World Wide Funk, le nouvel album de Bootsy Collins, réunit nouveaux talents et camarades disparus. Entretien avec le légendaire bassiste P-Funk, et au-delà…
Muziq : Comment va Bootsy ?
Bootsy Collins : Bootsy va très bien. L’album est terminé et c’est toujours une source de stress car malheureusement, il n’y a pas que la musique qui intervient dans ce genre de projet. J’adore enregistrer des albums, mais j’ai beaucoup tourné ces dernières années et j’en ai subi le contrecoup. J’ai été sur la route pendant quatre ou cinq ans sans m’arrêter et j’ai tout de suite enchaîné avec l’enregistrement de World Wide Funk, qui a été un sacré réveil pour moi.
Dans World Wide Funk, vous prolongez le mode opératoire de vos derniers albums en essayant de contenter à la fois les fans de P-Funk et un public plus jeune.
Oui, tout à fait. Il y a d’un côté les funkateers et de l’autre ceux qui ne le sont pas encore. En réalité, ils le sont déjà, mais ils ne savent pas encore (rires) ! Pour moi, c’est ça le vrai challenge. Bien sûr, je pourrais enregistrer un album comment on le faisait à l’époque, mais ce n’est plus tellement un défi pour moi. Mon but, c’est de rassembler l’analogue avec le digital, le P-Funk avec le hip-hop et la musique électronique. Mon autre but, c’est d’impliquer de nouvelles personnes dans mon projet, et surtout des jeunes musiciens. C’est ce qui m’inspire et me fait progresser.
Parlez-nous de ces jeunes musiciens présents sur World Wide Funk.
Il y a beaucoup d’artistes locaux originaires de Cincinnati sur cet album : les chanteurs X-Zact, Kali Uchis, Tyshawn Colquitt, BlvckSeeds et le bassiste Alissia Benveniste que j’ai découvert en ligne. Tous ces musiciens ne bénéficient malheureusement pas d’une réelle exposition. Aujourd’hui, tout passe par les réseaux sociaux. Pour nous, c’était différent, car il fallait d’abord qu’on joue dans les clubs et tourner sans arrêt avant d’avoir une chance de passer à la radio. Il fallait aussi qu’on soit présents physiquement. Aujourd’hui, tout est complètement différent et j’ai la chance de posséder une plate-forme pour exposer ces nouveaux talents. Je n’ai plus besoin d’être une star ou d’avoir envie de le devenir. Quand j’étais adolescent, les vrais stars étaient les musiciens qui jouaient au coin de la rue, pas ceux qui enregistraient des albums. Aujourd’hui, j’utilise cette plate-forme pour passer le flambeau et je m’éclate on faisant ça.
Iggy Pop récite un texte en introduction de l’album. Comment avez-vous eu cette idée ?
Je connais Iggy depuis les années 1990, à l’époque où on faisait des festivals avec Dee-Lite. Récemment, j’ai enregistré une reprise de « Purple Haze » avec lui et sur laquelle je joue de la basse. J’étais en train d’enregistrer World Wide Funk en même temps et j’ai eu l’idée de lui proposer un échange en l’invitant sur mon disque. Le problème c’est que je ne savais pas ce que j’allais lui demander, mais Iggy m’a envoyé ce spoken-word génial qu’on a placé au début du disque. Il s’agit juste d’un extrait, son texte était beaucoup plus long à l’origine…
« Bass-Rigged-System » avec Victor Wooten et Stanley Clarke est incontestablement le sommet funky de l’album.
Yeah, the bass-player special (rires) ! Pour ce titre, j’ai commencé par enregistrer un instrumental avant de l’envoyer à Stanley et Victor. J’aurais adoré ajouter d’autres bassistes sur ce titre, mais pouvoir jammer avec Stanley et Victor, c’est déjà énorme ! Il y a aussi Manou Gallo, une bassiste d’origine ouest-africaine, sur ce morceau. Elle est extrêmement douée et je suis en train de travailler sur son propre disque.
World Wide Funk comprend également « A Salute To Bernie », un hommage à votre partenaire de longue date Bernie Worrell, disparu l’an dernier.
« A Salute To Bernie » a été enregistré il y a plusieurs années, vers 2011 ou 2012. Bernie avait toujours son clavier installé dans le Bootzilla Re-Hab Studio et on a enregistré beaucoup de titres qui ne sont jamais sortis. Lorsque Bernie est décédé, je suis retourné vers ces morceaux car il fallait qu’il soit présent sur ce disque. J’ai retrouvé un titre où Bernie est pratiquement seul aux claviers et j’ai juste eu à ajouter une partie de basse et ma voix pour le terminer…
Beaucoup de grands artistes soul/funk ont disparu ces dernières années. Avec George Clinton, vous faites partie des légendes du funk encore actives. Pourquoi ne pas collaborer ensemble à nouveau ?
Pour pouvoir le faire, il faudrait que toutes les conditions soient réunies. Refaire le truc comme à l’époque, c’est bien, mais essayer de le faire encore mieux serait plus juste. Chaque fois que les Rolling Stones se réunissent, ça donne un truc énorme et ils se donnent les moyens de faire un grand show pour le plus grand plaisir des fans. C’est ce qu’il faudrait faire, car on aurait besoin d’un plus grand Mothership (rires) ! Ça serait super, mais c’est surtout une question de budget pour que tout le monde soit payé correctement et qu’il n’y ait pas d’embrouilles à l’arrivée. Ça ne s’est jamais passé, car ces choses sont toujours compliquées. Et pourquoi rejouer les mêmes titres ? Jimi Hendrix en avait marre aussi de jouer toujours ses vieilles chansons sur scène car les gens ne voulaient pas entendre ses nouveaux titres. Le seul moyen de sortir de ça, c’est de faire ce que je fais en ce moment.
Vous avez annulé un concert à Paris l’été dernier. Aura-t-on la chance vous revoir sur scène prochainement ?
Je ne suis pas en mesure de partir en tournée actuellement. Je suis en train de récupérer de mon opération chirurgicale et j’ai encore du mal à conserver mon équilibre car je n’ai pas encore tout à fait retrouvé mon oreille interne. À cause de ce problème d’oreille interne, je ne suis pas autorisé à prendre l’avion pour des questions de décompression. On m’a conseillé d’attendre jusqu’à l’année prochaine, mais une fois que j’aurai récupéré mon équilibre, je serai prêt à remonter sur scène. J’espère pouvoir revenir vous voir bientôt pour vous donner une nouvelle dose de P-Funk. Je sais que vous en avez envie, et vous savez que j’ai envie de vous la donner. Keep that funk alive, baby. We will be there funkin’ in your ass and dig in your earhole. WIND ME UP ! HIT ME !
Propos recueillis par Christophe Geudin. Remerciements à Olivier Garnier et Adrien Kras.
Bootsy Collins World Wide Funk (Mascot Records). Disponible le 27 octobre en CD, double-vinyle et version digitale.