Membre historique des Ohio Players période Westbound Records, coauteur du chef-d’œuvre de Funkadelic One Nation Under A Groove, multi-instrumentiste surdoué : Walter “Junie” Morrison, 62 ans, est mort le 21 janvier. Neuf mois après Bernie Worrell, encore un True Funk Soldier qui s’en va… Hommage.
Au tout début des glorieuses seventies, les Ohio Players sont invités à enregistrer un show TV. Lors des répétitions, ils sont bluffés par le directeur musical de l’émission, un fort talentueux claviériste aux allures de lycéen qui, de plus, semble exceller à la guitare, à la basse et à la batterie. « What’s your name, young fella ? – Walter sir, Walter Morrison… » Walter Morrison devient illico membre du groupe de Leroy “Sugarfoot” Bonner, Gregory Webster, Andrew Noland et consors.
Pain, l’un des premiers titres qu’il cosigne avec ses nouveaux amis, est publié en 45-tours par un petit label indépendant, Top Hit. Le team de Westbound Records en prend bonne note, et Pain ressort, boosté par la puissance de feu du label de Funkadelic. Les Ohio Players quittent les bas-fonds des charts et signent leur premier contrat d’enregistrement sérieux.
Westbound Records publie “Pain” en 1972. La pochette de leur 33-tours marque sans doute plus les esprits que leur musique. Pourtant, compartiment claviers, arrangements et voix, les talents du young fella Junie sont déjà faciles à repérer. Quant à cette drôlatique voix de mamie qui fait son apparition dans Players Ballin’ (Players Doin’ Their Own Thing) et Singing In The Morning, elle annonce des lendemains qui chantent…
Car dans le second 33-tours d’Ohio Players, “Pleasure” (1972), dont la pochette est encore plus hot que la précédente, un morceau insensé va les propulser au sommet des charts. Il s’intitule Funky Worm, et la granny (mamie) allumée citée plus haut en est l’héroïne, qui vante les mérites de son étrange poulain, ce ver funky qui « sort de son trou » et pour lui faire gagner un max de blé. Et les chœurs reprennent : « Et quand il attrape sa guitare et commence à pincer les cordes, tout le monde se lève et se met à danser. »
Tu m’étonnes : Funky Worm entre dans les charts R&B le 10 mars 1973, atteint rapidement la place la plus enviée, la number one, et entre même dans le Top 20 des charts pop. (Depuis, on ne compte plus les samples de la voix nasillarde de granny et de la partie de synthés magique de Junie Morrison : écoutez entre autres Dopeman de N.W.A et Me Myself And I de De La Soul.) Et avec ça, notre jeune sorcier du Moog attire définitivement l’attention d’un certain George Clinton qui, forcément, goûte aussi son superbe solo d’orgue dans la chanson-titre…
Peu de temps après la parution de l’inégal “Ecstasy” (1973), Junie Morrison quitte les Ohio Players. Westbound Records mise sur lui en tant qu’artiste solo, tandis que ses désormais ex-compères signent un nouveau contrat d’enregistrement avec Mercury (avec, à la clé, une série d’albums mirifiques d’où seront extraits moult 45-tours ultra-groovy). Le flamboyant “When We Do” sort en 1975. Junie chante, écrit, compose, arrange (aidé, pour les cordes, par le Detroit Symphony dirigé par Dave Van De Pitte, l’arrangeur principal de « What’s Going On » de Marvin Gaye) et fait miroiter son multi-instrumentisme. Un one man band au top. (Ce funk technicolor précède de plusieurs années les envolées princières.) Mais la faute à l’absence de tube-locomotive, “When We Do” passe quasiment inaperçu.
“Freeze” (1975, avec Super J, qui a dû inspirer Roger Troutman) et “Suzie Super Groupie” (1976, ) sont globalement moins réussis, mais permettent d’enrichir tout de même la moisson de perles funky – en 1994, le CD “The Westbound Years” réunira le meilleurs des trois opus solo de Junie.
