Fin 1985, John Lydon confie la production du nouvel album de Public Image Ltd. à Bill Laswell, qui réunit un casting hallucinant où l’on retrouve Ginger Baker, Tony Williams, Steve Vai, Ryuichi Sakamoto, Bernie Worrell, Malachi Favors… “album”, joyeuse folie punk metal, vient de ressortir en “super deluxe edition” : quatre CD (ou quatre LP), un beau livre, des cartes postales… Doc Sillon est aux anges.
Le 3 février 1986, quand “album” fait son apparition sur les facings de disquaires, on remarque aussitôt que la cassette s’intitule “cassette”, le CD “compact disc”, les 45-tours “single”, les maxi 45-tours “12” single”, etc., etc. (Et comme vous l’aviez sans doute deviné, sur le t-shirt de la tournée étaient imprimés ces deux mots : “tour teeshirt”…) Pour encore mieux souligner l’aspect “produit générique” du nouveau disque de Public Image Ltd., aucun nom de musicien n’est mentionné, comme l’avaient déjà fait Miles Davis en 1972 avec “On The Corner” et Jaco Pastorius en 1981 avec “Word Of Mouth”.
John Lydon craignait-il alors que les fans de PIL n’achètent pas le disque si par malheur ils apprenaient que l’ancien batteur de Cream, un guitariste de hard-rock inspiré par Frank Zappa, un contrebassiste de jazz et un claviériste funk jouaient dessus ?! Certainement pas, puisque qu’il prenait un malin plaisir à confier aux journalistes qu’il écoutait beaucoup Van Halen, tandis que de son côté, Bill Laswell révélait au gré des entretiens qu’il accordait aux magazines musicaux tous les noms des musiciens impliqués dans l’enregistrement du disque…
Rise, le premier single extrait du disque, était déjà dangereusement mélodique et strié par une guitare aux douteux relents métal. Mais que dire des six autres chansons ? Si Jimmy Page, passée l’aventure Led Zeppelin, était allé au bout de son projet de groupe featuring Rat Scabies, le batteur des Damned, peut-être que leur disque aurait sonné comme celui de PIL. On ne le saura jamais.
La réalité, c’est qu’“album” était un sacré disque de hard-rock punkoïde, marqué par un son puissant, agressif – mais surtout pas heavy –, et porté par une énergie new-yorkaise joyeusement hybride. Pour être tout à fait honnête, il aurait fallu être un sacré petit malin pour reconnaître les coups de boutoir donnés par Ginger Baker (qui a failli intégrer le groupe pour de bon !), le groove mammouthesque prodigué par Tony Williams (qui réalisait avec quelques années de retard un fantasme musical, lui qui avait voulu sortir un disque de new wave un rien punky sous le nom de Tony & The Barbarians en 1978, refusé par Columbia) ou, ailleurs, les claviers de Ryuichi Sakamoto et de Bernie Worrell, le violon de L. Shankar ou la contrebasse de Malachi Favors.
En revanche, la guitare de Steve Vai, seul soliste du disque, était all over the place comme on dit là-bas. Alors en pleine tournée avec Alcatrazz, le groupe de Graham Bonnet avec lequel il venait d’enregistrer “Disturbing The Peace”, il avait pu prendre l’avion pour venir claquer en overdubbing et en un jour et demi ses solos mirifiques (celui d’Ease est une tuerie) et ses riffs d’acier – FFF est un hommage à Massacre à la tronçonneuse ou bien ? Lydon himself était venu le féliciter. Comme on le comprend : Vai, en état de grâce, fait couler du métal en fusion sur tous les morceaux. Sa guitare acrobate s’accorde à merveille avec les vocalises hallucinées de Lydon – on raconte qu’Ornette Coleman (et non Miles Davis, comme indiqué sur la fiche Wikipedia d’“album”) était venu faire un tour en studio pendant les séances et déclaré que « Lydon chantait comme lui jouait du saxophone ». D’après Lydon, « la meilleure chose qu’on lui ait jamais dite ». Tu m’étonnes.
Au compact disc original (impeccablement remasterisé) ont été ajoutés un cd live à la Brixton Academy enregistré le 27 mai 1986 (pas mal, mais bon, les musiciens du disque ne sont pas là…), un cd de démos (bof) et un autre de “mixes, outtakes & bbc recordings”, plus intéressant. Le livre de 72 pages est superbement mis en page, et l’on lit avec certaine délectation les chroniques d’époque – « Wot ? Steve Vai, are you serious John ? ! » Sinon, j’adore, dans Home, le clin gros comme ça à Kashmir de Led Zeppelin. Clin d’œil réitéré dans le CD enregistré à la Brixton Academy puisque le set de PIL commence par une version instrumentale de Kashmir – quel punk ce Lydon ! •
Coffret 4 CD / 4 LP “Album – Super Deluxe Edition” (Virgin Records / Universal)
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