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Robert Plant, les voyages en solitaire

Débutée il y a près de quarante ans, la carrière solo de Robert Plant est exemplaire de dignité, et la double compilation “Digging Deep : Subterranea” le prouve de façon éclatante. Et tandis que son ex-compère de Led Zeppelin Jimmy Page semble avoir définitivement troqué sa guitare pour une casquette de gardien du temple, le chanteur septuagénaire à la voix toujours aussi envoûtante continue de tracer sa route en musique.

« Our ceaseless roar »*

Résumé des épisodes précédents. Ce n’est pas la première fois que Robert Plant jette un œil dans le rétro pour regarder défiler ses années post-Led Zeppelin. En 2003, déjà, le chanteur avait supervisé le double CD “Sixty Six To Timbuktu” : un best of de seize chansons extraites de ses sept premiers opus solo, plus une compilation de dix-neuf raretés gravées entre 1966 et 2003 – ses premiers 45-tours, tel You’d Better Run de 1966, une version de Win My Train Fare Home enregistrée live à Tombouctou, des démos, des titres issus de divers albums tribute, et quelques inédits…

“Sixty Six To Timbuktu”, la première compilation de Robert Plant, parue en 2003.

“Sixty Six To Timbuktu”, la première compilation de Robert Plant, parue en 2003.

Trois ans plus tard, le superbe coffret “Nine Lives” regroupait cette fois tous ses albums solos, de “Pictures At Eleven” (1982) à “Mighty Rearranger” (2005), assortis de bonus tracks. Un documentaire DVD featuring Phil Collins, Roger Daltrey, Ahmet Ertegun, Roy Harper, Nigel Kennedy, John McEnroe, Lenny Kravitz et Jimmy Page – non, pas Jimmy Page – revenait sur sa carrière.

Le coffret “Nine Lives”, sorti en 2006.

Le coffret “Nine Lives”, sorti en 2006.

Loin de signifier la pré-retraite du “golden god” des seventies, ces deux artefacts phonographiques avaient de fait précédé ses plus belles années : outre la reformation surprise de Led Zeppelin – sans l’irremplaçable John Bonham – pour un seul et unique concert au O2 de Londres (auquel vingt-cinq millions de fans rêvèrent d’assister), Robert Plant avait eu la bonne idée de s’associer à la chanteuse country/bluegrass Alison Krauss et au producteur T-Bone Burnett pour enregistrer le merveilleux “Raising Sand”, accueilli par des critiques élogieuses, puis couvert de Grammy Awards. En sexagénaire épanoui, notre homme s’ouvrait de nouvelles perspectives musicales, prenant soin de s’éloigner, lentement et sûrement de l’ombre géante du dirigeable que Jimmy Page rêvait secrètement de faire à nouveau voler – dans une autre vie peut-être ?

“Raising Sand”, le seul et unique (pour l’instant...) album de Robert Plant avec la chanteuse Alison Krauss.

“Raising Sand”, le seul et unique (pour l’instant…) album de Robert Plant avec la chanteuse Alison Krauss.

La sortie de la double compilation “Diggin Deep : Subterranea” augure-t-elle d’une nouvelle parenthèse enchantée ? On veut bien y croire. En paix avec lui-même et son glorieux passé, Robert le vénérable, 72 ans, sait qu’il n’a plus de temps à perdre, et comme tous ses contemporains, les Mick Jagger, Jeff Beck et autres Eric Clapton, il continue de consacrer sa vie à ce qu’il sait faire de mieux : de la musique ! Et, dans son cas, chanter. [Tandis que chaque jour qui passe laisse penser que Jimmy Page ne rejouera dans doute jamais de la guitare, ni sur disque ni sur scène. On espère se tromper, mais…]

