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Hommage

Al Jarreau, mort d’un enchanteur

Entre la fin des années 1970 et le début de la décennie suivante, si l’on s’intéressait un tant soit peu à la vraie musique, difficile de ne pas tendre la main vers un 33-tours d’Al Jarreau. Les pochettes mettaient en valeur un homme souriant, au look sobre et élégant, un peu sans âge aussi. Hélas, la mort vient de rattraper cet immense enchanteur, comme l’a si bien nommé Thierry Guedj, le réalisateur du documentaire Al Jarreau, l’enchanteur.

La vraie carrière discographique d’Al Jarreau avait pourtant commencé sur le tard, alors qu’il était déjà âgé de trente-cinq ans. Pour nous qui aimions déjà Miles Davis, Weather Report, Steely Dan, Stevie Wonder et Michael Franks – entre autres… –, Al Jarreau représentait une sorte d’idéal de musique métissée qui balançait avec allégresse entre la pop et le jazz. À cette époque, les radios passaient souvent ses chansons. Toutes les radios : Fip, Europe 1, Radio 7 ou RFM. De 1979 à 1984, Al Jarreau a aligné les tubes comme à la parade. Ils servaient de locomotive à des albums dont on n’épuisait les richesses qu’après de nombreuses écoutes.

JARREAU We Got ByQuand on fouinait dans les collections de disques de nos aînés, on tombait souvent sur l’un des deux premiers Jarreau, “We Got By” ou “Glow”. Tout au long de “We Got By”, il est accompagné par le même groupe de musiciens, auquel se joignent au gré des chansons le vibraphoniste Larry Bunker, le guitariste de blues Arthur Adams, et Dave Grusin, qui signe les arrangements de cordes et de cuivres, tout en jouant des claviers. “We Got By” installe d’emblée le style et le son Jarreau. Fort de ses neuf chansons en tous sens originales (paroles et musiques sont de sa plume), cet album n’a pas pris une ride. Il contient des classiques qui feront toujours vibrer les foules : Spirit, Raggedy Ann et Yon Don’t See Me, avec son étourdissante intro vocale, à la fois scattée, chantée, murmurée, où Jarreau occupe l’espace de façon inouïe, en innovant sans se couper d’une tradition qui remonte jusqu’aux impros funambules d’Ella Fitzgerald, en passant bien sûr par l’art du vocalese de Jon Hendricks, l’un de ses modèles revendiqués.
Si deux des collaborateurs réguliers de Jarreau jouent encore un rôle important dans “Glow” – le claviériste Tom Canning et le batteur Joe Correro – une joyeuse armée de Crusaders distille son incomparable savoir jouer. Ainsi, Larry Carlton, Joe Sample et Wilton Felder contribuent à étoffer le son Jarreau. Vocalement, Jarreau affine et affirme son art : dans l’intro scattée de Fire And Rain, un standard folk de James Taylor, il étire les syllabes comme si elles étaient en caoutchouc, s’amuse à faire sonner chaque onomatopée avec gourmandise et se joue du tempo avec un sens du swing à vous coller des frissons. Il adapte aussi Elton John (voluptueuse Your Song), Jobim (Agua de Beber, nouveau prétexte à un exercice vocal de haute voltige) et Sly & The Family Stone (Somebody’s Watching You), et lève ainsi un coin de voile sur ses multiples influences. Quant à la coda de Milwaukee, sa ville natale, si elle est shuntée un peu vite au goût de l’artiste (relire l’interview menée par Loïc Bussières dans Muziq n° 20), elle révèle encore une fois sa technique phénoménale et son entente quasi télépathique avec son batteur, Joe Corerro. Et que dire de Hold On Me, sinon que cette jubilatoire pièce montée a cappella annonce les prouesses de Take 6 ?

SON ARC EN CIEL
Le diptyque “We Got By”/“Glow” peut se transformer en triptyque si l’on prolonge le plaisir live avec le superbe “Look To The Rainbow” (le double-live-avec-la-pochette-qui-s’ouvre est un must des années 1970). Joe Correro est toujours là, et les lignes de basses sont prodiguées par une légende des studios californiens, Abe Laboriel, Jr. Dans l’intro de You Don’t See Me, plus renversant que jamais, Jarreau et le bassiste atteignent des sommets. Dans l’adaptation du célébrissime Take 5 de Paul Desmond, le chanteur se fait percussif, virevoltant et aérien, et se lance dans une impro débridée, virtuose et teintée d’humour – on a furtivement l’impression d’entendre Jerry Lewis jammer avec Jon Hendricks ! –, concentré jubilatoire de sons sensuels et sauvages (« Il fait des bruits de jungle » chantait Brenda Russell). Au passage, ces prouesses hors-normes précèdent de quelques années celles d’un Bobby McFerrin…
On notera aussi que “Look To The Rainbow” a été enregistré en Europe, où Jarreau a rapidement trouvé un public réceptif à son style décomplexé qui mêlait attrait pop et sophistication jazz. “All Fly Home” (1978) est un disque tout à fait honorable, mais aucune chanson ne surnage. Et si She’s Leaving Home et Sittin’ On The Dock Of The Bay reflètent son amour des Beatles et de la soul music siglée Stax (l’original fut comme chacun sait créé par Otis Redding début 1968), ces deux relectures ne sont pas les plus réussies de sa carrière. Les jazzfans apprécièrent malgré tout la présence de Freddie Hubbard.

