Le 15 décembre 1988, dans la foulée de son premier album solo, “Talk Is Cheap”, et tandis que les Rolling Stones sont en semi-coma, Keith Richards s’embarque pour sa première tournée avec ses X-Pensive Winos. “Live At The Palladium”, qui en témoigne, vient d’être réédité.
Si vous lui permettez, votre Doc va d’abord s’autoriser un petit flashback.
Au mitan des années 1980, les deux têtes pensantes des Rolling Stones décident de se la jouer solo. Sir Mick dégaine le premier avec le délicieusement racoleur “Lonely At The Top”, entouré d’un impressionnant who’s who tangentiel : Pete Townshend, Herbie Hancock, Jeff Beck, Michael Shrieve, Jan Hammer, Wally Badarou, Sly Dunbar… Trois ans plus tard, Keith Richards déboule avec “Talk Is Cheap”. Plus prompte à glorifier les contrebandiers que les mercenaires, la critique rock est séduite par ce son de groupe rollingstonien-mais-pas-que, plus authentique
, plus roots que celui de l’opus hyper-flashy de l’autre glimmer twin. Elle découvre aussi l’existence d’un batteur de jazz, Steve Jordan, dont les John Scofield, Brecker Brothers et autres Steve Khan connaissaient depuis des lustres la science du swing et du groove mêlés. [Plus tard, Sonny Rollins et John Mayer feront aussi appel à lui, mais c’est une autre histoire, NDLR.]
Keith Richards et Steve Jordan s’étaient rencontrés à Paris lors des séances d’enregistrement de “Dirty Work” des Stones. Richards, qui se définit volontiers comme « marié avec les batteurs », a vite compris que ses riffs de granit pouvaient aisément s’articuler sur les grooves en chêne massif de Jordan. Avant de se mettre au travail, ils testèrent d’abord leur entente aux côtés d’Aretha Franklin pour sa mémorable reprise de Jumpin’ Jack Flash : ça commençait bien, très bien.
Avant d’entrer en studio pour enregistrer “Talk Is Cheap”, Richards commença par jammer secrètement pendant treize heures d’affilée (!) avec son nouvel ami Steve Jordan : « Keith n’est même pas sorti pisser ! », se souvient le batteur, qui lui présenta rapidement le bassiste Charley Drayton, tandis que Richards convoqua le claviériste néo-orléanais Ivan Neville et le guitariste Waddy Watchel, avec qui il se sentait aussi à l’aise qu’avec Ron Woods, l’autre axeman des Stones.
Et voilà comment les X-Pensive Winos sont nés.
Pour cette toute première tournée hors les Pierres, le groupe était en toute logique composé de la plupart des sidemen de “Talk Is Cheap”, aux c.v. longs comme le bras reflètant leur incroyable polyvalence :
– Le saxophoniste Bobby Keys (The Band, The New Barbarians, Delaney & Bonnie, The Rolling Stones…) ; – Le guitariste Waddy Wachtel (David Sanborn, Pointer Sisters, Everly Brothers, Ronin, Fleetwood Mac, Don Henley, James Taylor, Warren Zevon, Linda Ronstadt, Stevie Nicks…) ;
– Le claviériste Ivan Neville (fils d’Aaron Neville, de la géniale fratrie néo-orléanaise des Neville Brothers) ;
– Le bassiste Charley Drayton (Bernie Worrell, Bernard Wright, Hiram Bullock, Iggy Pop, Seal, Robben Ford…) ;
– Le batteur Steve Jordan (Don Cherry, Aretha Franklin, David Sanborn, The Brecker Brothers, Steve Khan, Sonny Rollins, Donald Fagen, John Scofield, Ben Sidran, Don Grolnick, Lyle Mays, Kazumi Watanabe, The Blues Brothers, The Band, John Mayer, Toto, The Rolling Stones…) ;
– La chanteuse Sarah Dash (ex-LaBelle).
Mais c’est bien la guitare du patron qui reste au centre des attentions dans “Live At The Palladium”. Sa marque de fabrique d’“homme-riff” éclate notamment au grand jour dans How I Wish et Whip It Up. Steve Jordan, quant à lui, signe d’un G qui veut dire Groove tout ce qu’il touche, à la batterie comme à la basse – selon les morceaux, il alterne tout en souplesse avec son pote Charley Drayton, qui n’est pas moins habité la pulse que lui.
L’art du songwriting n’est pas toujours à l’honneur, et quoique éraillée bien comme il faut, la voix de Keith Richards impressionne sans doute un moins que son jeu de guitare. Mais le plaisir est ailleurs. Car entendre chaque membre des X-Pensive Winos donner le meilleur de lui-même pour mettre en valeur les racines noires du rock a quelque chose de jouissif. Surtout sur scène. Votre Doc aime aussi les apparitions de Sarah dash, épatante dans Make No Mistake, subtile ballade soul façon Al Green.
Voilà, on attend désormais la réédition de “Main Offender” (1992), troisième disque featuring le triangle infernal Keith Richards, Waddy Watchel et Steve Jordan. Et pour patienter, outre l’écoute de “Live At The Palladium”, aux recommandera aux hardcore fanatics l’album de Bernie Worrell “Funk Of Ages”, millésime 1990 : Keith Richards, Charley Drayton et Steve Jordan y mettent le feu.
COFFRET / CD / 2 LP Keith Richards And The X-Pensive Winos : “Live At The Hollywood Palladium – December 15, 1988” (BMG / Warner Music, déjà dans les bacs).
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