Il était une fois Ennio Morricone
05/11/2019
Le coffret monumental Ennio Morricone – Musiques de films 1964-2015 retrace la carrière du Maestro romain en 400 titres répartis sur 18 CDs. Visite guidée en avant-première d’une anthologie fleuve avec son concepteur et créateur de la collection Écoutez le cinéma ! Stéphane Lerouge.
Format à l’italienne
Stéphane Lerouge : Universal Music a inauguré il y a deux-trois ans un nouveau format d’intégrales, au format allongé, dit « à l’italienne ». Dans ce format, mon baptême a été Michel Legrand, Les Moulins de son coeur, coffret 20 CDs sorti en novembre 2018. Et qui aura ma dernière aventure partagée avec le grand Michel. A la même date, Ennio Morricone est venu à Paris pour son concert d’adieu à Bercy et, la veille, une rencontre à la Cinémathèque Française, que Frédéric Bonnaud et moi avons co-animée. Dans les coulisses, j’en ai profité pour lui offrir le coffret Legrand. Il m’a alors glissé avec malice : « Et pourquoi ne pas me consacrer le même projet ? » Tout est parti de là. Je m’y suis vraiment collé dès début janvier, avec un temps de production finalement court pour un tel contenu : neuf mois. L’avantage, c’est la richesse objective du catalogue Morricone détenu par Universal (via l’Italie et la France, via A&M, Mercury, Fox Records etc). L’idée était aussi d’atteindre ce fameux point d’équilibre, entre à la fois les standards incontournables et les raretés, une sélection transversale qui touche à la fois un large public et les Morriconiens pointus, sinon complétistes.
Chico Buarque, Ariana Grande, Sting et Raymond Lefèvre
Le coffret est organisé de façon thématique par cinéaste (Sergio Leone en 5 CDs, Giuseppe Tornatore, Henri Verneuil, Roland Joffé), par comédien (Jean-Paul Belmondo), par genre (film politique, thrillers mafieux). Le tout complété par deux CD Tarantino, l’un avec les compositions originales de Morricone pour ses films, l’autre avec les thèmes pré-existants que Tarantino a goulûment recyclés dès Kill Bill. Et enfin un CD autour de chansons originales, de reprises et d’arrangements. Qui, à mon sens, doit être le premier album de l’histoire du disque à réunir Chico Buarque et Ariana Grande, Sting et le grand orchestre de Raymond Lefèvre ! Je n’ose pas détailler le parcours du combattant juridique qu’il a fallu mener pour obtenir tous les accords à temps… Pour faire valider l’ensemble, j’ai passé six heures très intenses chez le maestro, à Rome, en avril. Ça a été un vrai moment de grâce. Morricone était chaleureux, parfois rieur, heureux de s’exprimer sur certaines bandes originales qu’il aime particulièrement et qui figurent dans le coffret (State of grace, Le Désert des Tartares, Une pure formalité). Il a même chanté le générique début des Incorruptibles ! On en a profité pour réaliser une interview fleuve pour le livret. Lors de cette journée, il a pris conscience, je crois, de l’ambition du projet : essayer de réunir le maximum de versants, de visages de son écriture en 18 CDs et 20 heures de musique. C’est, à ce jour, l’anthologie la plus vaste jamais entreprise sur son œuvre monumentale.
Bienveillance
On connaît tous sa réputation d’intransigeance mais, dans ce cas précis, Morricone a été bienveillant et coopératif. Il faut dire que le dialogue était fluidifié par Gioia Smargiassi, sa fidèle interprète, puis par Giovanni, son fils cadet. Et puis, il savait vers quel projet on tendait : il avait le coffret Legrand en repère. À Rome, je lui avais apporté d’autres publications Ecoutez le cinéma ! dont The Cinema of Quincy Jones. Quand il l’a vu, il m’a déclaré : « Gardez-le, je l’ai déjà ! J’adore réécouter la musique de The Pawnbroker ! » Effectivement, sur une étagère, il y avait le coffret Quincy, offert par ce dernier. Ennio lui enverra-t-il son propre coffret ? Les liens entre ces monstres sacrés sont souvent inattendus. En tout cas, découvrir que le projet Quincy faisait partie de la même collection a été un facteur supplémentaire de confiance.
Raretés
Difficile de les énumérer… Dans le désordre, il y a notamment la renversante partition d’Orca, avatar de Moby Dick à la sauce De Laurentiis… La Clé, film historico-érotique de Tinto Brass. Une délicieuse musique pour un film publicitaire Dolce & Gabbana, réalisé par Tornatore et interprété par Sophia Loren. Il y a aussi le seul ré-enregistrement par Ennio du thème de L’Hérétique de John Boorman, Regan’s Theme : il l’a redirigé en studio à Abbey Road en 2015… juste pour un 33 tours promotionnel des Huit salopards tiré à 1000 exemplaires monde ! Grâce aux équipes d’Abbey Road, on a remis la main sur le support. Le coffret comprend aussi la BO du Clan des Siciliens qui, depuis quelques années, était devenue difficilement trouvable en CD… Nous avons également rénumérisé beaucoup de bandes, dont 1900 de Bertolucci ou Sierra Torride de Don Siegel. Et puis, autre hasard, au concert parisien de Quincy Jones début juillet, Kyle Eastwood m’a parlé de son nouvel album, alors en cours de finition. Il comprenait une relecture d’un titre morriconien au lyrisme hypnotique, Per le antiche scale. Avant même que son propre album sorte, Kyle nous a généreusement autorisé à l’utiliser. Ce qui tient du symbole : le coffret s’ouvre avec Eastwood senior dans Pour une poignée de dollars et se referme avec Eastwood junior en trio, symétriquement.
Les 20 ans de la collection Écoutez le cinéma !
De nouvelles salves de vinyles, une large opération streaming avec de nombreux inédits et, côté CD, un projet Polanski, élaboré avec sa collaboration, verront le jour en 2020.
2020 marquera aussi les 20 ans de la collection, inaugurée avec Antoine Duhamel, Philippe Sarde, Eric Demarsan et Georges Delerue. Ce qui me donne presque le vertige, voire l’impression d’être le Manoel Oliveira de la bande originale ! En tout cas, fin 2000, nous étions loin d’imaginer les aventures majeures que nous allions partager avec Michel Legrand, John Barry, Maurice Jarre, Michel Polnareff, Lalo Schifrin, Quincy Jones… sans compter les grands disparus comme Michel Magne, George Delerue ou François de Roubaix. Nous avons donc vingt ans mais pas de travelling arrière : nous continuons de rêver en avant.
Ennio Morricone Musiques de films 1964-2015 (Écoutez le cinéma !/Universal).