Dans Birkin-Gainsbourg : Le symphonique, Jane Birkin s’attaque au répertoire Gainsbourgeois en version philharmonique. Elle enfile aussi pour la première fois un fameux pull marine…
Muziq : Quel est le point de départ de ce projet 100% symphonique ?
Jane Birkin : Lors d’une conversation avec une journaliste canadienne, j’avais expliqué que Serge avait utilisé beaucoup de musique classique pour ses interprètes, Charlotte, moi, Bardot et les autres. Elle m’a demandé pourquoi je n’essaierai pas un jour d’enregistrer un album philharmonique. Lorsque je suis retournée au Canada pour le spectacle Gainsbourg, textes sans musiques avec Michel Piccoli et Hervé Pierre, elle avait tout organisé avec l’Orchestre de Montréal, puis les Francofolies ont bien voulu nous accueillir. Je ne m’attendais pas à ce que ça bouge aussi vite et j’ai tout de suite appelé Philippe Lerichomme pour m’accompagner dans ce qui sera, peut-être, une dernière aventure, car ça demandait beaucoup de travail de sa part. Quand il m’a assuré qu’il pouvait le faire avec moi, j’ai appelé Nobu (Nobuyuki Nakajima, pianiste-arrangeur de Jane Birkin Sings Serge Gainsbourg Via Japan, 2013 ndr.) pour lui demander des orchestrations. Ensuite, lui et Philippe ont décidé quelles chansons j’allais chanter. Puis on s’est envolés à Montréal. Les deux premières dates étaient catastrophiques car je venais de perdre ma voix. J’étais tellement navrée après la première date : je ne pouvais pas piper un mot, mais comme j’avais quand même ma fierté vis-à-vis de l’orchestre philharmonique, j’ai décidé de réciter les textes car même si je ne chante pas, on entend toujours toute la beauté de la musique de Serge… C’est donc par cette coïncidence que tout a commencé. C’était pour un ou deux concerts, pas plus, et ça va peut-être nous emmener pour un ou deux ans.
Dans quelles circonstances se sont déroulées l’enregistrement de Birkin-Gainsbourg : Le symphonique ?
On aurait dû enregistrer l’album à Shangai, mais les chinois ne m’ont pas donné de visa et on est partis à Varsovie, où avec leur incroyable orchestre ils ont fait un travail absolument superbe. J’ai fait ensuite les prises de voix à Paris avec Dominique Blanc-Francard. Le trieur de chansons, c’était Philippe Lerichomme qui m’encourageait et me disait ce qu’il fallait faire et Nobu, qui m’indiquait à quel moment je devais commencer à chanter. Avec un orchestre symphonique dans le dos, tu ne peux pas trop te tromper.
Avez-vous été impressionnée par la présence de cet orchestre ?
Oui et non parce que c’est très porteur. Comme les orchestrations étaient déjà prêtes, Nobu m’a donné une partition où je n’avais pas à lutter. J’avais un peu peur que tout le monde soit obligé de baisser un peu le volume pour laisser passer la voix et qu’on perde l’atout d’avoir un orchestre symphonique, mais pas du tout, je vole par-dessus sans aucun problème et on entend très bien les mots. En tout cas je ne peux pas faire mieux. Dans cette forme-là, avec Arabesque et les textes que j’ai récité avec Piccoli et Hervé Pierre, c’est ce que j’ai pu faire de mieux. Après ça, si je peux traîner avec un pianiste de bar pour tout le reste de ma vie, c’est mon affaire (rires).
On trouve des évidences, mais aussi quelques surprises dans le répertoire de cet album. Le choix d’ « Une chose entre autres » par exemple.
Oui. Je l’avais déjà chantée avec Nobu au piano, mais ce n’était pas évident de la remettre une deuxième fois. Pour moi, c’était irrésistible à cause de ce que cette chanson raconte. « Une chose entre autres que tu ne sais pas / Tu as eu plus qu’un autre / Le meilleur de moi. » C’est l’impression de ce que j’ai eu de Serge. Après, ça devient très personnel : « Est-ce ta faute / Peut-être pas / Les parcours sans fautes / N’existent pas. » Et puis il y a la fin du texte : « Une chose entre autres / J’étais à toi / Maintenant je suis à d’autres / Je ne te suis pas. » Ça, c’est l’époque de « La marseillaise »… Évidemment, cette vie privée n’a rien à voir avec moi puisqu’il était avec Bambou. Je tenais beaucoup à cette chanson parce qu’elle explique tout pour moi. Il ne doit pas y avoir beaucoup de personnes qui ont pu profiter d’un auteur qui était peut-être le meilleur de son siècle, qui a écrit pour moi depuis mes vingt ans jusqu’à sa mort. J’ai continué pendant 25 ans à chanter ses chansons. Il me les a données sans aucune raison quand je suis partie. Il n’y avait pas de contrat, pas de maison de disques. C’était un étrange besoin de sa part de vouloir avoir quelqu’un qui interprétait ses états d’âme. Il avait gardé pour lui tout ce qu’il y avait de plus flamboyant, de plus choquant et de plus nécessaire pour son équilibre mental. Il était devenu Gainsbarre.
Une chanson comme « Sorry Angel » est peut-être une exception.
