Quelques mots dans un français impeccable, une minute de silence en mémoire des disparus et la douceur d’une mélodie sur la fragilité des êtres : les spectateurs du Bataclan sont accueillis avec une infinie délicatesse. Accompagné sur ce premier morceau par le trompettiste Ibrahim Maalouf et par le percussionniste Maël Guezel, Sting conserve l’élégance d’un jazzfan à Paris, ainsi que le désigne Jazz Magazine dans son numéro de novembre.
À cette subtile introduction succède l’énergie brute du naufragé qui lance un SOS au monde. Avec Message In A Bottle auquel s’enchaîne Can’t Stop Thinking About You, nouveau single redoutable d’efficacité pop, le ton de la soirée est donné. Un savant équilibre (huit titres de “57th & 9th” – disque paru la veille – et neuf standards incontournables) au service des deux tâches que le chanteur souhaite concilier : « D’abord se souvenir, honorer, ceux qui ont perdu la vie dans l’attaque il y a un an. Ensuite célébrer la vie et la musique que représente cette salle de spectacle historique. »
Alternent alors moments festifs et instants empreints de gravité. D’autres cruelles absences sont aussi évoquées lorsqu’est annoncé 50, 000, hommage à des personnalités de talents récemment décédées. À cette liste déjà trop longue (David Bowie, Prince, Lemmy Kilmister, Glenn Frey, Alan Rickman…) s’ajoute Leonard Cohen, parti quelques jours auparavant, mais « les rock stars ne meurent jamais, elles ne font que s’évanouir ». En abordant la cause des migrants avec le bouleversant Inshallah, probable futur classique de son répertoire, Sting invite, sans prétention politique, le public à l’empathie. Il souligne l’humilité et la beauté de ce terme arabe, référence à un Dieu au nom duquel mieux vaut nourrir l’espérance que propager la haine.
La séquence plus « rock’n’roll » qui suit (Petrol Head / Down Down Down / Driven To Tears) permet au groupe de démontrer l’étendue de son savoir-faire et son intime complicité. Dominic et Rufus Miller, ses deux guitaristes père et fils, Vinnie Colaiuta, son prodigieux et prestigieux batteur (Frank Zappa, Joni Mitchell, Jeff Beck, Herbie Hancock…) et Sting, son bassiste émérite, élaborent ensemble une formule idoine. Elle s’applique aussi à profit pour interpréter Englishman In New York ou pour retrouver les sonorités orientales de Desert Rose (augmentée d’Ibrahim Maalouf et de Maël Guezel).
Lorsque s’enchaînent les antiques Every Breath You Take, So Lonely, Walking On The Moon et Roxanne (mêlée à Ain’t No Sunshine de Bill Withers), du passé s’éveillent aussi les bons souvenirs et le présent prend alors tout son sens. Par sa beauté, par sa joie ainsi que par sa tristesse, la musique sublime l’existence : il est précieux de vivre, il est merveilleux d’avoir vécu. Ici, au Bataclan, depuis plus de cent cinquante ans, ont été partagées des heures exquises. La monstruosité ne les a pas effacées et si elle-même demeure douloureusement inoubliable, elle ne parvient pas à en menacer l’avenir.
Tout se termine, tout recommence. En rappel, est d’abord invité sur scène Henri Padovani, un des membres fondateurs de The Police (dont le récent documentaire Rock’n’Roll Of Corse dresse un portrait truculent). Ce guitariste punk explose de sa verve « nustrale » l’éruptif Next To You. En final, Sting s’installe seul, guitare acoustique en main, devant une photographie de James Foley, jeune reporter américain assassiné en Syrie. Pour lui, pour sa famille et pour toutes les familles endeuillées, sa voix si singulière se lamente sur un air profondément émouvant : The Empty Chair.
La chaise vide… Ce soir au Bataclan, « mon » fauteuil était occupé : je m’y trouvais à cette place qui était mienne, au balcon, vendredi 13 novembre 2015. En mon esprit se bousculaient bien des tourments mais ce concert m’a néanmoins permis d’en conjurer l’angoisse et de trouver la paix. Une paix « fragile » … Merci, Sting ! Vive le Bataclan !
Je dédie ce reportage à Cyril qui m’a permis d’assister à cet événement et à la mémoire de Claire, sa fiancée.
Le concert de Sting au Bataclan du 12/11/2016, dont les recettes sont reversées aux associations de victimes, est diffusé en streaming par Culturebox jusqu’au 14 mai 2017 : http://culturebox.francetvinfo.fr/live/musique/rock/sting-au-bataclan-248573
Le documentaire Rock’n’Roll Of Corse est toujours projeté à Paris au cinéma Le Luminor : http://www.rocknrollofcorse.com/
Photos : © Laurent Lafont-Battesi
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