Un an plus tard, “This Time” et sa classieuse pochette en noir & blanc marque un tournant dans la discographie d’Al Jarreau. Les séances sont supervisées par un guitariste, arrangeur, producteur et locataire à vie des studios angelenos, Jay Graydon (ancien membre du groupe de Don Ellis). Le fidèle Tom Canning est toujours présent, qui coécrit la plupart des titres avec Jarreau, mais la “patte” Graydon est profonde : un son raffiné et luxueux destiné à vamper les radios FM, servi par un aréopage de musiciens de studio aux talents hors-normes – quelques puristes ronchons (pléonasme ?) commencèrent alors à tiquer… On apprenait par cœur ces noms sur lesquels nous mettions rarement des visages : Jerry Hey, Chuck Findley (trompette), Dean Parks (guitare), David Foster, Larry Williams (claviers), Carlos Vega, Ralph Humphrey (batterie)… Deux des meilleurs titres, Distracted (groove contagieux) et (I Can Recall) Spain de Chick Corea, saisissants de musicalité, sont propulsés par un Steve Gadd au sommet de son art. Sa batterie est au coeur, est le cœur de chaque chanson, phénoménale de précision, soulignant à la perfection les envolées du chanteur : quand Jarreau se met à scatter dans Spain, le jeu de cloche de Gadd entre comme en résonance avec ses vocalises. Inoubliable. Tout autant que le frissonnant Alonzo.

JARREAU Breakin’ AwayÉCRINS LUXUEUX
La même équipe est reconduite pour les séances de “Breakin’ Away” (1981), qui est aussi réussi que “This Time”. Les aficionados de la première heure sont aux anges : le “cadrage” pop n’emprisonne pas Jarreau dans une cage dorée. Au contraire, chaque chanson lui sert d’écrin. Un écrin façonné avec un soin maniaque qui place “Breakin’ Away” au niveau des meilleures productions de Quincy Jones. Cette pop made in USA qui doit autant au jazz qu’à la soul vit là son âge d’or. Le manque de budget – et de nouveaux talents ? – rendrait aujourd’hui la réalisation de tels albums inimaginable. Les tubes et les chansons “cultes” abondent : Closer To Your Love, We’re In This Love Together, Easy (et son fameux refrain « Let your love ring ooouuuut »), Breakin’ Away, Roof Garden (belles collaborations Jarreau/Canning/Graydon). Comme dans “Look To The Rainbow” – et seize ans après Claude Nougaro… –, Jarreau adapte un classique du Quartet de Dave Brubeck, Blue Rondo A La Turk, sous le titre de Round, Round, Round (Nougaro, c’était À bout de souffle). L’arrangement rythmique est confié à Milcho Leviev, qui joue aussi du piano. Les synthétiseurs jouent parfaitement leur rôle, tandis que la section rythmique fait une fois de plus des miracles – Abe Laboriel et Steve Gadd, on applaudit bien fort. Nul doute que les ventes de “Time Out” de Brubeck ont dû reprendre de plus belle dans les mois qui suivirent la parution de “Breakin’ Away”…

