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Youn Sun Nah, de la Grosse Pomme à Jazz Sous Les Pommiers

La chanteuse sud-coréenne a choisi Jazz Sous Les Pommiers pour la première mondiale de son nouveau spectacle, basé sur le répertoire de “She Moves On”, enregistré à New York et qui vient tout juste de paraître.

Youn Sun Nah, Jamie Saft (claviers), Clifton Hyde (guitare), Brad Jones (contrebasse) et Dan Rieser (batterie)

Youn Sun Nah, Jamie Saft (claviers), Clifton Hyde (guitare), Brad Jones (contrebasse) et Dan Rieser (batterie)

Tout a commencé aux Etats-Unis fin 2016, dans la maison de Jamie Saft, à Woodstock. Au sous-sol, des claviers en pagaille, une collection de cd et de vinyles où Frank Sinatra côtoie Stevie Wonder et Joni Mitchell. C’est dans cette pièce amoureusement dédiée à la musique que Youn Sun Nah a commencé d’imaginer “She Moves On” avec, d’emblée, le besoin vital de se réinventer, après toutes ces années passées avec la même famille de musiciens, d’Ulf Wakenius à Vincent Peirani en passant par Xavier Desandre-Navarre et Lars Danielsson – avec lesquels, c’est promis, elle rejouera un jour* (comme on la comprend).

Mais l’heure n’est pas aux retrouvailles mais aux trouvailles. Youn Sun Nah a donc rêvé d’Amérique, souhaité puiser dans son immense héritage musical pour s’approprier des strandards de jazz, de rock et de folk, histoire de donner à sa carrière pourtant exemplaire un salutaire petite coup de fouet. Pour continuer d’inventer, il faut oser se réinventer. Leçon milesdavissienne :leçon de vie.

Et revoilà donc Youn Sun Nah, forte d’un répertoire totalement renouvelé – seul Jockey Full Of Bourbon de Tom Waits renvoie à l’un de ses albums précédents, “Voyage” en l’occurrence – et à la tête d’un nouveau groupe que le public des grands festivals européens va découvrir cet été. Outre le claviériste Jamie Saft, que les aficionados de John Zorn connaissent bien (et qui vient de publier le superbe “Loneliness Road” avec Steve Swallow, Bobby Previte et un certain Iggy Pop), on y retrouve le guitariste-œnologue néo-orléanais Clifton Hyde (installé à New York depuis des années), l’expérimenté contrebassiste  Brad Jones (Elvin Jones Jazz Machine, Ornette Coleman Prime Time…) et l’épatant batteur Dan Rieser (Norah Jones, Valerie June…).

Nul doute que le public de Jazz Sous Les Pommiers a reconnu “sa” Youn Sun Nah (« Ici, à Coutances, je suis comme à la maison », dit-elle), mais en voyant débouler un à un sur scène ses nouveaux sidemen, d’aucuns ont dû se dire « tiens, il n’est plus là le grand accordéoniste aux pieds nus ? », ou encore « mais il est où le guitariste à casquette ? ». Plus d’accordéon, plus de guitare acoustique ni de casquette (sauf sur la tête de Bard Jones, mais d’un tout autre style cependant). Désormais, Youn Sun Nah est accompagnée par un authentique backing band à l’américaine. Un groupe qui fait bloc, qui joue sans fioritures, ancré dans le(s) groove(s) de leur terre natale. Un groupe de fortes personnalités emmené par Jamie Saft qui, non content de distiller tout son savoir faire au piano, au Fender Rhodes et à l’Orgue Hammond, dirige au doigt et à l’œil ses camarades de jeu – on appelle ça un directeur musical, et Saft en est un de première catégorie. Sa barbe est encore plus longue que celle de Billy Gibbons de ZZ Top, mais l’extrême musicalité de chacune de ses interventions le place dans la catégorie des subtils brasseurs de langages, qui connaissent leur grand livre des chansons américaines sur le bout des doigts, qui aiment profondément le jazz mais sans mépriser une seule seconde les autres musiques (cela va de soi). Bref, il y a du Booker T. et du Garth Hudson chez Jamie Saft, et cet homme va faire entrer Youn Sun Nah dans une nouvelle dimension artistique. Sa culture musicale taille XXL est bien le complément idéal du petit monde merveilleux que la Sud-Coréenne fait surgir dès que son phrasé si sophistiqué et son grain de folie si caratéristique sont à l’œuvre.

