Novembre 1975 : Tommy Bolin sort son premier album, “Teaser”, un mois après “Come Taste The Band” de Deep Purple, dont il est devenu entre temps le nouveau guitariste. Pour célébrer le quarantième anniversaire de “Teaser”, un coffret vient de paraître, qui en propose une version alternative, ainsi que divers morceaux live enregistrées à la même époque.
New York, mai 1973, Electric Lady Studio. Pour jouer de la guitare sur son premier album solo, “Spectrum”, Billy Cobham a embauché un jeune guitariste de 22 ans natif de Sioux City, fou de blues, de jazz, de bossa-nova et de reggae : Tommy Bolin. Deux des solos qu’il va improviser en compagnie du batteur, de Jan Hammer (claviers) et de Lee Sklar (basse) vont rapidement entrer dans l’histoire : celui de Stratus bien sûr, monstrueux instrumental jazz-funk aujourd’hui considéré comme un standard du jazz moderne, mais aussi celui de Quadrant 4, shuffle dingo en forme d’éruption volcanique dont les coulées de lave électrique prodiguées par Bolin (mais aussi par Hammer) figeaient l’auditeur dans une posture extatique – essayez, quarante ans après, ça marche toujours.
Mais jouer sur le premier disque d’un batteur-star, même magnifiquement, ne fait pas forcément de vous un guitar hero adulé par les foules. Billy Cobham, qui est encore le batteur du Mahavishnu Orchestra de John McLaughlin, n’a hélas pas la possibilité de tourner avec Bolin, Hammer et Sklar.
La renommée internationale, Bolin ne la connaîtra que deux ans plus tard, après avoir accepté de remplacer Ritchie Blackmore dans Deep Purple puis, dans la foulée, d’enregistrer avec eux “Come Taste The Band”, un album qui ne cesse de se bonifier avec le temps – comme “Teaser”…
Ainsi, quand en novembre 1975 “Teaser” s’étale sur les facings des disquaires, il est quelque peu éclipsé par la sortie de “Come Taste The Band”. Le message est un brin confus pour le public : ce Tommy Bolin qui venait de quitter le James Gang après deux albums couci-couça (“Bang” et “Miami”) se lançait-il enfin dans une carrière solo ou la majeure partie de son temps allait-elle être occupée par Deep Purple, alors au sommet de sa popularité ? Les deux mon capitaine ! Mais, quoiqu’étonnament approuvée par le management de l’ex-groupe de Ritchie Blackmore, cette stratégie se révélera finalement destructrice. Fatigue et abus de substances (dés)obligent, Bolin va rapidement perdre pied, ne pas réussir à faire oublier Blackmore aux impitoyables fans old school de Deep Purple et, à trop vouloir changer de backing band comme de chemise, ne pas faire décoller sa carrière solo,
Pendant des années, “Teaser” fera certes partie des albums favoris de ceux qui collectionnent fébrilement tout ce qui ce qui participe de près ou de loin à la “Deep Purple Family”, mais sa réputation aura du mal à sortir du cercle de ces joyeux passionnés. Entre chansons rock (viriles et/ou tendres, mais toujours électrisantes et sensuelles), ballades jazzy (Savannah Woman et son solo à la Wes Montgomery) et instrumentaux jazz-rock (quelque part entre le Jeff Beck de “Blow By Blow” et le Mahavishnu Orchestra des années 1973/1974), son côté hybride pouvait certes désarçonner. Mais quel casting ! Jan Hammer (Sarah Vaughan, Jeremy Steig, Mahavishnu Orchestra, Stanley Clarke, Jeff Beck…), Jeff Porcaro (Steely Dan, Toto…), Phil Collins (Genesis, Brand X), Narada Michael Walden (Mahavishnu Orchestra), Prairie Prince (The Tubes), David Foster, Sammy Figueroa, David Sanborn…
Mais quarante ans après, “Teaser” a fini par accéder au rang d’album culte. Pour autant, et c’est tout à fait incompréhensible, il n’a jamais eu les honneurs d’une réédition officielle siglée Legacy. Comme souvent, ce sont les labels indépendants qui finissent par faire le boulot que les majors ne veulent – ou ne peuvent – plus faire. En 2011, Samson Records (en partenariat avec 420 Records) a publié “The Ultimate Teaser” : le CD du 33-tours original, remasterisé avec plus de soin que le misérable premier pressage de 1987, et deux CD de versions alternatives (Homeward Strut, Teaser, Wild Dogs, Marching Powder...) ou d’inédits en forme de jam sessions très inspirées – le formidable Crazed Fandango, Cookoo, Flying Fingers, Chameleon (non, pas celui d’Herbie Hancock)…
Et voici donc que le label allemand UDR vient de repackager ce précieux triple CD sous la forme d’un coffret de trois vinyles (qui reprennent peu ou prou tout le track listing des deux CD “alternates & outtakes” évoqués plus haut) et d’un double CD de live repiqués sur divers CD plus ou moins officiels de Bolin parus dans les années 2000. Attention : la version originale de “Teaser” n’y figure pas. Indispensable malgré tout ? Si vous avez déjà le triple CD Samson Records, non. Les liner notes du livret apportent certes quelques détails peu connus : oui, c’est bien Glenn Hughes qui chante quelques secondes dans la version originale de Dreamer, et non, ce n’est pas Jeff Porcaro qui joue sur The Grind mais bien Bob Berge, l’ancien batteur de Zephyr, l’un des premiers groupes de Bolin. Mais on pouvait cependant espérer beaucoup mieux.
Reste ce double CD dont la qualité sonore n’excède pas celle d’un bon bootleg soundboard. Mais les fans hardcore, toujours plus nombreux, ne sauraient y résister. On imagine malgré tout qu’il ne va pas tarder à être réédité/repackagé dans un futur proche, puisque les ayants-doit de Tommy Bolin ne savent plus comment étancher la soif des fans…
Il ne nous reste plus qu’à appeler Sony Music pour que sorte enfin “Teaser” en version Epic Legacy, ainsi, d’ailleurs, que “Private Eyes” (1976), qui n’est peut-être pas aussi addictif que “Teaser”, mais qui est loin d’être sans charmes. A propos d’addiction, Tommy Bolin est mort d’une overdose d’héroïne en décembre 1976, tandis qu’il tournait en première partie de Jeff Beck, l’un de ses grands admirateurs. Il avait 25 ans.
Coffret “Teaser – 40th Anniversary Vinyl Edition Box Set” (3 LP / 2 CD UDR / Import Allemagne)