Décidément, nos amis anglais cultivent l’art des compilations. “One Way Glass” en est une fois encore le parfait exemple : soin méticuleux apporté à la confection de l’objet-disque, qualité de son contenu. Tasty, indeed.
Sous-titré “Dancefloor-Prog, Brit-Jazz & funky-Folk 1968/75”, ce joli coffret contenant trois CD copieusement remplis explore une période méconnue et sous-estimée du rock british, vu sous l’angle du groove. Au début des seventies, ce bouillonnement brut, funky et psychédélique sans réelle étiquette – étonnant pour une contrée habituée à systématiquement nommer chaque mouvement musical émergeant… –, préfigure la future vague rétro-futuriste funky-jazz des années 1990.
Le parti pris de la sélection ? Éviter les leaders les plus en vue de cette période fertile, comme Traffic, le Jeff Beck Group ou Brian Auger. Nos experts-compileurs prennent un réel plaisir à exhumer des artistes et des groupes méconnus ou oubliés, tous marqués par le sceau du groove. Seuls quelques noms nous parlent : on croise ainsi le rock lourd et funky d’Atomic Rooster (premier groupe de Carl Palmer, futur batteur de Emerson, Lake et Lui), les guitares wah-wah shaftiennes de Skin Alley, comme les prémices du progressive groovy rock de Colosseum du batteur Jon Hiseman. Mais aussi : l’irrésistible septet Trifle, sorte de cousin anglais de Blood Sweat & Tears, Junior Hanson et ses accents hendrixiens, ou encore Blue Mink et ses beats monstrueusement funky sont autant de trésors cachés totalement réjouissants.
Soit, in fine, un éclectique et joyeux brouet psychédélique, autant chanté (mention spéciale aux voix féminines de Dana Gillespie et de Melanie) qu’instrumental, gorgé d’orgues Hammond surchauffés, de flûtes volages, de guitares acides fréquemment épaulées de sections de cuivres en droite ligne du grand Chicago Transit Authority. Point de chef d’œuvres notables, mais peu de moments faibles – plaisir de la découverte, quand tu nous tient ! La quintessence d’un son original et foncièrement hybride, résultante de l’intense foisonnement d’une scène anglaise, qui s’infusait sans complexe de soul et de rythmes black & blues venus d’Outre Atlantique. Vingt plus tard, ce mouvement sera remis en lumière de manière bien moins convaincante via la vague acid jazz. Qui a dit que les Anglais ne savaient pas swinguer ? •
PS : en indispensable complément, un livret passionnant propose un portrait détaillé de tous les artistes de cette compilation.
Coffret 3 CD “One Way Glass (Dancefloor-Prog, Brit-Jazz & funky-Folk. 1968/1975)” (RPM / Cherry Red Records. Disponible chez nos amis de Gibert Joseph).