Timing funky-perfect : au moment où est annoncée la parution imminente d’un nouvel album de Parliament Funkadelic, À la Recherche de l’Ultimate Mix, bande- dessinée manifeste et funky est rééditée trente ans après son édition originale. Doc Sillon et Pierre-Jean Dalvi en ont tourné les pages avec émotion.
Le temps passe mais n’efface ni le trait ni la plume de Filips, et se replonger dans cette saga illustrée du groove est plutôt réconfortant, la où en cette sombre année qui s’achève, l’incompréhensible disparition de qui vous savez ne cesse de nous attrister. 2016, c’est le biopic controversé de Miles Davis, mais aussi la sympathique fraîcheur de The Get Down, série Netflix proche dans l’esprit d’une adaptation BD, hommage situé au cœur du Bronx des années Grandmaster Flash, à l’éclosion du hip-hop. Mais la comparaison s’arrête là, car À la Recherche de l’Ultimate Mix est une BD 100% pure funk.
Revenons donc trente ans en arrière, en 1986 plus exactement, en pleine mutation house/technoïde où le funk est inexorablement broyé et réinventé par les synthés numériques, les boîtes à rythmes et autres machines. Rejeton pré-french touch, respirant l’air paisible du no man’s land versaillais des eighties, Filips est un jeune illustrateur talentueux, autant suspendu à la ligne claire des Ted Benoit et Swarte que fasciné par l’art de rue révolutionnaire des graffs underground de Jean-Michel Basquiat ou Futura 2000. Très vite, il échange ses baguettes de furtif batteur nonchalant pour un arsenal de pinceaux, convaincu à juste titre qu’il exprimera mieux le groove par le dessin.
Filips a déjà un héros, c’est Clinton prénom George, et ses nombreux avatars auquel l’album, imbibé de leurs improbables concepts psychédéliques et néanmoins futuristes, fut dédié. Epaulé par un autre versaillais répondant au bizarre pseudo de Fonk, fouineur et éphémère vendeur chez California Music (feu pointu disquaire de Parly 2), l’Ultimate Mix prend naissance suivant le thème classique de la traque, soit 44 pages d’une longue recherche patiente (Le Corbusier n’est pas loin, car nos deux acolytes fréquentent plus ou moins assidument l’école d’Architecture). Le fil conducteur du récit, c’est la quête absolue du désir symbolisé par un maxi vinyle mythique (format incontournable de l’époque) dont l’irrésistible puissance et le salvateur pouvoir devra convertir les rabats joies du groove. Le scénario est ainsi posé. Moses Viders (hommage inexpliqué au sprinter américain Edwin Moses) est l’incarnation funky du héros en mission.
L’univers de nos deux concepteurs est surtout fondamentalement urbain, entoilé d’un post moderniste aux ambiances futuriste de fin de siècle. Le trait de Filips, toujours en mouvement, se pare de couleurs flashantes, met en scène des décors délabrés aux architectures éclectiques, parsème ces images de slogans funky et surtout de tags références, invitant vivement le lecteur à activer sa platine, curseur de volume dans le rouge, au sons de Prince, Johnny Guitar Watson, Sly & The Family Stone, Defunkt et consorts. On n’en dira pas plus, pour ne pas tout vous dévoiler, si ce n’est que l’histoire se peuple de gentils zombies inaptes à bouger leur corps, comme de créatures pulpeuses aux formes samplées sur celles d’Appolonia et des Brides Of Funkenstein.
Soit finalement, le réjouissant et sexy grand foutoir de l’univers groovy d’une époque où Soul, funk, rap, scratch se télescopent sur la table de mixage. Trente ans plus tard, l’album n’a pas pris une ride et reste aussi frais que n’importe quelle réédition des Ohio Players, qui occupent encore inlassablement les bacs à disques. Superbement réédité dans sa mouture originale, sans remixage ni variantes, seulement le format et la couverture légèrement modifiés, À la Recherche de l’Ultimate Mix n’a pourtant pas eu de suite : tout semble avoir été dit en 1986, comme si le funk, le vrai, le pur, ne pouvait avoir de futur. Cette bande-son dessinée est aujourd’hui tout autant à décoder comme une sorte de testament final, qu’une joyeuse ode au funk éternel. Et si l’envie vous prend d’aller une fois encore, prêter allégeance au P-Funk de papa Clinton et sa bande, nul doute que vous aurez de grandes chances d’y croiser Filips, conversant backstage avec ses potes Clip Payne ou Mudbone Cooper, définitivement sa groovissime et ultime famille. • Pierre-Jean Dalvi & Doc Sillon
BD A la Recherche de l’Ultimate Mix, par Filips & Fonk (Vertige Graphic)
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