JARREAU Boogie DownAGIT’ POP
En 1983, “Jarreau” marque le début de la fin d’une certaine époque. Jay Graydon est encore derrière la console, le swing est toujours là – un chanteur qui n’aurait pas été élevé au biberon-jazz serait incapable d’interpréter Mornin’, qui ouvre l’album –, mais l’agit’ pop bat son plein : pour un artiste populaire comme Jarreau, il faut désormais faire avec les nouvelles chaînes musicales, ces robinets à clips qui veulent nous montrer ce que l’on entendait déjà. Mais notre homme garde pour autant sa dignité et sa classe, porté par une vague d’artistes afro-américains –Michael Jackson, Lionel Richie, Prince, Chaka Khan, Luther Vandross… – qui atteignent eux aussi le sommet des charts en restant créatifs et accessibles. Composé avec un autre expert ès-studio, le pianiste Michael Omartian, Boogie Down fait un malheur (un chanteur qui scatte dans un morceau pop, c’est collector !). Grâce à Jarreau, on ne danse pas idiot. Et MTV passe en boucle ses clips, dont celui de Mornin’, qu’on vous conseille de visionner sur You Tube (Message aux collectionneurs : I Keep Callin’, la face b du maxi 45-tours de Boogie Down, est un petit trésor caché probablement issu des mêmes séances que celles de “Jarreau”.)
“High Crime” (1984) fit son petit effet dévastateur lors de sa parution. Adieu les orfèvres de studio “à l’ancienne”, bonjour les synthétiseurs dernier cri, les computers flambant neuf et les boîtes à rythmes crépitantes. Jay Graydon assure toujours la direction musicale, mais nous entrons de plain pied dans les années 1980, et Maître Jarreau swingue désormais sur des beats programmés avec la précision d’une horloge atomique – pour leur donner un petit air humain, ces cybertambours ont un nom : Skinsoh Umor, Chip McSticks, Tyrone B. Feedback, Rug Toupé & O. Rapage… Notre chanteur donne l’impression de s’amuser comme un fou, et son phrasé sinueux et bondissant s’accommode sans heurt aux scansions métronomiques (mais jamais stupides) de ces rythmes électroniques qui ont certes du mal à cacher leur âge, mais qui avaient le mérite d’être de leur temps – le Grand Rétropédaleur Recycleur n’avait pas encore jeté un sort sur la musique populaire créative ! Moisson de tubes et autres délectables frandises technopop’n’funk au programme, quand même : Imagination, Murphy’s Law, Let’s Pretend, Sticky Wicket.

JARREAU TendernessJusqu’en 1994, Al Jarreau continuera d’enregistrer pour Warner Bros., mais si certains albums valent le détour (“L Is For Lover” notamment, produit par Nile Rodgers de Chic, ainsi que la majeure partie de “Tenderness”, supervisé par Marcus Miller et qui marquait un net retour en forme), les huit premiers disques qu’il a eu la chance d’enregistrer à une époque somme toute idéale pour un artiste aussi éclectique et aventureux que lui forment un ensemble d’une richesse inégalée – et inégalable ? Quittons-nous cependant sur l’introduction extraordinaire de You Don’t See Me, dans « Tenderness”, où Al faisait corps avec la basse électrique de Marcus Miller et le groove de Steve Gadd… •

ENTRETIEN
« AL JARREAU EST NOURRI DE BLUES ET DE SPIRITUAL »

En 2012, Thierry Guedj, réalisateur du magnifique documentaire Al Jarreau l’enchanteur, nous avait confié sa passion pour le chanteur qui a changé sa vie et lui a fait découvrir le jazz.

Votre passion pour Al Jarreau : depuis quand et pourquoi ?
C’est un souvenir encore vivace et indissociable de ma découverte du jazz. J’ai depuis l’enfance une passion exclusive pour l’opéra italien et ses grands ténors. Lorsque mes parents achètent à mon frère aîné son premier Walkman, il réclame une cassette du chanteur qui l’a fait danser tout l’été avec son tube funky, Boogie Down. Le hasard les guide vers l’album “This Time”. J’en écoute un extrait pour tester la qualité de cet appareil tant convoité à l’époque et… je tombe à la renverse ! La reprise de Spain me sidère par sa virtuosité vocale, mais aussi parce que j’y découvre ce qu’est le swing. Un peu plus tard, je trouve à la Fnac la version originale de Chick Corea, dans le premier album Return To Forever. Une nouvelle vie vient de commencer pour moi… Quand j’assiste au concert d’Al Jarreau à Juan-Les-Pins trois ans plus tard, je suis bouleversé par son interprétation de All Blues, secondé par le sax alto de David Sanborn, invité à le rejoindre sur scène. Et je cours acheter “Kind Of Blue” ! Je dois donc à Al Jarreau d’être passé de Puccini à Miles Davis… C’est probablement pour ça que je réalise ce film aujourd’hui : pour payer ma dette. Parce que j’ai toujours pensé qu’Al Jarreau, par sa générosité, son charisme et son apparente simplicité pouvait communiquer au plus grand nombre toutes les musiques, même les plus sophistiquées. C’est un formidable “passeur”.

