Dans le documentaire Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, le photographe-cinéaste Bruce Weber capture l’enregistrement d’un album inédit de Robert Mitchum accompagné de Dr. John, Marianne Faithfull et Rickie Lee Jones. Rencontre avec le réalisateur de Let’s Get Lost (et avec Carrie Mitchum, la petite-fille de l’effrayant prêcheur tatoué de La Nuit du chasseur).
Muziq : Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, votre documentaire consacré à Robert Mitchum, a pour fil rouge une séance d’enregistrement. Quel est le point de départ de ce projet ?
Bruce Weber : En 1991, j’ai rencontré Bob au Beverly Hills Hotel de Los Angeles. Au cours de la soirée, il nous a raconté un tas d’histoires complètement ahurissantes sur sa vie et ses tournages épiques en plein âge d’or Hollywoodien. À un moment du repas, il s’est mis à chanter une chanson de Cole Porter, « But in the Morning, No ». Je suis un fou de musique, je possède une énorme collection de vinyles et j’ai toujours aimé l’ambiance des studios d’enregistrement. Je tenais absolument à faire ce film sur Bob, et je me suis dit qu’il fallait que je le filme derrière un micro, car et la musique était peut-être le meilleur moyen d’arriver à capturer la personnalité de ce personnage réputé pour être insaisissable.
Carrie Mitchum : Mon grand-père adorait la musique. Je pense que s’il n’avait pas été acteur, il aurait adoré être une rock-star (rires). C’est pour cette raison qu’il a enregistré des singles et des albums au cours de sa carrière, dont son fameux disque de calypso (Calypso – Is Like So… 1957, ndr). Il a aussi fait un excellent album de country-western (That Man Robert Mitchum… Sings, 1967 ndr) qui est moins connu.
Bruce Weber : Plus d’un an après notre rencontre, Bob a accepté l’idée de cet enregistrement. Nous lui avons envoyé une liste de titres et John Leftwich, qui travaillait à l’époque avec Rickie Lee Jones, a signé tous les arrangements et recruté les musiciens. Nous sommes allés ensuite aux studios Capitol, à Los Angeles, en 1993. Le premier jour de l’enregistrement, Bob est entré dans le studio. Nous lui avons présenté les partitions et il a dit : « Je ne connais pas ces chansons. Je ne les ai jamais chantées. » Je lui ai répondu : « Bob, tu mens. Je te les ai envoyées, John te les a envoyées aussi », mais Bob a fait : « Non, je n’ai rien reçu. » Great… C’était le premier jour de tournage et le projet tombait déjà à l’eau. Heureusement, Bob a fini par se placer derrière le micro. Il s’est mis à chanter et nous nous sommes rendus compte qu’il connaissait ces chansons et qu’il les avait travaillées. Il voulait peut-être simplement nous tester…
Quelle était la liste de ces chansons ?
Bruce Weber : Il y a ce très beau duo avec Rickie Lee Jones sur « Stars Fell On Alabama » et des standards comme « Wild is the Wind » « Beauty Is Only Skin Deep », « You Go to My Head », « Isn’t it a Pity » de Gershwin et « Dancing Cheek to Cheek » d’Irvin Berling, que Bob chante avec beaucoup d’attitude. À l’époque, il commençait aussi à flirter avec Marianne Faithfull, avec qui il reprend « Jersey Girl » de Tom Waits, une chanson que Bob adorait et sur laquelle Dr. John joue du piano. Bob s’est senti tout de suite très proche de Dr. John, un vrai personnage lui aussi. Cette confiance a beaucoup contribué à l’implication de Bob dans le projet.
Quel type de chanteur était Robert Mitchum ?
Bruce Weber : Bob avait le sens du rythme et il savait toujours placer sa voix. Son timbre de récitant était le meilleur outil pour son talk-over si particulier. Il était aussi très à l’aise devant un micro, beaucoup plus que devant la caméra pendant les interviews. Pendant le tournage de Let’s Get Lost, Chet Baker adorait chanter dans les vieux micros des années 1950 car ils capturaient les tessitures des voix à la perfection. J’ai demandé à avoir les mêmes pour Bob. Je vais vous raconter une anecdote : Pour l’enregistrement de la bande originale de Let’s Get Lost, nous étions allés dans un tout petit studio qui s’appelait Sand in the Sea. Les ingénieurs du son était assez jeunes, dans la trentaine, et le premier jour des séances, Chet est arrivé. Il avait l’air vieux et totalement épuisé. Une fois dans la cabine de prise de voix, il s’est approché du micro, il se l’est collé tout près du visage et il s’est mis à chanter et à jouer de la trompette. Nous étions de l’autre côté de la vitre, dernière la console avec Chris Isaak, et là, stupeur, on n’entendait rien, absolument rien. Pourtant, Chet jouait chantait. On a mis nos casques et tout ce qu’on entendait, c’était un mince filet de voix. J’étais désespéré, le film était terminé et la bande-son était foutue, ce qui remettait tout en question. La mort dans l’âme, nous avons quand même écouté le play-back et il s’est passé quelque chose d’incroyable : la voix et la trompette de Chet ont rempli tout l’espace, c’était miraculeux. Les ingénieurs du son étaient bouche bée. À l’inverse, la voix de Bob était profonde et puissante, on pouvait presque l’entendre de la rue (rires).
Qui étaient les musiciens présents lors de la séance ?
Bruce Weber : Frank Strazzeri au piano, qui avait joué sur la bande originale de Let’s Get Lost, est présent sur quelquestitres. John Letfwich était à la basse. Il y avait des cordes, mais je ne me souviens pas du nom du guitariste et du batteur… Il faudrait demander à Dr. John. Vous avez instant ? (il appelle son assistante Eva). « Eva, peux-tu appeler Dr. John ? J’ai une question à lui poser ». Ça ne vous dérange pas ?
Euh, non, faites donc.
Bruce Weber (tombant sur une boîte vocale) : « Mac ? Ici Bruce Weber. Peux-tu me rappeler ? ». Désolé, il ne répond pas — la réponse tombera plus tard : Michael O’Neil (guitare), Ralph Penland (batterie) et Keith Fidmont (saxophone), ndr.
Cet album n’est jamais sorti. Pourquoi ?
Bruce Weber : Oh, il va bientôt sortir en fin d’année. Nous sommes en train d’en parler avec le distributeur. Il portera le même nom que le film, Nice Girls Don’t Stay for Breakfast, d’après une chanson de Julie London que j’adore.
Nice Girls Don’t Stay for Breakfast de Bruce Weber (Distribution La Rabbia, actuellement en salles). Également disponible en librairie : Mitchum X Weber (La Rabbia/Actes Sud). Exposition jusqu’au 2 mars à Paris (galerie-boutique Agnès B).