“Brilliant Adventure [1992-2001]”, cinquième coffret spatio-temporel de David Bowie, vient de tomber du ciel et concentre comme d’habitude les vies plurielles de cette singulière rock star.
Pour notre plus grande peine, David Bowie et Prince sont partis à quelques mois d’intervalle, laissant tous les deux une œuvre considérable qui leur permet d’avoir une seconde vie artistique, d’occuper l’espace médiatique sans intermittence et de rester, pour de longues années encore (sans doute même ces deux grands disparus auront-ils le toupet de nous survivre) à la pointe de l’actualité musicale ; car les nostalgiques autant que les générations futures n’auront cesse de (re)découvrir leur(s) musique(s).
Ainsi, tandis que le Prince Estate™ décline depuis un lustre déjà en versions (Super) Deluxe les classic albums et autres inédits du natif de Minneapolis (qui, fait rare, avait évoqué sa brève rencontre avec Bowie entre deux chansons lors de son ultime tournée, Piano & A Microphone), la discographie du Thin White Duke est traversée dans l’ordre chronologique sous forme de luxueux coffrets CD (ou LP).
Cette saga avait commencé du vivant de Bowie, en 2015 avec “Five Years 1969-1973”, suivi en 2016 par “Who Can I Be Now ? [1974-1976]”, en 2017 par “A New Career In A New Town [1977-1982]”, puis en 2018 par “Loving The Alien [1983-1988]”. Voici donc le cinquième objet du désir-disque, “Brilliant Adventure [1992-2001]”, qui s’attarde cette fois sur une période marquée par un album parfois mal aimé (“Black Tie White Noise”, avril 1993), un autre un-peu-passé-inaperçu-en-son-temps-mais-qui-mérite-d’être-réévalué-au-plus-vite (“The Buddha Of Suburbia”, novembre 1993), un franchement culte (“1. Outside”, 1995, qui n’a jamais la suite, voire les suites que tout le monde espérait : Bowie voulait à l’origine en faire quatre !), un aussi excitant que puissant (“Earthling”, 1997) et un plutôt sage (“Hours…”, 1999), pentateuque bowiesque ici agrémenté de l’album (officiellement) inédit “Toy”, enregistré à l’été 2000 et qui avait fuité sur le net en 2011 (il sortira le 7 janvier prochain en édition 3 CD, restez branché), du double live “BBC Radio Theatre London June 27 2000” et du désormais rituel CD de bonus tracks, “Re:call”, cinquième du nom, triple cette fois, et contenant pas moins de trente-neuf morceaux !
Il va sans dire que le coffret lui-même est somptueux, que les pochettes cartonnées sont imprimées avec grand soin, que le design du livret est des plus classieux, que rien n’y manque (si ce n’est des folios, bien pratiques quand on nous intime d’aller page 125 par exemple…), que les précieux témoignages de musiciens abondent (Nile Rodgers, Reeves Gabrels, Mark Plati, Brian Eno, Erdal Kizilçay… manque juste, curieusement, Trent Reznor, qui aurait peut-être eu des choses à raconter… une autre fois peut-être ?), tout autant que les photos de l’artiste et de la memorabilia en veux-tu en voilà.
Nous voilà donc replongé dans la faille spatio-temporelle s’étalant de la fin du XXe siècle au tout début du suivant. Pour en savoir beaucoup, beaucoup plus sur cette période, nous vous conseillons le seul et unique livre essentiel consacré à la musique de David Bowie, celui de Nicholas Pegg, The Complete David Bowie (éd. Titan Books), adoubé par Tony Visconti : « This is the best Bowie reference book one could ever hope for » (bien dit).
Permettez-nous cependant de mettre notre grain de sel en choisissante un morceau par disque. Attention, sélection.
