« L’amériiiique, je veux l’avoir, et je l’aurai. » Avec “1987”, le groupe de David Coverdale réalisait enfin son rêve : conquérir le marché étatsunien ! Au prix d’une métamorphose (super)sonique qui destabilisa les fans du Whitesnake bluesy. Pour célébrer la réédition en coffret Super Deluxe de cet album surpuissant, Julien Ferté a trempé sa plume d’acier dans le plomb fondu pour évoquer ses souvenirs. « Trente ans déjà ?! » Hé oui Julien…
Début avril 1987, signe des temps, je n’avais pas encore de platine CD. C’est donc dans sa version vinyle que j’ai découvert le septième album studio de Whitesnake – ou neuvième si on compte les deux premiers opus solo de David Coverdale, “WhiteSnake” et “NorthWinds”. Finis les titres coquins-machos à double sens genre “Come An’ Get It” (“Viens la prendre”) ou “Slide It In” (“Glisse-la dedans”) ! Cette fois, David et sa bande faisaient dans la sobriété façon millésime : “1987”.
Premier coup d’œil au verso de la pochette : exit les twin guitars de Bernie Marsden et Micky Moody. John Sykes est le seul axeman à bord. Ce même Sykes qui, quatre ans plus tôt, avait donné un sacré coup de fouet metal(hic ?) au bluesy Thin Lizzy du regretté Phil Lynott – remember “Thunder And Lightning”… Quant à la section rythmique, demi-surprise : Neil Murray est de retour, ce qui avait somme toute quelque chose de rassurant. (Même si, en fidèle soldat, il avait participé au controversé US Remix de “Slide It In” en 1984…) En lieu et place de la locomotive Cozy Powell, un autre grand vétéran du drumming briton prenait ses aises, Aynsley Dunbar, ex-Frank Zappa, Journey, Jefferson Starship, etc., etc.
Side 1, premier morceau : tiens, Crying In The Rain ?! Le beau David, dont on sait bien que le vocabulaire est plus limité que celui de Bob Dylan ou de Donald Fagen, aurait-il osé écrire une nouvelle chanson avec le même titre que celle qui figurait dans “Saint & Sinners” en 1982 ?! Mais non, c’est une reprise ! Wouf ! Ça dégage ! [En 1987, on ne disait pas encore « Ça envoie », NDLR.] D’emblée, je m’étais dit que les vieux fans du Snake allaient modérement apprécier cette hyper-américanisation du son. Bon, on avait déjà eu les prémices de cette mue métal avec l’US Remix de “Slide It In” évoqué plus haut, mais là, c’était clair comme de l’eau de rock : David Coverdale voulait vraiment conquérir l’Amérique, et son bon vieux combo hard-rock-blues (et parfois même soul) sonnait désormais comme les groupes de hair metal alors en (méga)vogue de l’autre côté de l‘Atlantique. Cela dit, avec une production cosignée par Keith Olsen et Mike Stone, fallait pas s’étonner – Martin Birch, on l’apprendra plus tard, avait été débarqué par le A&R mogul John Kalodner, le Dominique Besnehard du rock US.
Passé le premier choc Crying In The Rain, le cisaillant Bad Boys confirmait mes premières impressions : Coverdale et sa bande allaient plus souvent hurler « Hellooooo Clevelaaaaaand !!! » que « How are you dooooing Southampton ? » dans les prochaines années…
Et encore, je n’avais pas encore entendu Still Of The Night… Une bombe ledzeppelinienne à fragmentation metal, plombée par mille couches de guitare hurlantes…
Alors là… Si j’avais eu le numéro de téléphone de Robert Plant, je l’aurais immédiatement appelé : « Non mais Robert, t’as entendu ça ?! Y’a David y se prend pour toi ! Dans le nouveau disque de Whitesnake, il a pondu un truc, on dirait un mélange de Black Dog et de Whole Lotta Love ! Dingue ! C’est very, very heavy, mais faut avouer que ça décoiffe… »
A propos de coiffure, quand on découvrit le clip de Still Of The Night sur M6, grande fut notre surprise : mais c’est quoi ces coupes de douille les gars ? On dirait les Twisted Sister ! (J’exagère à peine…) La nouvelle image était donc raccord avec le nouveau son : hollywoodienne et hairmetallique à souhait ! Plus Miami Vice que Chapeau Melon et Bottes de Cuir !