On parie donc que le duo Youn Sun Nah / Jamie Saft va faire des étincelles, et que leur grande capacité de travail et leur curiosité respective n’en seront que décuplés. Le but du jeu, nous confiait la chanteuse après le concert, est notamment d’apprendre des nouvelles chansons tous les jours et de les ajouter peu à peu à la set list. (Attendez-vous, par exemple, à voir surgir dans un futur très proche une reprise frissonnante d’émotion de Man From Mars de Joni Mitchell, déjà rejouée il y a peu par David Sanborn, l’un des nouveaux grands admirateurs de Youn Sun Nah…) À leurs côtés, les trois autres membres du groupe ne sont certainement pas en reste. Clifton Hyde griffe plusieurs solos électrisants qui en surprendront plus d’un, et fait preuve d’un sens de l’écoute digne des meilleurs orfèvres de la dentelle guitaristique sur No Other Name de Peter, Paul & Mary, interprété en duo. Quant à la section rythmique, elle procure un sentiment de plénitude terrienne et de justesse des plus rares. Pas une note de trop, pas un seul break superfétatoire : Brad Jones et Dan Rieser sont solid as a rock, comme on dit dans leur pays natal, mais le groove sensuel et le swing feutré qu’ils procurent est une bénédiction. Quelque chose d’inouï, en tout cas, dans l’univers de Youn Sun Nah. Ces deux hommes sont au service de la musique, et savent la valeur d’une chanson.

[****Attention spoiler****]

Youn Sun Nah interprète l’intégralité de “She Moves On”, et la plupart des chansons ont déjà gagné en profondeur de champs et de chant. La chanson-titre, She Moves On de Paul Simon, fut le point d’orgue de la soirée. Poussée, boostée par le groove de ses nouveaux compère, la chanteuse s’est lancée dans des vocalises stratosphériques que n’aurait pas renié une Minnie Riperton. La soul fut comme palpable d’un bout à l’autre de la soirée, dans Teach The Gifted Children de Lou Reed, dans le magnifique Too Late (signé Vanessa et Jamie Saft), un truc à vous réveiller le fantôme d’Otis Redding ou à faire crier « Alleluia ! » à Al Green, et même, via quelques dérives psychédéliques, dans Drifting de Jimi Hendrix et le brumeux A Sailor’s Life de Fairport Convention. Mais, comme de coutume – il ne faut tout de même pas faire table rase de tout le passé… –, l’un des moments forts fut l’interprétation de Black Is The Color Of Ly True Love’s Hair. Une voix envoûtante, un piano à pouces aux vertus oniriques, une contrebasse onctueuse, quelques guirlandes de percussions : la recette du bonheur. Ce jeudi 25 mai fut donc bien celui d’une nouvelle ascension pour Youn Sun Nah. Jusqu’où s’élèvera-t-elle ? On ne veut pas le savoir, car on risquerait d’avoir le vertige. •

* Pour en savoir plus, lire le passionnant entretien réalisé par Stéphane Ollivier dans le n°695 de Jazz Magazine, en kiosque dès demain.

Prochain concert : samedi 26 mai, même heure (ou presque, 18h45), même endroit (Salle Marcel-Hélie), même festival (Jazz Sous Les Pommers), mêmes musiciens : même bonheur ?

Toutes les dates de l’été de Youn Sun Nah dans L’Officiel des Festivals, actuellement en vente en kiosque (24 pages, 1,90 €).

CD “She Moves On” (ACT Music / Pias, [CHOC] Jazz Magazine)