PLANT Robert CD Digging Deep Subterranea

Ainsi, depuis que la promo de “Diggin Deep : Subterranea” a été lancée sur les réseaux dits sociaux, on a appris que le natif de West Bromwich avait non seulement enregistré un deuxième album avec le Band Of Joy, son groupe pré-Led Zeppelin relancé en 2010, mais qu’il était aussi, ô joie, en train de travailler avec Alison Krauss (info indiscrète divulguée par la chanteuse Lucinda Williams, toute heureuse d’avoir participé à une séance d’enregistrement avec le duo miraculeux enfin reformé). Croisons les doigts pour qu’un follow up de “Raising Sand” voit effectivement le jour dans un futur proche, qu’on sait hélas menacé par ce satané virus…

PLANT Robert 2 Mads Perch

En attendant, les trente chansons de “Diggin Deep : Subterranea”, sélectionnées par Plant lui-même – who else ? –, résument idéalement ces bientôt quarante ans de voyages en solitaire. À l’exception de “Shaken ’N’ Stirred” (1985) et de “The Honeydrippers”, son side project nostalgique de 1984 qui correspondait mieux aux désirs du grand producteur Ahmet Ertegun, qui qualifiait alors les options musicales Plant de « weird bullshit » (!), le chanteur a pioché dans tous ses albums, y compris le tout dernier, le bien nommé “Carry Fire” de 2017.

Plant nous rappelle ainsi que dès son premier opus, “Pictures At Eleven”, sorti deux ans après la séparation de Led Zeppelin – et, tiens donc, presque en même temps que la collection d’inédits “Coda”… –, il avait trouvé en la personne de Robbie Blunt un interlocuteur avec lequel s’imaginer un avenir musical. (Imaginez cependant la pression qui devait peser sur les épaules de cet excellent guitariste…) “Pictures At Eleven” était aussi marqué par la présence de deux batteurs d’exception qui, l’un comme l’autre, réalisaient leur rêve : accompagner le chanteur de Led Zeppelin. Phil Collins se taillait la part du lion grâce à son énergie, son swing et son invention (on le retrouve dans l’album suivant, “Principle Of Moments”, partageant cette fois ses baguettes avec le batteur de Jethro Tull, Barriemore Barlow, qui joue sur Wreckless Love), mais le regretté Cozy Powell, toujours généreux dans l’effort, et prompt à conjuguer la puissance d’un félin et la lourdeur d’un ours des Pyrénées, apportait aussi son immense savoir-faire, comme la ballade Like I’ve Never Been Gone en témoigne. Collins, quant à lui, faisait chanter ses fûts tout en syncopes savamment distillées dans In The Mood – quel son !

Phil Collins et Cozy Powell, les deux batteurs de “Pictures At Eleven”, le premier album de Robert Plant.

Phil Collins et Cozy Powell, les deux batteurs de “Pictures At Eleven”, le premier album de Robert Plant.

Au milieu des années 1980, Robert Plant fit table rase du passé de manière encore plus prononcée en s’essayant à la pop synthétique, mais “Shaken ’N’ Stirred” (1985) ne rencontra pas un franc succès. Est-ce pour ça qu’aucun extrait de cet album injustement mésestimé ne figure dans “Digging Deep : Subterranea” ? On aimerait bien le demander à l’intéressé…

“Now And Zen”, 1988.

“Now And Zen”, 1988.

Est-ce pour ça que, trois ans plus tard, Robert Plant revint à une forme de rock plus classique avec “Now And Zen” ? Sans doute. De ce magnifique album zeppelinien-sans-être-passéiste, Plant a extrait le splendide et émouvant Ship Of Fools, le techno-rock White, Clean & Neat et le majestueux Heaven Knows, où il collaborait une fois de plus avec Jimmy Page, quatre ans après ses retrouvailles au sein des Honeydrippers où, faut-il le rappeler, Page partageait le boulot avec Jeff Beck et Nile Rodgers au rayon six-cordes (excusez du peu).

