy Jacquette avait décidé de créer en 1966 le Festival d’Été de Watts. C’est dans ce cadre que s’inscrira Wattstax, et c’est dans un stade habituellement réservé à des rencontres de foot que le festival déroulera son programme, le dimanche 20 août 1972.
Le Los Angeles Memorial Coliseum disposait de 78 000 places assises. Ce jour-là, particulièrement radieux, il accueillit 112 000 visiteurs, au tarif d’un dollar. La recette serait redistribuée au Festival d’Été de Watts, à l’hôpital Martin Luther King, à une fondation qui œuvrait à aider les malades atteints de drépanocytose, ainsi qu’au Watts Labor Community Action Committee, un organisme qui apportait son soutien aux habitants de Watts en grande difficulté.
Le 20 août 1972 n’était pas un jour choisi au hasard. Il coïncidait avec l’anniversaire des 30 ans d’Isaac Hayes, occasion d’un défilé dans les rues de Los Angeles avant l’entrée en scène dans un stade dont la sécurité était assurée par des policiers Noirs du LAPD. La consigne donnée par Al Bell était stricte : ces policiers ne devaient pas porter d’arme.
Au programme : quelques discours de Jesse Jackson, futur candidat démocrate aux élections de 1984 et 1988, dont le plus vibrant, le plus significatif de l’adhésion de Stax à la doctrine du Black Power, pouvait se résumer par ces phrases : « Je suis quelqu’un. Je suis peut-être pauvre, mais je suis quelqu’un. Je touche peut-être une aide sociale, je n’ai peut-être aucune qualification, mais je suis quelqu’un. Je suis Noir, magnifique, fier. » Des phrases que le public répétaient après lui, debout, le poing levé. Nombreuses étaient les harangues, reprises de confiance et de force, moments où l’Amérique opprimée se resserraient comme une entité que rien ne pouvait fracasser. Ceci après des décennies où naître Noir signifiait que l’on était condamné à mort.
Au programme : du blues, du gospel, du jazz, du funk, de la soul. Tous les grands noms que comptait Stax. Une trentaine (chanteuses, chanteurs, groupes) parmi lesquels Carla Thomas (à 17 ans, elle avait vendu un million d’exemplaires de son single Ghee Whiz), Isaac Hayes (à lui seul, une heure de concert, et bien sûr son Theme From Shaft qu’un Grammy et un Oscar venaient de couronner), Eddie Floyd qui ferait résonner Knock On Wood (écrite au Lorraine Motel où Martin Luther King fut abattu d’une balle dans la gorge le 4 avril 1968), The Staple Singers, The Bar-Kays, l’immense guitariste et chanteur de blues Albert King, l’émouvant Frederick Knight, l’indispensable David Porter (imaginez que sans lui Soul Man chantés par Sam & Dave n’aurait pu exister), William Bell, auteur d’un Tribute To A King en hommage à Otis Redding. Mais refermons la liste.
Le label californien Craft Recordings la réouvre cette liste, si longue que personne avant lui n’avait osé aligner tant de gemmes. Qu’elles appartiennent au concert lui-même, au film de Mel Stuart qui sortira en 1973 (il y a donc 50 ans !), aux concerts enregistrés au Summit Club en septembre et octobre 1972 (ceux de Little Milton, Johnnie Taylor, Sons Of Slum, pour ne citer qu’eux), dans une église baptiste de Watts (The Emotions), ces perles précieuses décrivent l’un des meilleurs panoramas de la musique noire. Déjà à l’avant-pointe des combinaisons du gospel, du jazz et de la soul, ces mélanges savants dont le hip-hop fera son miel.
CD / LP
“Soul’d Out : The Complete Wattstax Collection” (Craft Recordings / Universal). Un coffret Super Deluxe comprenant 12 CD, 31 titres totalement inédits, et un livret de 76 pages richement illustré avec des textes d’Al Bell, A. Scott Galloway et Rob Bowman.
“Wattstax : The Complete Concert” (Craft Recordings / Universal). Un coffret Deluxe 6 CD et un coffret 10 vinyles regroupant tous les titres de la journée du 20 août, avec 18 inédits.
“Wattstax : The Living Word + The Living Word, Wattstax 2” (Craft Recordings / Universal). Les deux albums originaux parus en 1972 et 1973, réédités en vinyle.
“The Best Of Wattstax” (Craft Recordings / Universal). 20 titres emblématiques du concert.
Photos : X/DR (Stax / Craft Recordings).