Avec “InFinite”, les Space Cowboys du hard-rock briton signent un album qui marque… leur retour en forme ? Mieux que ça : leur réjouissante longévité.
Comparaison n’est pas raison, et l’on évitera donc de ressortir de notre discothèque les Deep Purple vintage des glorieuses années 1970/1976, sans oublier le millésime 84, celui de “Perfect Strangers” : autres temps, autres mœurs et sommets indépassables.
En 1996, trois ans après le second départ de Ritchie Blackmore, Ian Gillan, Jon Lord, Roger Glover et Ian Paice, déterminés à continuer d’écrire ensemble leur histoire, livraient “Perpendicular”, le premier fruit de leur travail avec leur nouveau lead guitar player, Steve Morse, un choix aussi inattendu, mais somme toute payant, que celui du génial Tommy Bolin en 1976 – à croire que seuls des virtuoses américains peuvent succéder à l’Homme en Noir venu de la Terre des Angles, et retourné depuis des lustres, hélas, au Moyen Âge, tel un Ritchouille la Fripouille parti de rien, revenu de tout et lassé par le rock’n’roll circus (ce qui ne l’a pas empêché de remettre le couvert heavy rock en 2016 pour quelques concerts made in Europe qui affichèrent évidemment sold out).
Contrairement à l’autre album du comeback de Deep Purple (“Perfect Strangers”), “Perpendicular” n’avait rien du classique instantané, mais au moins avait-on gagné un nouveau « Purple » (comme disent les fans), moins baroque, plus sage, plus discipliné, mais, comme on pouvait s’en douter, sans le petit supplément d’âme et, surtout, le grain de folie blackmorien. Enregistrant leurs opus studio à un rythme de sénateur – seulement quatre en dix-neuf ans… –, publiant des CD et des DVD live à un tempo frénétique – sans pour autant faire oublier le sublime “Made In Japan” – et, surtout, tournant aux quatre coins du monde, nos vieux amis finirent cependant par gagner leurs galons bien mérités de classic rock artists, de groupe de légende que la presse rock branchée prenait toujours soin d’ignorer mais que le public, toutes générations confondues (Papy, Papa et le fiston vont souvent ensemble écouter « Purple »…), applaudit à tout rompre dans des salles qui ne désemplissent plus.
Mais il faut bien se rendre à l’évidence : cela fait désormais plus de vingt ans que Gillan & C° semblent avoir perdu le secret du hit record, du riff magique, de l’intro qui tue et du refrain entêtant, genre Speed King, Highway Star, Smoke On The Water, Black Night ou Perfect Stranger. Contrairement à leurs classiques d’or et de plomb massif des glorieuses seventies, leur jeunesse n’est pas éternelle (gentleman Jon Lord est mort en 2012, Ian Paice a failli perdre le tempo il y a peu, et Steve Morse a de sérieux problèmes articulaires).
Les young lads de Deep Purple sont aujourd’hui des old chaps, et n’aspirent à rien d’autre qu’à faire de la musique entre eux, et notamment celle qui les a rendus riches et célèbres : du hard-rock mélodique, si possible groovy et pêchu. Ce qu’ils arrivent tranquillement à faire depuis 1996 : on réécoute nettement moins souvent “Perpendicular”, “Abandon” (1998), “Bananas” (2003) ou “Rapture Of The Deep” (2005) que “Machine Head” ou “Come Taste The Band” – mais sans doute ceux qui sont nés en 1980 nous contrediront-ils… – mais, curieusement, la découverte de chaque nouvel album est plutôt agréable.
Déjà, en 2013, “Now What ?!” nous avait surpris par sa fraîcheur, son côté moins clinique que les précédents. Avoir comme interlocuteur/catalyseur un producteur aussi expérimenté que Bob Ezrin les avait-ils boostés ? On veut le croire. Mais là encore, malgré une indéniable qualité globale – son, paroles, jouage, ou playing si vous préférez –, on avait éprouvé quelque difficulté à s’attacher à une chanson en particulier…
Avec “InFinite”, dont la photo intérieure adresse un amusant clin d’œil à la pochette de “In Rock” – le visage de nos sympathiques héros fatigués n’est plus taillé dans la pierre mais dans la glace… –, les premières impressions sont les mêmes que celles ressenties avec “Now What ?!”. Pas étonnant, puisque le disque a été enregistré au même endroit – Nashville, Tennessee – avec, of course, les mêmes musiciens et, toujours derrière la console, Bob Ezrin, qui a encore ajouté son grain de sel – mais pas de soul – à la musique et aux paroles. “InFinite” se situe certes à des années-lumières des monuments heavy rock évoqués plus haut, mais en impose malgré tout par son énergie roborative : avec ou sans Blackmore, avec ou sans Jon Lord, personne ne sonne comme eux. L’alchimie sonore de Deep Purple est unique. Et le swing toujours implicite : en témoigne All I Got Is You et One Night In Vegas (et ses paroles à la Very Bad Trip).
On notera au passage que deux des meilleurs morceaux doivent beaucoup à Led Zeppelin : on aime la découpe canine, façon Black Dog, du riff de Hip Boots, tout autant que groove à la When The Levee Breaks de Bird Of Prey. On notera aussi que le plus fatigué et, hélas, le moins inspiré des cinq membres du groupe est le plus jeune d’entre eux : Steve Morse. (Gillan, lui, est comme frappé par le démon de midi, et Don Airey est chaud patate derrière ses claviers.) Les Britons seraient-ils plus costauds que les Yankee ?
Quoi qu’il en soit, “InFinite” est un disque plein de vigueur. Est-il indispensable ? Ni plus ni moins que tous les albums gravés par Deep Purple depuis 1996, mais un peu plus quand même… Il nous tarde d’aller les réécouter live on stage, comme à Bercy en 1985 – mais ne me laissez pas vous parler d’une époque que les moins de vingt ans (etc., etc.), car cet article va finir par être aussi long qu’un livre ! Dernière chose : si d’aventure Ian Gillan, Steve Morse, Don Airey, Roger Glover et Ian Paice décidaient de remettre le couvert afin d’enregistrer le vingt-et-unième album studio de Deep Purple, je suis certain que ce serait un très grand cru. Allez les gars, un dernier effort… •
CD/LP “InFinite” (Ear Music, sortie le 7/4)
Concert Le 1er juin à Lille (Zénith), le 3 juin à Paris (POP Bercy, pardon, vieille habitude, AccorHotels Arena)
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