En 1990, l’énergique “Manic Nirvana” démontrait si besoin que nonobstant sa coupe mulet, Tonton Robert n’avait rien perdu de sa superbe, comme en témoignent le puissant Hurting Kind, porté par une série de riffs ciselés, et l’atmosphérique Anniversary, dont la coda prouvait qu’il pouvait encore grimper dans les aigus sans effort. Encore plus réussi, et bien plus varié, “Fate Of Nations”, en 1993, lui valu un excellent accueil critique et public. Dans “Digging Deep : Subterranea”, pas moins de cinq chansons sont extraites de “Fates Of Nations”, ce qui tendrait à prouver que Robert Plant garde une affection particulièrement pour cet album : I Believe, 29 Palms, Great Spirit (en version acoustique, assez rare, avec le guitariste Rainer Ptacek), Memory Song (Hello Hello) et Promised Land, qui témoignent toutes de sa grande diversité stylistique.

“No Quarter”, 1994, la flamboyante collaboration de Jimmy Page et Robert Plant, ou comment réinventer le songbook de Led Zeppelin.

“No Quarter”, 1994, la flamboyante collaboration de Jimmy Page et Robert Plant, ou comment réinventer le songbook de Led Zeppelin.

Parenthèse Page / Plant oblige – deux albums au compteur avec Page entre 1994 et 1998 : le somptueux “No Quarter : Jimmy Page & Robert Plant Unledded” et le semi-réussi “Walking Into Clarskdale” –, il fallut attendre neuf ans avant que le chanteur effectue son comeback solo avec, cette fois, “Dreamland”, qui reflétait son nouvel état d’esprit : à 54 ans, le passé n’était plus son enemi, il était près à le dompter à sa manière, en s’entourant de jeunes musiciens – alias Strange Sensation – pas forcément issus de la scène rock rock pure et dure (on pense notamment au remarquable guitariste Justin Adams). Darkness, Darkness (de Jesse Colin Young) et The Last Time I Saw Her (l’une des trois chansons originales de l’album) résument cette époque, marquée par un son “couleur sepia”, mais pas rétrograde pour autant.
En 2005, grâce à “Mighty Rearranger”, Robert Plant prouvait qu’il était entré dans la phase la plus passionnante de son après-Led Zep, sans renier les saveurs soniques de ce groupe qui était autant le sien que celui de Jimmy Page. La preuve avec Shine It All Around et Takamba.

Mighty Rearranger, avec The Strange Sensation.

“Mighty Rearranger”, avec The Strange Sensation.

Lors de ses premières tournées sous son nom, Robert Plant veillait à n’inclure aucune chanson de Led Zeppelin dans ses set lists, quitte à s’attirer les remontrances, voire les foudres de son public – Jimmy Page était alors confronté au même problème avec The Firm… Mais au début du XXIe siècle, réconcilié avec son héritage, il piochait avec toujours plus de gourmandise dans le songbook du groupe défunt.
Et quand en 2007 on apprit que Plant, Page, John Paul Jones (dont ils avaient enfin retrouvé le numéro de téléphone !) et Jason Bonham allaient se retrouver pour le concert exceptionnel en hommage à Ahmet Ertegun évoqué plus haut, on se dit que la saga du plus grand groupe des années 1970 allait probablement s’enrichir de quelques épisodes supplémentaires…

PLANT Robert 3 Mads Perch

Il n’en fut rien, et c’est même avec un projet bien plus personnel – son disque avec Alison Krauss – que Robert Plant trouva la motivation pour continuer d’aller de l’avant, tout en s’affranchissant du surpoids du lourd dirigeable. En allant donc jusqu’à reformer, trois ans plus tard, son antique Band Of Joy. Quatre chansons sont extraites du (superbe) premier abum éponyme du groupe : Satan Your Kingdom Must Come Down, Angel Dance, Silver Rider et le presque doo-wop Falling In Love Again. Outre la présence marquante de Buddy Miller à la guitare, on remarque celle de la chanteuse country-folk Patty Griffin, alors compagne du chanteur. L’un des inédits de “Diggin” Deep : Subterranea” est un joli duo countrysant entre Griffin et Plant, Too Much Alike. (Signalons au passage que Plant chante aussi dans “American Kid” de Patty Griffin, paru en 2013.)