Je l’ai chantée plus tard, mais je pense que c’était plutôt inspiré par Bambou. Dans cette chanson, il est gagneur alors que dans « Amours des feintes » évidemment, mais aussi « Les dessous chics », « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve », « Un amour peut en cacher un autre », « Baby Alone in Babylone »… Toutes les chansons qu’il m’a données jusqu’à la fin parlaient de ses déceptions amoureuses, de ses blessures, de ses pertes, mais c’est tellement pudique et dit avec un tel talent et une telle beauté que c’est camouflé, comme dans « Les dessous chics ». « Maquillé outrageusement / Rouge sang / Se garder au fond de soi/ Fragile comme un bas de soie ». Tout ça c’est lui, pas moi. C’est le mini-portrait de lui. Peut-être que c’était nécéssaire pour lui d’avoir un côté féminin et un côté masculin pour faire un tout. Il avait peut-être besoin de cet autre côté quand il était Gainsbarre.
Vous interprétez aussi pour la première fois « Pull Marine », chanté par Isabelle Adjani en 1983.
C’est un choix de Philippe Lerichomme. Au début, je ne voulais pas la reprendre, mais Philippe a insisté. Dès le départ, j’ai voulu la chanter, mais Serge l’avait réservée à Adjani qui l’a chantée merveilleusement. Pour le coup, c’est vraiment un mini-portrait d’elle. Les verres fumés pour montrer tout ce qu’elle veut cacher, la petite sardine, c’est vraiment elle et c’est si définissable que ça ne rentre pas forcément dans le personnage que Serge m’avait donné à jouer ou à chanter. Mais Lerichomme a raison en disant qu’il était nécessaire d’avoir une surprise, un cadeau, un truc en plus dans ce disque.
Vous aviez tout de suite aimé l’instrumental de « Pull Marine » avant que Gainsbourg n’écrive les paroles.
Oui, et à côté de ça, il y avait d’autres chansons comme « Les dessous chics » et « Fuir le bonheur de peur qu’il ne se sauve ». Il avait fait d’abord choisir le musiques à Adjani et, par chance, elle n’a n’avait pas voulu de celles-ci. Peut-être qu’il voulait mettre aussi de côté son côté féminin et sa détresse pour ces chansons. Ce n’étaient que des versions instrumentales, mais quand j’ai lu les mots le lundi au studio… Et le mardi, il y en avait encore trois autres. Il avait passé des nuits blanches et il avait mis le paquet sur ces mots. Ce premier disque est peut-être le plus beau que j’aie jamais fait.
Vous parlez de « premier disque », mais il y a aussi tout ce que vous aviez fait avant ?
Oui, mais c’était mon disque de grande personne (rires) !
En 1994, vous avez donné un important concert à Londres, au Savoy. Vous avez toujours été la première ambassadrice de Gainsbourg.
(Elle coupe) J’étais super-vexée. Ma mère était actrice, elle connaissait le Savoy et la personne qui faisait le booking. Elle m’a dit que le concert n’était pas complet et qu’il fallait que je vienne faire un peu de promo. Maman avait toujours raison, et j’ai décidé de faire des interviews à contre-coeur. Je suis tombée sur un type de News of the World qui voulait juste me prendre en photo en me disant « Show us a bit of leg ! » (montre-nous un peu tes jambes ! »), puis il m’a demandé « have you made other dirty records since ? » (« avez-vous enregistré d’autres disques cochons depuis ? »). Je me suis dit que toute une éducation était à faire. Je ne voulais pas pleurer devant ce monsieur et avec ma copine Gabrielle Crawford, qui avait organisé tout ce tribute fait pour offrir un scanner à un hôpital pour traiter le cancer du colon, nous avons contacté tous ceux qu’on pouvait contacter : Godard, Piccoli, Deneuve, Bardot, Souchon qui avait écrit un texte magnifique, et aussi Jacques Chirac et Mitterrand, qui a comparé Serge à Baudelaire dans son texte. Chacun a écrit trois lignes à la main pour exprimer ce que Serge voulait dire pour eux. Je les ai fais traduire en anglais, puis je suis retournée en Angleterre avec tout ça. Dirk Bogarde avait décidé de venir pour me présenter aux anglais, lui qui avait été aussi mal compris dans son pays. Il avait beaucoup travaillé en Italie puis il était venu s’installer dans le sud de la France, et c’est là qu’il avait compris ce que Serge voulait dire pour les français… À l’époque, il fallait vraiment apporter des preuves du talent de Serge à l’étranger. Aujourd’hui, je n’ai plus besoin d’expliquer.
Après Jane Birkin Sings Serge Gainsbourg Via Japan, Birkin-Gainsbourg : Le symphonique est-il aussi le moyen d’exporter le répertoire de Gainsbourg vers l’Asie ?
Le Japon est un des endroits où nous sommes allés le plus souvent avec Serge pour les films et les chansons, dont une fois lorsque j’étais enceinte de Charlotte. J’ai pu cavaler partout grâce à Arabesque probablement parce que les musiques arabes se prêtaient à cette dimension orientale, mais aussi en Australie, à Djakarta, Hong-Kong devant 3000 personnes. Ça passait peut-être mieux facilement qu’avec un simple spectacle de chanson française, et c’est peut-être aujourd’hui par le biais de la musique classique qu’on va pouvoir faire des salles d’opéra dans le monde entier. Je n’aurais jamais imaginé que tous ces pays auraient été curieux de notre travail. Les gens sont aussi très amoureux de la langue française, qui est très romantique. On m’a même dit qu’à Hong-Kong, il y a des jeunes personnes qui ont appris le français grâce à moi, mais ne le dites pas trop (rires) !
Propos recueillis par Christophe Geudin et Sébastien Merlet. Photos © Carole Bellaiche
Jane Birkin Birkin-Gainsbourg : Le symphonique (Warner Music France). Sortie en CD, double vinyle et version digitale le 24 mars.
En concert le 12 avril à Paris (Maison de la Radio) et à Monte-Carlo (Opéra Garnier) le 11 mai.
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