 A-t-il immédiatement adhéré au projet ?
Je le rencontre pendant l’été 2010, après son concert à Marseille où il retrouve sur scène… Chick Corea, pour une mémorable version de Spain ! Nous tombons d’accord sur le principe du film, un voyage aux États-Unis sur les lieux de son histoire, de Los Angeles, où il enregistre son prochain album, jusqu’à Milwaukee dans le Wisconsin, où il interprétait des cantiques à l’église à l’âge de quatre ans. Cependant, j’avoue m’être lancé un peu au culot en mai 2011, en débarquant caméra sous le bras au Blue Note de New York, où il se produisait pendant une semaine. Son manager me reconnaît, me conduit à sa loge, me demande de patienter à l’extérieur. Quand la porte s’ouvre, Al Jarreau, les larmes aux yeux, se jette dans mes bras pour m’accueillir, me remerciant d’avoir fait le voyage pour lui. Je comprends alors combien ce projet compte pour lui et l’honore. C’est la première fois qu’un tel documentaire est tourné. Le lendemain, il me convie dans un studio au coeur de Time Square, et je me retrouve dans une minuscule salle de répétition avec Al, Jon Hendricks et Kurt Elling. J’ai juste la place de me glisser et de caler mes deux caméras, et je capte une incroyable séance de travail et d’improvisation, suivie d’une interview à trois voix… Le film est lancé !

Pensez-vous que sa musique est bien comprise, reconnue à sa juste valeur. En d’autres termes, ses succès pop n’ont-ils pas occulté les sophistications jazz de sa musique ?
Si Al Jarreau est très éclectique, ce n’est pas par calcul mais cela traduit sa philosophie : enjoué et indiscipliné, il ne fait pas de hiérarchie entre les genres, passant d’Elton John à Miles Davis sans même réaliser qu’il a transgressé un interdit… Son pianiste Larry Williams m’a raconté que lors d’une série de concerts à l’Olympia, en 1980, Al Jarreau improvisait près d’une demi heure sur chaque chanson : alors que venaient de paraître ses premiers disques pop avec des titres calibrés pour des diffusions radio, il demeurait sur scène plus que jamais un aventurier de la voix, un inlassable explorateur. On aurait tort de limiter son art vocal à une simple “imitation d’instruments”, qui lui permet d’improviser sur la mélodie en introduisant, dans le même temps, des éléments rythmiques. Al Jarreau possède en fait un nombre infini de voix et c’est le passage de l’une à l’autre de ces voix, avec une imprévisible folie, qui suscite chez l’auditeur désir et jubilation. C’est plus en concert que sur disque qu’il n’a jamais cessé d’être un formidable jazzman, n’interprétant jamais deux fois à l’identique son répertoire, même le plus connu. C’est aussi ce que j’aimerais faire découvrir à ceux qui ne connaissent que ses succès pop, en incluant dans le film, si nous en avons les moyens, des extraits live.

Vous-même, vous le classeriez dans quelle sphère musicale ?
Quand on pose la question à Al, il répond qu’il ne connaît toujours pas son style, avant d’interroger : « Qui a rencontré le “véritable” Al Jarreau ? » En réalité, si on s’en tient à ses huit premiers albums, Al Jarreau fait bien partie d’une famille. En 1975 signent en même temps que lui pour Warner Bros. Michael Franks et David Sanborn, des artistes avec lesquels il existe un vrai lien de parenté, de sons et d’idées. Même s’il reste un chanteur noir nourri de blues et de spiritual, c’est dans la pop blanche californienne que la musique d’Al Jarreau s’inscrit alors… Ce métissage fait toute son originalité. J’ai été frappé pendant nos entretiens qu’il revendique avant tout l’influence des Beatles ou de Joni Mitchell, et que même en matière de funk, s’il cite volontiers Sly & The Family Stone, c’est pour rappeler que c’était un groupe multiracial, pluriculturel.

JARREAU This TimeQuelques anecdotes savoureuses racontées par l’artiste ?
Al Jarreau et Jon Hendricks ont évoqué avec humour leur première rencontre au milieu des années 1960. Al avait assisté à plusieurs concerts d’Hendricks, six soirs de suite, assis au premier rang. Intrigué par ce jeune homme qui lui ressemble physiquement, Hendricks finit par lui parler. Al, impressionné par son idole, ne peut prononcer qu’une question : « Jon… how do you scat ? » Hendricks, amusé et touché, se lance alors dans une véritable leçon de scat dont Al ne perd pas une miette. Puis après trois jours d’entraînement acharné, Al rejoint Jon sur scène et se lance dans un scat effréné. « Il m’a botté les fesses ! », se souvient Hendricks. Ce qui est amusant, c’est que vingt-cinq ans plus tard, Al Jarreau devra désapprendre le scat en studio. Alors que le producteur Jay Graydon lui fait enregistrer de la pop, Al ne peut s’empêcher de faire ce qu’il a toujours fait avec boulimie : improviser. Graydon finit par lui dire : « Tu transformes tout ce que tu chantes en performance vocale, pourrais-tu essayer de ne pas scatter sur cette chanson… s’il te plaît ! » Et il a fallu un gros effort pour que Al parvienne à interpréter sobrement Breakin’ Away ou Mornin’.