Nothing Takes The Place Of You et la nouvelle version de Turn It Up rebaptisée Charlie Patton Highway (Turn It Up – Part 1) annoncent selon Plant lui-même le prochain album du Band Of Joy. Enfin, même les deux albums les plus récents de Robert Plant, “Lullaby And… The Ceaseless Roar” (2014) et “Carry Fire” (2017), sont distingués à travers Rainbow, qui ouvre la double-compilation, mais aussi Embrace Another Fall, New World et Dance With You Tonight.

Bref, le jardin de Plant bruisse de chansons enracinées dans la terre du blues immémorial, mais aussi du folk, de la country et des musiques d’Afrique. “Diggin” Deep : Subterranea” s’en fait l’écho magnifique. Et si aucune d’entre elles n’est entrée au panthéon du rock comme celles de Led Zeppelin, elles ont le grand mérite de nous accompganer depuis des lustres et d’entrenir la flamme et l’esprit du groupe qui ne se reformera plus jamais…
Prenez soin de vous cher Robert Plant, et à bientôt sur une scène française.

CD “Digging Deep : Subterranea” (Esparanza / Warner Music, sortie le 2 octobre). NB : Superbe pochette, digipack cartonné au toucher “peau de pêche”, tous les détails discographiques, joli préface rédigée par Plant.

Photos : Mads Perch et Frank Melfi (Nonesuch / Warner Music).

* « Notre rugissement incessant ».

PLANT Robert CD Digging Deep Subterranea

Tous les détails du track listing :

CD1
Rainbow (extrait de “Lullaby And… The Ceaseless Roar”, 2014)
Hurting Kind (extrait de “Manic Nirvana”, 1990)
Shine It All Around (extrait de “Mighty Rearranger”, 2005)
Ship Of Fools (extrait de “Now And Zen”, 1988)
Nothing Takes The Place Of You (inédit)
Darkness, Darkness (extrait de “Dreamland”, 2002)
Heaven Knows (extrait de “Now And Zen”, 1988)
In The Mood (extrait de “Principle Of Moments”, 1983)
Charlie Patton Highway (Turn It Up – Part 1) (inédit)
New World… (extrait de “Carry Fire”, 2017)
Like I’ve Never Been Gone (extrait de “Pictures At Eleven”, 1982)
I Believe (extrait de “Fate Of Nations”, 1993)
Dance With You Tonight (extrait de “Carry Fire”, 2017)
Satan Your Kingdom Must Come Down (extrait de “Band Of Joy”, 2010)
Great Spirit (Acoustic) (extrait du CD-single I Believe, 1993, avec Rainer Ptacek)

CD2
Angel Dance (extrait de “Band Of Joy”, 2010)
Takamba (extrait de “Mighty Rearranger”, 2005)
Anniversary (extrait de “Manic Nirvana”, 1990)
Wreckless Love (extrait de “Principle Of Moments”, 1983)
White Clean & Neat (extrait de “Now And Zen”, 1988)
Silver Rider
(extrait de “Band Of Joy”, 2010)
Fat Lip
(extrait de “Pictures At Eleven”, 1982)
29 Palms
(extrait de “Fate Of Nations”, 1993)
Last Time I Saw Her
(extrait de “Dreamland”, 2002)
Embrace Another Fall
(extrait de “Lullaby And… The Ceaseless Roar”, 2014)
Too Much Alike (Featuring Patty Griffin)
(inédit)
Big Log
(extrait de “Principle Of Moments”, 1983)
Falling In Love Again
(extrait de “Band Of Joy”, 2010)
Memory Song (Hello Hello)
(extrait de “Fate Of Nations”, 1993)
Promised Land
(extrait de “Fate Of Nations”, 1993)

NB : Si vous trouvez encore le joli coffret de huit 45-tours nommé “Digging Deep” (Trolcharm Ltd. / Es Paranza Records), paru l’an dernier et qui préfigurait “Digging Deep : Subterranea”, ne le laissez pas passer, même si son prix risque d’être prohibitif…