Rhoda Scott, Bernard Purdie et Marcus Miller le 3 juillet, Jeff Beck la veille : le température monte à Jazz à Vienne.
Et elles se mirent à chanter Blast de Marcus Miller en chœur, autour d’une table, tandis que le bassiste concluait son concert. Elles avaient effectivement toutes les raisons d’être « plus champagne que verveine », Rhoda Scott et son Lady Quartet – Sophie Alour, Lisa Cat-Berro, Julie Saury –, augmenté pour l’occasion de Géraldine Laurent et Julien Alour, « la mascotte du groupe » (dixit sa lideure, un rien taquine), qui remplaçait au pied levé Airelle Besson. (Et l’on se souvient de la réplique culte de Jack Lemmon/Daphnée à son milliardaire amoureux dans Certains l’aiment chaud : « Mais enfin, je suis un homme ! – Personne n’est parfait… »)
Car avant que le toujours serein et charismatique Marcus Miller ne réussisse une fois de plus à conjuguer invention et émotion (Tutu réinventé avec une frénésie contagieuse, bouleversant Preacher’s Kid dédié à feu son père, William Henry Miller) en plaçant sa basse électrique au cœur de la musique, l’organiste aux pieds nus et à l’« orteil absolu », dixit Luidi Trussardi, avait fait chavirer de bonheur le public de Vienne. Cette authentique jazzwoman ne joue que les notes qui comptent : celles qui vont droit au cœur. Point d’orgue – sans jeu de mots – de son concert, la présence du légendaire batteur Bernard “Pretty” Purdie (Aretha Franklin, Miles Davis, Steely Dan, King Curtis, etc. etc.). Sa leçon de groove à quatre baguettes en duo avec une Julie Saury forcément aux anges restera dans les mémoires. « Joulie Saury ? She kicks butt ! », nous confiait le batteur génial et jovial backstage. Qu’on traduira ainsi : « Julie Saury ? Elle assure grave ! » (Et botte le butt des grooveurs à la petite semaine !)
Ainsi, Rhoda Scott ne pouvait pas mieux fêter ses quatre-vingts étés qu’entourée des siennes et de siens. A la fin de son concert, l’élégant Marcus Miller monta sur scène pour faire chanter aux 5000 spectateur « Happy birthday to yoooooou, Rhoda », tandis que le chef Patrick Henriroux (des Pyramides) était venu avec un gâteau. Le jazz est une grande famille.
La veille, Jeff Beck était de passage, gardien ombrageux de sa centrale électrique riche en mégawatts, dont Rhonda Smith (basse électrique) et Vinnie Colaiuta (batterie) sont les deux inflexibles piliers métalliques, ce qui n’exclue évidemment pas un groove sensuel et profond chez l’une et certaine démesure polyrithmique chez l’autre. Jeff Beck fuit le lyrisme facile, ignore les clichés, n’a rien de (guitare-)héroïque, et s’il est un virtuose, il est unique en son genre : pas calculateur pour un penny, toujours prêt à prendre des risques et à se pencher au bord d’un précipice émotionnel, histoire de voir, histoire de repousser les limites que lui imposent ces six cordes d’acier sur lesquelles il donne souvent l’impression de laisser courir ses doigts au gré de son imagination, mais avec une précision d’orfèvre. Alors, bien sûr, le Jeff Beck de 2018 est peut-être un peu moins concentré sur son sujet. Quelques notes, de ci de là, semble lui échapper, glissant sous ses doigts comme des étoiles filantes un peu trop pressées. Et si on sait bien que ce n’est pas à 74 ans qu’il va changer sa façon d’être, on aurait bien aimé qu’il sorte de sa bulle et lâche un peu plus de quatre mots dans la soirée.
Reste qu’on ne connaît qu’un seul guitariste – lui – capable de balayer un tel champ musical en 90 minutes, du metal au jazz-rock en passant par le blues et la soul. Et puis, avouons-le, sa sublime et si subtilement contrastée relecture enchantée mais pas chantée de A Day In The Life des Beatles tourne encore en boucle dans notre tête… •
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