Jusqu’au vendredi 29 novembre, muziq.fr vous fait découvrir les vingt-quatre titres inédits de la réédition “Super Deluxe” du chef-d’œuvre de Prince, “1999”. Aujourd’hui : Purple Music.
« Don’t need no reefer, don’t need cocaine,
purple music does the same 2 my brain, I’m high, so high /
Don’t need no cymbals, no saxophone,
just need 2 find me a style of my own and I’m high, so high »
Melbourne, Australie, 17 février 2016. La scène se situe dans un bar de Melbourne, l’Aria. Il est déjà très tard ; Prince vient de donner au State Theater le second concert de son Piano & A Microphone Tour. Il discute sur un canapé moelleux avec son biographe, Dan Piepenbring, qui lui fait remarquer qu’il était content de l’avoir entendu interpréter Purple Music. Prince hoche de la tête, ravi que son interlocuteur ait reconnu cette chanson inédite : « C’est la première fois que je la joue sur scène, précise-t-il, il paraît qu’elle a été enregistrée. Je ferais aussi bien de la sortir. » (Extrait de The Beautiful Ones – Mémoires inachevés, éd. Robert Laffont.)
Que voulait exactement dire Prince par « il paraît qu’elle a été enregistrée » ? À quelle version pensait-il ? À l’une des nombreuses – pirates évidemment – qui circulent sous le manteau depuis des lustres ? Peut-être. La sienne, l’originale, la vraie, la seule, l’unique, gravée dans son home studio en 1982, dormait encore dans ses archives en 2016. « Je ferais aussi bien de la sortir » : il ne croyait pas si bien dire…
Mais il se trompait en disant « c’est la première fois que je joue cette chanson sur scène ».
Non mon Prince, le 17 février 2016 au State Theather de Melbourne, ce n’était pas la première fois que tu levais le voile sur Purple Music.
La vraie première fois, c’était à Paris, au New Morning, à l’aube encore baignée de rayons de Lune cerise du 23 juillet 2010 . On y était, Hélène et moi, et quelques autres, et on s’en souviendra toute notre vie comme si c’était hier. Purple Music, tu l’avais glissée entre I Want To Take You Higher de Sly et All The Critics Love U In New York (rebaptisé pour l’occasion All The Critics Love U In New Morning). Oh, tu n’avais pas fait durer le plaisir bien longtemps… Une minute et quarante-cinq secondes à peine… En fait, elle servait juste de rampe de lancement à All The Critics…
Parenté rythmique aidant, peut-être que les paroles de Purple Music t’avaient traversé l’esprit avant que tu ne chantes celles d’All The Critics… On était en train de vivre quelque chose de fabuleux, d’inouï, d’historique, il était cinq heures du matin passées, tu étais sur scène depuis deux heures du mat’ et des poussières, on avait le cerveau retourné, mais le tien carburait à plein tube : chaque idée qui y germait prenait instantanément forme, là, sur scène, devant nous. Dont celle, un peu folle, de donner ENFIN sa chance à Purple Music, d’en révéler le refrain-mantra, comme ça, au beau milieu d’une nuit parisienne, rien que pour nous. Sympa.
Médusés, nous l’étions, bien sûr, de t’entendre “officialiser” en direct cette merveille inédite et qui, donc, ne le sera plus dans quelques jours, quand ton Estate – hé oui, Prince, tu es mort, et ça on ne te le pardonnera jamais –, NPG Records et Warner Bros. Records feront pousser sur les facings des disquaires du monde entier la version “Super Deluxe” de “1999”.
As-tu vraiment songé, toi, en 1982, inclure Purple Music dans “1999” ? Si oui, il aurait fallu sacrifier l’un des onze chansons…
Automatic ? Ah non !
Let’s Pretend We’re Married ? Impossible.
Lady Cab Driver ? Impensable.
All The Critics Love U In New York ? Inimaginable !
(Etc., etc.)
Tout le problème était là : ta surcréavité, que dis-je, ton hypercréativité repoussait déjà allégrement les limites du support vinyle. A quelques années près, le support CD t’aurait permis d’ajouter Purple Music au track listing final, mais seulement si tu avais pu convaincre ta maison de disques de sortir un double CD, ce qu’elle aurait certainement refusé de faire…
Bref, Purple Music est passé à la trappe, et cela, je trouve, reste l’un des plus grands mystères de la création. Comment as-tu pu vivre trente-cinq ans, ou presque, en sachant que dormait dans ton Vault une telle merveille ? Je ne vois qu’une seule explication (plus ou moins) rationnelle : tu as rapidement compris que tout ce qui y reposait te permettrait un jour – arrivé bien trop tôt, hélas… – de commencer une seconde carrière, post-mortem celle-là. Une vie après la vie quoi, une nouvelle ascension vers les sommets. Sans toi, mais avec nous. Sacré Toi va…
Car s’il y a ne serait-ce qu’allez, une dizaine de titres du calibre de Purple Music en tous sens inouïs qui roupillent dans ton Vault, crois-moi mon Prince, comme Jimi Hendrix avant toi, ta légende va atteindre des proportions encore inimaginables au moment où j’écris ces quelques lignes – et que je réalise, au passage, que je me remets une nouvelle fois à te parler comme si… (T’as vu, Morris Day m’a piqué l’idée.)
Cette intro boîtarythmée qui fait semblant de caler
: sublime
Cette minimélodie comme seul Prince en avait le secret
: on aimerait toutes les répertorier (pas le temps !)
Ce râle suggestif à 30”
: Marvin, dig this
Ces accords couleur bleu nuit
: visions
Ces handclaps hypnotiques réverbisés à souhait
: obsession
Cette cocotte funky échappée de la basse-cour, à 1’30”
: re-sublime
Ces synthétiseurs dont la brûlante sève électronique semble sortir des murs des gratte-ciels de Technoland ;
ces pages qui tournent (« next page ») ;
ce chant qui file droit sur l’autoroute des rêves ;
cette basse qui slappe ;
cette grosse-caisse même pas humaine et pourtant si charnelle, auto-syncopée comme si un Dieu du rythme un peu pompette l’avait programmée.
Écouter Purple Music au casque est une expérience hallucinogène.
QUEL SON !
Voilà, c’était ma petite Purple Music de nuit à moi. Pas besoin de pétard, ni de cocaïne, Purple Music m’a tuer.
« Si tu peux comprendre ma couleur
Passe ta main dans ton entrejambe
Non, non, non, non, non… Oui ! »
Rendez-vous demain avec Yah, You Know.
COFFRET Prince : “1999 Super Deluxe” (NPG Records / Warner Music, sortie le 29 novembre).