Votre disque favori d’Al Jarreau ?
“This Time”, pas seulement parce qu’il contient son époustouflante reprise de Spain et deux des plus belles compositions d’Al Jarreau, Alonzo et Distracted (coécrites en réalité avec George Duke). Mais aussi parce que c’est l’album où, avec la complicité de Jay Graydon et un casting de musiciens de studio fabuleux (Steve Gadd, Abe Laboriel, Earl Klugh, Jerry Hey…), il se réinvente, créant l’inimitable “son Jarreau”, reconnaissable entre tous. Et quel bonheur de rencontrer dans une même oeuvre tatant de légèreté et de complexité ! • Au micro : FG

ESPRIT, ES-TU AL ?

Le style et l’esprit Jarreau se retrouvent sur d’autres disques. Sélection subjective.

Commençons par Miles Davis lui-même, qui jouait en 1986 sur scène un instrumental intitulé Al Jarreau. La version studio, jamais publiée officiellement, est chantée par Zane Giles (qui l’avait cocomposée avec Randy Hall). Effectivement, ce rythme enjoué, ce vernis pop : il ne manque plus que la voix d’Al Jarreau. Bel hommage ! De son côté, le chanteur donnera sa propre version de All Blues de Miles…
JARREAU Brenda RussellEn 1983, la chanteuse Brenda Russell, grande admiratrice de Jarreau, écrit et compose une chanson sobrement intitulée Jarreau. Pendant qu’elle l’enregistrait, son héros lui fit l’honneur d’une visite, et fondit en larmes quand elle lui fit écouter au casque ! Longtemps, Al Jarreau faisait diffuser Jarreau dans la salle avant ses concerts… Cinq ans plus tôt, Brian Auger et Julie Tippetts, célèbres fous de jazz et de soul music, avaient enregistré deux chansons de Jarreau, extraites de son premier album, “We Got By” : Spirit et Lock All The Gates. Avec l’orgue soulful d’Auger et la voix piquante et sensuelle de Tippetts, celles-ci révèlent toute leur prégnance mélodique. Le son et le style Jarreau se retrouvent parfois dans des albums dont la production est assurée par Jay Graydon. Exemple : “Blue Desert” du chanteur Marc Jordan. En écoutant Generalities, Beautiful People ou Lost In The Hurrah, pas si difficile d’imaginer Jarreau en lieu et place de Jordan (excellent chanteur pop s’il en est).
Plus troublant encore, le troisième album éponyme des Pages, duo pop-soul-jazz et “steelydanien” où la voix de Richard Page fait souvent merveille. Si la parenté est évidente, ce n’est pas seulement parce que la voix de Page est gorgée de soul et de jazz, mais aussi parce que Richard Page et Steve George (souvent avec Jay Graydon) ont écrit plusieurs chansons – et assuré les choeurs – pour Al Jarreau : My Old Friend, I Will Be Here For You, Let’s Pretend… (Je vous laisse lesoin de découvrir qui assure la partie de vocal flute effect dans Midnight Angel…)
Enfin, pour retrouver la voix du maître himself dans un contexte on ne peut plus jazz, jetez une oreille attentive à sa version du standard Blue Skies dans la BO du film de James Foley, Glengarry Glen Ross. Frissons garantis. Peter Erskine à la batterie, et l’on entend tout ce que Al Jarreau doit à Betty Carter. • Julien Ferté

1940
Naissance le 12 avril à Milwaukee (Wisconsin).

1962
Diplômé en psychologie, il chante avec le trio de George Duke à San Francisco au Half Note.

1967
Rencontre avec le guitariste Julio Martinez. Il devient chanteur professionnel.

1975
Après quelques albums passés inaperçus, rencontre avec le pianiste Tom Cannings, le manager Patrick Rains et signature sur Warner Bros.

1978
Il participe à “Secret Agent” de Chick Corea (Polydor).

1985
Il participe à la chanson caritative We Are The Word.

1988
Il interprète la chanson du générique de la série Clair de Lune.

1994
“Tenderness”, son ultime album Warner Bros., est produit par Marcus Miller.

2004
“Givin’ It Up” (Concord) en coleader avec George Benson.