Et puis attend, attend, bouge pas, c’est pas Dunbar à la batterie, ni Murray à la basse d’ailleurs !
Et il est où Sykes ?! (Ben, viré, car Coverdale et lui, comment dire, ça cliquait pas… Trop d’ego au mètre carré… Quant à Cozy, il n’aimait pas Sykes non plus…)
Mais attend encore, on dirait bien les mecs qui jouent avec Ozzy… Mais oui : c’est Rudy Sarzo à la basse, et l’ancien batteur de Pat Travers, heu, Tommy Aldridge ! Et c’est qui les deux blondinets à la guitare ? Y’en a même un qui joue de l’archet ! Bonjour le clin d’œil à Jimmy Page… [Si on avait su que six ans plus tard Coverdale et Page allaient duettiser rien que pour faire bisquer Robert…] Infos prises dans un mensuel hard-rock (désolé, je ne me souviens plus duquel), c’étaient Adrian Vandenberg, ex-Vandenberg, Vivian Campbell, ex-Dio.
La Side 1 se terminait par une autre reprise, encore extraite de “Saint & Sinners” : celle du viril et lyrique Here I Go Again, là encore chromé comme il faut, FMiné et tout et tout. Gros succès au pays de l’Oncle Sam.
La Side 2 commençait pépère avec Give Me All Your Love (si on interdisait à Coverdale d’utiliser les mots love et night, il serait dans la mouise). Le solo de Sykes me plaisait bien, mais bon… Je trouvais que le Cov’ en faisait trop. Heureusement, il se calmait dans Is This Love, qui sonnait comme du Tina Turner – ben oui, pourquoi pas ? (C’est d’ailleurs pour elle que cette friandise rock FM avait été composée à l’origine : logique, puisque David C. adore la soul et qu’il avait à l’époque le même coiffeur que Tina.)
Ensuite, je me souviens que Children Of The Night, Straight From The Heart et Don’t Turn Away m’avaient de prime abord laissé sur ma faim. Trente ans après, le mur du son de la Side 1 m’empêche encore d’arriver jusqu’à la fin du disque… (Pourtant, le pont de Children Of The Night est très réussi, mais le refrain est vraiment trop cliché.)
Ainsi, entre un David Lee Roth, un Michael Bolton, un Giuffria, un Journey, un Van Halen, un King Cobra ou un Ratt, on pouvait s’envoyer le nouveau Whitesnake. Ce n’était pas raisonnable, on ne s’en vantait pas en public, mais rien que pour Still Of The Night… Avec cet album, David Coverdale avait réussi son pari : mettre le public américain à genoux. Huit millions d’exemplaires, rien qu’aux Etats-Unis ! En 1989, il essaya de pousser le bouchon encore plus loin en conviant le guitariste acrobate Steve Vai pour enregistrer le follow up de « 1987”, “Slip Of The Tongue”. Mais c’est une autre histoire…
Sinon, la jolie boîte “30th Anniversary Edition” est un véritable coffre à trésor, le genre d’objet-disque qui risque de devenir collector très, très vite. Au programme : l’album original en mode 2017 Remaster (pas mieux que celui de 2007 hein…), douze morceaux live façon vrai-faux bootleg enregistrés lors de la tournée 1987-88, onze demo & rehearsals (des vieilles cassettes homemade offertes par le Cov’, très amusantes), dix versions remix ou single, dont le chouette Radio Mix de Here I Go Again, réenregistré avec Dan Huff à la guitare, Alan Pasqua aux claviers (oui, le Alan Pasqua du New Tony Williams Lifetime !), Mark Andes et Denny Carmassi (qui formaient alors la section rythmique de Heart) et Tommy Funderbruk et Richard Page (oui, le Richard Page des Pages) dans les chœurs.
Sans oublier le DVD avec les clips d’époque (à hurler de rire), un petit “making of” et des images live… Quant au livret de 64 pages, il est mirifique, avec encore plus de reproductions de pochettes de 45-tours et de maxi 45-tours que vous n’oseriez en rêver, et bien sûr de photos – celles prises par Neil Murray à Le Rayol en avril 1985 et aux Little Mountain Studios quelques mois plus tard valent vraiment le coup d’œil… (On ne vous en dit pas plus.)
« Oooooh babe… » •
COFFRET 4 CD/DVD “1987 – 30th Anniversary Super Deluxe Edition” (Parlophone / Warner Music). Egalement disponible en double vinyle, 2 CD Deluxe, 1 CD simple et en digital.
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