Passé sa trilogie perso, Junie Morrison commence à collaborer activement avec celui qui l’avait repéré sept ans plus tôt : George Clinton. Il devient le directeur musical de nombreux projets imaginés par le barbier fou de Plainfield qui, dans son autobiographie, Brothas Be, Yo Like George Ain’t That Funkin’ Kinda Hard On You ?, ne tarit pas d’éloges à son sujet :
« Travailler avec Junie, c’était fascinant. Il pouvait tout faire, et si vous ne faisiez pas attention, il le faisait. Quand il enregistrait un morceau, il aimait commencer par la basse, puis la guitare, les claviers, et enfin la batterie. Il pouvait faire des choses brillantes sans que vous y prêtiez attention. (…) Mais ce n’est pas parce que vous savez jouer de tous les instruments que vous devez forcement le faire. Vous devez avoir à l’esprit lequel d’entre eux sonne de façon singulière entre vos mains, lequel a un caractère distinct. C’est comme ça qu’on obtient l’alchimie. (…) Junie n’était pas le seul à être menacé de disparaître dans la case du “génie-solitaire”. Sly [Stone] l’avait fréquentée avant lui, Prince après lui. Si vous vous éloignez de l’environnement d’un groupe, vous commencez à perdre votre jus. En rejoignant Funkadelic, Junie s’est remis à jouer en groupe, et ç’a payé tout de suite. » Résultat : Junie Morrison, parfois sous le pseudonyme de J.S. Theracon, contribue à la magnificence lumineuse de la galaxie P-Funk en coécrivant et en arrangeant quelques instant classics comme One Nation Under A Groove, Groovallegiance, Who Says A Funk Band Can’t Play Rock ?, (Not Just) Knee Deep ou Aqua Boogie. Excusez du peu. On aime aussi des pépites (un peu) moins connues comme le zappaïen Pot Sharing Tots de 1983 (“Computer Games”) ou Color Me Funky, dans “Gloryhallastoopid (Or Pin The Tail On The Funky)”.
Commencée en 1978, l’union sacrée entre Junie M. et George C. perdurera jusqu’en 1996, de façon de plus en plus sporadique, leur âge d’or de se situant entre 1978 et 1983. Début 1983, d’ailleurs, pour partir défendre on the road son nouvel album, “Computer Games”, George Clinton assemble un groupe hallucinant featuring Eddie Hazel, Michael Hampton et Blackbyrd McKnight à la guitare, Rodney Curtis à la basse, Dennis Chambers à la batterie et, of course, Junie Morrison et Bernie Worrell aux claviers. Parlez-nous d’all stars…
En 1980, Columbia publie le dernier album (plus ou moins) satisfaisant de Junie, “Bread Alone”, qui contient deux sympathiques p-funkeries, Love Has Taken Over Me (Be My Baby) et Seaman First Class (Jock Rock). Vingt-cinq ans plus tard, en 2015, sa voix semble déjà surgir d’outre-tombe dans Junie’s Transmission (et Re-Transmission), extraits d’“Invite The Light”, le deuxième album de son grand admirateur, Dam-Funk : « If we invite the funk, he will never let us down. » Tu l’as dit Junie. •
AVEC OHIO PLAYERS
“Pain” (Westbound Records, 1972)
“Pleasure” (Westbound Records, 1972)
“Ecstasy” (Westbound Records, 1973)
EN SOLO
“When We Do” (Westbound Records, 1975)
“Freeze” (Westbound Records, 1975)
“Suzie Super Groupie” (Westbound Records, 1976)
“The Westbound Years” (Westbound Records / Ace Records, 1994)
“Bread Alone” (Columbia / BBR, 1980)
AVEC FUNKADELIC
“One Nation Under A Groove” (1978)
Junie est impliqué dans : One Nation Under A Groove, Groovallegiance et Who Says A Funk Band Can’t Play Rock ?, Into You et Cholly (Funk Getting Ready To Roll)
“Uncle Jam Wants You” (1979)
(Not Just) Knee Deep
“The Electric Spanking Of War Babies” (1981)
The Electric Spanking Of War Babies
AVEC PARLIAMENT
“Motor Booty Affair” (1978)
Aqua Boogie
“Gloryhallastoopid (Or Pin The Tail On The Funky)” (1979)
Color Me Funky
Theme From The Black Hole
May We Bang You ?
“Trombipulation” (1980)
Let’s Play House
AVEC GEORGE CLINTON
“Computer Games” (Capitol, 1981)
Pot Sharing Tots
Computer Games
One Fun At A Time
AVEC P.FUNK ALL-STARS
“Urban Dancefloor Guerillas” (CBS, 1983, réédité en 1995 par Westbound Records sous le titre d’“Hydraulic Funk”)
Hydraulic Funk
AVEC GEORGE CLINTON AND THE P-FUNK ALL STARS
“T.A.P.O.A.F.O.M.” (550 Music / Epic, 1996)
Summer Swim
Funky Kind (Gonna Knock It Down)
Hard As Steel