Looking For Lester
> Extrait de “Black Tie White Noise”
On adore cet instrumental jazz-funk-futuriste nommé en hommage au trompettiste qui irradie tout l’album de sa sonorité âpre et brûlante, Lester Bowie, qui solote au début, bientôt suivi par Bowie et son “dog alto” (oui, son style a du chien, et on sent qu’il souffle avec passion et générosité) et le toujours surprenant Mike Garson au piano. Plus généralement, “Black Tie White Noise” est un album certes inégal, mais qui révèle de belles surprises (Jump They Say, You’ve Been Around ou encore Miracle Goodnight, avec un chouette solo de guitare du producteur, Nile Rodgers).
Buddha Of Suburbia
> Extrait de “Buddha Of Suburbia”
Sans conteste l’un des meilleures chansons “tardives” de Bowie, très émouvante, marquée par un refrain mémorable. Et cette voix… Mention au travail du multi-instrumentiste Erdal Kizilçay (qui, dès 1982, avait commencé de travailler avec Bowie, sur la première démo de Let’s Dance notamment).
I’m Deranged
> Extrait de “1. Outside”
Éternellement associé à la BO du génialement perturbant Lost Highway de David Lynch (assemblée par Trent Reznor), I’m Deranged sonne donne effectivement envie de rouler à toute blinde sur une autoroute, la nuit, en se laissant guider par une ligne jaune pointillée memant un peu, beaucoup, passionnément à la folie. Et encore une fois, le piano deranged de Mike Garson, reflet d’un album grandement improvisé (sous le direction de Brian Eno) qui est l’un des meilleurs albums des années 1990. Et de Bowie.
The Last Thing You Should Do
> Extrait de “Earthling”
En plein trip drum & bass, Bowie signe un album méchamment percutant et subtil, tout en déchaînements savamment contrôlés. Ici Reeves Gabrels joue au pyromane tech-metal, et sa six-cordes tranche avec le chant apaisé du boss, en mode crooner arty. Vraiment fantastique.
Something In The Air
> Extrait de “Hours…”
Non, ce n’est pas une reprise du tube ’69 de Thunderclap Newman mais bien une chanson originale coécrite (comme tout l’album) avec Reeves Gabrels. Comme brisée de l’intérieur, cette chanson a de quoi faire chavirer toutes les âmes sensibles, marquée par le chant hanté de Bowie (ah comme on aime cet effet vocoder “tordu” par instant !), la guitare de Gabrels, et plus encore son côté intemporel, à la fois ancré dans le passé et le futur.
This Is Not America
> Extrait de “BBC Radio Theatre London June 27 2000”
Sans le Pat Metheny Group (avec lequel il avait créé ce tube en 1985) mais avec son band de l’époque : Earl Slick à la guitare, Mark Plati à la guitare et à la basse, Mike Garson au claviers, Gail Ann Dorsey à la basse, Sterling Campbell à la batterie et ses choristes, très présente dans ce morceau, Holly Palmer et Emm Gryner.
Baby Loves That Way
> Extrait de “Toy”
Face b d’un 45-tours de 1965, cette chanson réflète parfaitement le contenu de cet album que Bowie voyait plus comme un “Up Date I” que comme un “Pin Ups II” (son album de covers des années 1960 sorti en 1973). Sa voix multi-trackée ne peut pas laisser indifférent, pas moins que ce refrain entêtant.
The Man Who Sold The World (Live Eno Mix)
A Foggy Day In London Town
Pictures Of Lily
> Extrait de “Re:call 5”
Trois reprises tout à fait délectables : la première de son grand classique de 1970, enregsitrée lors du Outside Tour et magnifiquement remixée-réinventée par Brian Eno, la seconde d’un standard des frères Gershwin pour l’album caritatif “Red Hot + Rhapsody : The Gershwin Groove” (vois sépulcrale, cordes arrangées par Angelo Badalamenti, Grady Tate à la batterie) et la troisième des Who, en power trio avec Mark Plati et Sterling Campbell.
COFFRET CD OU LP David Bowie : “Brilliant Adventure [1992-2001]” (Iso Records / Parlophone Records / Warner Music Group, déjà dans les bacs).
Unboxing “Brilliant Adventures [1992-2001]”