Passionné de dessin, féru de jazz, toujours élégant et un rien anachronique, Charlie Watts était un membre des Rolling Stones pas comme les autres. Sera-t-il à jamais le Stone préféré des fans ?
Jusqu’à ce Ruby Tuesday fatidique, chaque concert des Rolling Stones obéissait à un rituel immuable : Mick Jagger, tel un Monsieur loyal, introduisait tous les soirs chaque musicien présent sur scène. Il commençait par les subalternes (choristes, claviers, section cuivres … ), oubliait de se présenter lui-même et terminait par un Keith Richards piaffant d’impatience d’entamer son spot en solo. Mais chaque soir, le batteur emportait haut la main la victoire à l’applaudimètre. Sous la standing ovation des fans, Charlie Watts marquait mollement son enthousiasme en effectuant un paresseux roulement de toms. À ce moment précis, tout le monde était Charlie.
Charles Robert Watts s’est matérialisé le 2 juin 1941 à Wembley, dans le Middlesex. À l’âge de vingt ans, ses talents de graphiste le dirigent vers une carrière dans la publicité. Charlie travaille le jour dans une agence londonienne, mais ce féru de jazz et de blues opère le soir venu à l’Ealing Jazz Club, une salle réputée du West End régulièrement visitée par les aspirants musiciens londoniens. Charlie Watts fait partie de la formation Blues Incorporated, emmenée par le Alexis Korner à la guitare, Cyril Davies à l’harmonica et Jack Bruce à la basse. Dans l’assemblée, Mick Jagger, Keith Richards et Brian Jones ont l’œil sur le batteur. Mick Avory (futur Kinks), un des premiers batteurs des Stones, a été remplacé par Tony Chapman. Ce dernier, qui ne parvient pas à suivre les embardées R&B des guitares de Jones et Richards, est bientôt éjecté du groupe. De son côté, Charlie abandonne quelques semaines plus tard Blues Incorporated au profit de Ginger Baker. Il se voit alors proposer un job chez les Rolling Stones. Il décline l’offre dans un premier temps, préférant poursuivre une carrière assurée dans la publicité, puis, à la grande surprise de son entourage, change d’avis quelques jours plus tard . « Tout le monde pensait que j’étais devenu cinglé », se souvenait-il. Dès janvier 1963, le line-up historique des Rolling Stones est en marche, rythmé par un batteur à la frappe délicate et au toucher swing hérité de son penchant pour le jazz – Charlie Watts signera en 1965 An Ode to a High Flying Bird, une collection de dessins en hommage à Charlie Parker.
La technique de Charlie Watts se situe à des années-lumière des extravagances d’un Keith Moon ou d’un John Bonham. Charlie est un métronome humain et le compagnon idéal pour les errances -parfois flottantes- des guitares qui l’entourent. Contrairement aux règles établies, c’est le batteur qui suit les élucubrations de la six-cordes chez les Rolling Stones, en dispensant un tchack-poum instantanément reconnaissable. Sur disque, les morceaux de bravoure de Charlie Watts sont nombreux, de l’intro cloutée d’Honky Tonk Women jusqu’à Moon ls Up (dans “Voodoo Lounge“, 1994) et son beat unique tambouriné sur des poubelles dans la cage d’escalier du studio d’enregistrement.
Hors-scène, le gentleman batteur était aussi le membre le plus atypique des Rolling Stones. Éternel blasé du rock’n’roll circus, Charlie préférait se consacrer au dessin en période de tournée, s’acharnant chaque soir à reproduire sur papier sa chambre d’hôtel palatiale. Toujours tiré à quatre épingles (il fréquente régulièrement les prestigieux couturiers de Savile Row), Charlie Watts possèdait également sa part d’ombre. On raconte que le dandy effacé aurait déjà étalé d’une solide droite son chanteur, après que ce dernier l’eut appelé « mon batteur ». Il aurait aussi plongé dans la dope dure dans les années 1980, un comble pour celui qui n’avait pas compris l’intérêt de l’acide vingt ans plus tôt. Charlie Watts à jamais anachronique, mais toujours dans le temps…