Entre 1985 et 1996, Jeff Katz a été le photographe attitré de Prince. Pour Muziq, il revient sur l’un de ses plus célèbres shootings : la pochette du légendaire Sign of the Times.
Muziq : Comment êtes-vous entré dans le métier de photographe ?
Jeff Katz : J’ai toujours été fasciné par la photographie. C’est ma passion et mon hobby depuis que je suis enfant. Mes parents m’avaient laissé construire une chambre noire dans le sous-sol de notre maison, puis j’ai continué à faire de la photo au collège, puis au lycée avant d’entrer dans une école de photographie dans l’état de New York. En 1982, après avoir décroché mon diplôme, je suis allé en Californie et je suis devenu photographe professionnel. J’exerce toujours ce métier, qui constitue 100% de mes revenus. Je n‘ai jamais eu d’autre métier, et je suis conscient de la chance que j’ai eu en pouvant vivre de ma passion depuis 40 ans.
Quelle a été votre première commande photographique pour Prince ?
Notre première collaboration remonte au printemps 1985. Warner Brothers m’avait demandé de travailler sur l’album de The Family. Deux ans plus tard, on m’a demandé de réaliser la pochette de Sign of the Times. Cette photographie a été prise dans le local-entrepôt où travaillait Prince. C’est là qu’il répétait et qu’il avait son studio, pas très loin de Paisley Park, dont la construction n’était pas encore achevée à l’époque. Je me souviens être arrivé à Minneapolis en avion, puis je m’étais rendu sur place en voiture pour découvrir que le local était complètement vide. Prince est arrivé, habillé comme il l’était durant la période de Sign of the Times. Il avait quelques idées en tête au sujet de l’imagerie qu’il voulait développer, mais rien de vraiment précis. Notamment, il désirait remplir cet espace vide avec de nombreux éléments éparpillés, sans vraiment savoir lesquels…
C’était le week-end et il fallait trouver les éléments d’un décor. Paisley Park n’est pas située dans une grande ville, mais à Chanhassen, dans la banlieue de Minneapolis, presque à la campagne. Il n’y a vraiment pas grand-chose aux alentours, mais par le plus grand des hasards, le Chanhassen Dinner Theater accueillait la pièce Guys and Dolls (Blanche Colombe et vilains messieurs, d’après la comédie musicale d’Abe Burrows, Jo Swerling et Frank Loesser créée en 1950, ndr.). C’était un tout petit théâtre qui organisait des pièces que l’on pouvait voir en dinant. Ils nous ont laissé emprunter le décor pendant leurs jours de relâche, le dimanche et le lundi. Nous l’avons utilisé tel quel car Prince l’adorait, à tel point qu’il s’en est également inspiré pour la tournée Sign of the Times.
Sur la pochette de Sign of the Times, le visage de Prince est flou et le point est fait sur le décor. Était-ce voulu ?
Oui. J’ai pris des centaines de photos au cours de ces deux jours de shooting. Je l’ai photographié seul, puis tous les membres du groupe car il voulait des photos pour l’album et pour le programme de la tournée. J’avais une petite caisse posée au sol près de l’appareil photo. À la fin de la séance, Prince est monté dessus, il a collé son visage à l’objectif et il m’a dit : « prends la photo. » Je n’ai pas eu le temps de faire le point ni le moindre réglage. J’ai souri et je lui ai dit en blaguant que cette photo allait être intéressante et il m’a répondu : « oui, et ça va être la pochette de l’album. » Quelques jours plus tard, je lui ai envoyé une planche-contact de la séance et il me l’a renvoyée en cerclant cette photo avec l’annotation manuscrite « cover ».
Parlez-nous de la pochette « alternative » de l’édition Super Deluxe de Sign of the Times.
Cette photo est le résultat d’un accident heureux. Je faisais simplement un essai avec un temps d’exposition très long, environ 16 secondes, et Prince s’est éloigné avant la fin du temps d’exposition, ce qui donne cette impression onirique, surréaliste et magique à la fois. Ce n’est pas du Photoshop, qui n’existait pas encore à l’époque, mais une vraie image argentique. Prince aimait beaucoup cette photo, et moi aussi. Je l’avais même suggéré pour la pochette originale de Sign of the Times, mais ils ont finalement choisi celle que vous connaissez.
Vous êtes également l’auteur des clichés promotionnels de Sign of the Times.
Ces photos ont été prises à Paisley Park, quelques semaines après celles de la pochette de l’album. En fait, ce sont mes toutes premières séances photo avec Prince réalisées à Paisley Park… Chaque année, dès que Prince s’engageait dans un nouveau projet, il changeait complètement de look. La plupart des artistes entretiennent un look correspondant à la sortie d’un album et d’une tournée. En dehors de ces apparitions, ils s’habillent normalement, contrairement à Prince, qui adoptait son nouveau look 24 heures sur 24, et qui s’assurait que tout son environnement, des studios d’enregistrement aux chambres d’hôtel, correspondait au concept qu’il venait de créer. Peu d’artistes s’immergeaient d’une manière aussi totale dans leurs projets.
Vous avez aussi beaucoup photographié Prince sur scène.
J’ai eu la chance d’être envoyé un peu partout en Europe pour photographier Prince sur scène. En 1987, je l’ai photographié lors d’un concert à Berlin et une des photos a été choisie pour l’affiche du film Sign of the Times… J’ai travaillé avec lui pendant onze ans, entre 1985 et 1996, sur quelques-uns des plus prestigieux projets de sa carrière. Entre temps, The Revolution a été dissous, puis ses différents groupes jusqu’au NPG. Beaucoup de choses s’étaient passés dans sa vie, il avait changé de style, il s’était marié… C’était une progression naturelle et j’ai eu la chance d’y assister. Il n’y a pas eu de rupture formelle entre nous, et notre collaboration a toujours été un mélange de professionnalisme, de création artistique et de fun.
Propos recueillis par Christophe Geudin
Prince Sign of the Times Super Deluxe (Warner Records). Sortie le 25 septembre en éditions Super Deluxe (8CD+DVD / 13LP+DVD), Deluxe (3CD / 4LP 180-grammes) album remasterisé (2CD / 2LP 180-grammes couleur pêche) et versions digitales.
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