Imaginé pendant le premier confinement par le Vaulmeister Joe Travers, “Zappa / Erie” est un coffret de six CD enregistrés live en 1974 et en 1976 qui, une fois de plus, révèle un Frank Zappa toujours aussi créatif à la tête de deux groupes complètement différents.
Ceux qui vouent un culte tout à fait compréhensible aux Mothers millésime 1974 ont à priori de quoi satisfaire leur soif de folies zappaïennes. Car au classic album “Roxy & Elsewhere” se sont peu à peu ajoutés le volume deux de la série “You Can’t Do That On Stage Anymore : The Helsinky Concert” publié en 1988 par Zappa puis, longtemps après sa mort, en 2018, le faramineux coffret “The Roxy Performances” , dont il faut bien l’avouer nous ne nous sommes toujours pas remis. (Et n’oublions pas le DVD et/ou le blu-ray non moins sublime “Roxy The Movie”, publié par la bonne maison Eagle Vision.)
Il en va de même pour ceux qui vénèrent – et comment ne pas être en accord avec eux ? – le groupe de 1976 du Génial Moustachu. À “Zoot Allures”, publié en 1976, et “In New York”, enregistré la même année, se sont également ajoutés depuis que FZ nous a laissés en rade “FZ:OZ” en 2002 et, grand cru post-mortem, “Philly ’76” en 2009. Somme déjà conséquente augmentée par un autre mégacoffret XXL, “Zappa In New York 40th Anniversary Edition”, paru en 2018, comme “The Roxy Performances” (pour célébrer cette année exceptionnelle, les fans masculins s’étaient pour l’occasion laissés pousser la moustache et Clémentine Delait, la plus célèbre des femmes à barbe, avait ressuscité).
Alors, tous rassasiés les fans ?
Vous plaisantez ou quoi ?!
Quitte à n’écouter qu’une, deux ou trois fois ces irrésistibles objets du désir-disque (le temps leur manque parfois), ils ne se lasseront JAMAIS des publications du Zappa Family Trust. Les archives du Maestro, on le sait, sont une inépuisable source de bonheur. Et encore une fois, “Zappa / Erie”, sortie officielle #122 (oui, 122 !) en est la preuve irréfutable.
Loin de nous l’idée de spoiler le contenu de ce coffret de six CD lovés dans un magnifique livre-disque au format 30cm, mais sachez qu’il contient trois concerts complets : celui du 8 mai 1974 au Edinboro State College sur les cd 1 et 2 ; celui du 12 novembre 1974 au Gannon Auditorium sur les CD 3 et 4 (le CD 3 est agrémenté de deux bonus tracks en ouverture, extraites du concert du 12 mai 1974 à Notre Dame University). Le line up du concert du 8 mai est le suivant : Walt Fowler, trompette, Bruce Fowler, trombone, Napoleon Murphy Brock, saxophone flûte et chant, George Duke, claviers et chant, Don Preston, claviers, Tom Fowler, basse, Chester Thompson et Ralph Humphrey, batterie. Mais, mais, où est passée la merveilleuse Ruth Underwood ?! « Elle est tombée amoureuse et a dû rentrer à Los Angeles », précise son chef d’orchestre. Nous manque-t-elle ? Bien sûr, mais le plaisir reste grand. Très grand – vous comprendrez pourquoi quand vous découvrirez la version de près d’un quart d’heure d’Inca Roads, entre autres. Vous avez le droit de pleurer de joie en écoutant le regretté George Duke chanter et FZ soloter.
Madame Underwood est de retour lors du concert du 12 novembre, mais exit Walt et Bruce Fowler, Jeff Simmons, Don Preston et Ralph Humphrey. L’alchimie sonore n’est plus la même, mais là encore le plaisir est au rendez-vous. Et quelle set list ! RDZNL, Penguin In Bondage, Dinah Moe-Humm, Montana, Dupree’s Paradise (avec l’Intro, plus de vingt-quatre minutes !), Don’t Eat The Yellow Snow…
Deux ans plus tard, Zappa a tout repeint du sol au plafond et est on the road again avec un groupe de surdoués nommés Ray White (guitare), Eddie Jobson (claviers, violon), Patrick O’Hearn (basse), Terry Bozzio (batterie) et, last but not least, Bianca Thornton, alias Lady Bianca aux claviers et au chant. Cette fois, un seul concert, celui du 12 novembre 1976 au Erie County Fieldhouse d’Erie, s’étale sur les CD 5 et 6, entrecoupé par des extraits des concerts du 13 novembre à Toledo et du 10 novembre à Montréal. Nul n’est besoin, ici, de vanter les mérites des boys in the band (oui, il y a un solo de batterie de Terry Bozzio), les lecteurs de Muziq, de muziq.fr et de Jazz Magazine savent leur excellence depuis des lustres.
En revanche, tirons notre chapeau à la magnifique Lady Bianca, sans aucun doute l’artiste la plus soulful et churchy jamais passée dans le band de Zappa. Sa performance dans You Didn’t Try To Call Me (le 10 novembre chez nos amis québecois) et dans l’hallucinante version de Black Napkins de près de dix-neuf minutes du 12 novembre 1976 (celle du 13 est superbe aussi) en témoignent amplement.
Bref, vous l’aurez compris, “Zappa / Erie” est un nouvel ajout indispensable à votre collection. Et bien sûr, on attend déjà la sortie officielle #123 !
P.S. Oups, petit problème de numérotation dans la page 16 du livret : Wonderful Wino, indiquée en troisième position, est en fait la plage 4 du CD, tout est donc décalé. Telle Ruth Underwood au printemps 1974, la correctrice ou le correcteur serait-elle ou il tombé(e) amoureux/euse et donc être obligé(e) de s’absenter le jour de la relecture ? Rien de grave cependant, l’erreur est humaine ! (Seule la capacité de travail de Frank Zappa était surhumaine.)
COFFRET “Zappa / Erie” (Zappa Records / Universal, dans les bacs le vendredi 17 juin).