Supergroup tout court ou super groupe de personnes déterminées à faire de la bonne musique ensemble ? Les deux mon capitaine ! Avec Gizmodrome, Stewart Copeland, Adrian Belew, Mark King et Vittorio Cosma livrent un premier album d’une étonnante fraîcheur d’inspiration.
Mais quelle est donc cet air qui me trotte dans la tête ? Un vieux truc de Level 42 ou d’Adrian Belew ? Mais non, suis-je bête, c’est dans l’album de Gizmodrome ! « Sweet angel, rule the world, rule the world… » Si passée la première écoute on m’avait dit « Tu verras, à force, la majeure partie des chansons va finir par te coller au cœur et au corps », j’aurais répondu un truc comme : « Heu, peut-être, mais pour l’instant, je suis perplexe… » Pensez : on était forcément fébrile quand on a glissé dans la platine cet album enregistré par trois musiciens qui hantent depuis des lustres nos insatiables appétits de mange-disques, j’ai nommé Stewart Copeland (batteur génial de The Police), Adrian Belew (guitariste génial de Frank Zappa, David Bowie, Talking Heads et King Crimson), Mark King (bassiste génial de Level 42) – enchanté Monsieur Vittorio Cosma, on ne vous connaissait pas mais bravo, vos claviers savants s’élèvent au niveau des (d)ébats.
Du coup, la première réaction avait toutes les chances d’être mitigée.
Et elle le fut.
Pourquoi ? Parce que les onze chansons + un instrumental de Gizmodrome forment un petit butin sonique pas si facile à appréhender. D’abord, il y a le lead singing de Stewart Copeland, qui relève plus du sprechgesang, du parlé-chanté, truffé de tics opératiques pas tocs mais certainement plus clivant que rassurant. C’est caustique et sophistiqué à la fois, ça roule des rrrrr, c’est grave et coquin, et les paroles sont au diapason :drôles, zinzins même, sans queue ni tête – les mots nous donnent l’impression d’être choisis moins pour leur sens que pour leur sonorité. Mais l’arme fatale de Gizmodrome, ce qui caractérise chaque chanson, ou presque (il y en a deux ou trois qui auraient pu rester en face b de 45-tours – bon, o.k., les 45-tours ça n’existe plus), c’est le match gagnant-gagnant “couplets sombres et bizarres vs. refrains pop stellaires”, refrains pop stellaires habités par les voix avantagguesment combinées d’Adrian Belew et Mark King.
Du coup, la deuxième réaction avait toutes les chances d’être nettement plus positive.
Et elle le fut.
Adrian Belew et Mark King, parlons-en. Mon premier enfile les mini-chorus façon perles rares, et on le dira jamais assez : avec Eddie Van Halen, Adrian Belew (prononcez Bailou) est le maître absolu du soli brefs et intenses, l’anti-bavard, le non-lyrique, le tricoteur suprême de sons sauvages. Et sa griffe est ici essentielle.
Quant au bien nommé Mark King, l’homme au pouce qui valait trois milliards, tenez-vous bien, il faut attendre la dixième chanson, Spin This, avant qu’il ne se trahisse via l’un de ces slaps gourmands dont il a le secret ! Pour le reste, ses lignes de basse viriles/subtiles habillent parfaitement les petites folies percussives et les grooves certifiés non-conformistes de Stewart Copeland.
Bref, le premier album de Gizmodrome est un pétillant cocktail de power pop progressiste pour adultes consentants élevés aux biberons évoqués plus haut – vous vous souvenez des chansons bizarres que Copeland signait dans le The Police ? Il y a de ça, aussi, dans Gizmodrome, « mais y’a pas qu’ça », comme disait Jean Lefebvre.
Mais attention : si ces quatre super héros aux agendas fatalement chargés ne partent pas en tournée très rapidement, l’irrésistible attrait de leur musique risque de se perdre dans les limbes du jeunisme ambiant. Alors, messieurs, « thank you for the music », mais maintenant, « get on the bus and put the stage on fire », o.k. ?
En aparté de l’entretien au long cours que Stewart Copeland et Adrian Belew nous ont accordé cet été et que vous lirez bientôt dans votre bookzine préféré, Muziq, le batteur bondissant semblait très excité à l’idée de faire vivre sur scène les chansons du disque. Chantera-t-il tout en martyrisant ses fûts ? Oui, mais côté tambourinage, il sera tout de même assisté par le batteur de Level 42, Pete Ray Biggin. Ça promet. •
CD Gizmodrome : “Gizmodrome” (Verycords / Warner Music)