Samedi 12 décembre, ô surprise, Prince a publié sur le site Tidal “HITnRUN phase two”. Comme de coutume, nous lui avons envoyé une petite lettre pour lui confier nos premières impressions.
Mon cher Prince,
Tu me connais : j’adore t’écrire. Quelques jours après la sortie de “HITnRUN phase one”, je t’avais envoyé une lettre pour te faire part de mes sentiments concernant cet opus un rien controversé. J’imagine que tu ne l’as pas lue. Qu’importe. Et même : tant mieux. Car c’est avant tout pour moi que j’écris ces petites missives en forme de chronique de disque, de billet d’humeur ou de compte-rendu de concert nocturne – c’est selon ton actualité…
Tu le sais : on a beau râler tout le temps, on ne peut pas vivre sans toi. Tu es toujours à portée de tympans, star des résaux dits sociaux, star des conversations entre amis, star de nos lecteurs mp3, star de mes conférences – tiens, si d’aventure tu es libre le samedi 11 juin 2016, viens donc fêter tes cinquante-huit piges et quatre jours au Carré de Baudouin à partir de 15 heures (oui, je sais, je m’y prends un peu l’avance, mais tu es tellement occupé…).
Tu le sais aussi, toi qui dit-on jette souvent un œil à tout ce qui se raconte sur toi sur Babel Web : tes nouveaux disques ont à peine paru qu’il sont déjà passés à la moulinette. Ces derniers temps, le sport favori des critiques old school et des blogueurs en herbe est d’être le premier à publier une critique “exclusive” – chacun à sa manière, on fait tout ce qu’on peut pour suivre ton rythme effréné…
Puisqu’un vieil ami (il se reconnaîtra) a eu en la gentillesse de m’envoyer “HITnRUN phase two” par porteur spécial, allez, je tente encore une fois le coup : écrire presque en direct mes impressions à chaud – je suis en train d’écouter ton disque au casque. Et tant pis si je change d’avis dans deux jours, trois semaines ou six mois. Et puis si ça se trouve, je n’aurai pas fini d’écrire cette lettre que tu auras déjà publié la “phase three” de “HITnRUN” !
Premières impressions globales, donc, passée la première écoute : cette “phase two” devrait largement séduire ceux qui, pour diverses raisons, n’ont pas trouvé leur compte dans la “phase one”. Car le son d’ensemble est nettement plus “naturel”, chaleureux, organique, ouvert. Bref, on est (bien) plus près ambiances soul-jazz-funk de “The Rainbow Children” et de “The Vault… Old Friends For Sale” que du déferlement électro de “HITnRUN phase one”. Douze chansons, cinquante-neuf minutes et, me semble-t-il, rien à jeter.
La moitié de l’album a déjà été distillée façon puzzle sur le Net par tes soins ?
Je m’en fiche, puisque j’écoute rarement plus d’une fois ces lambeaux d’album à venir (ou non). Je suis old school te disais-je, génération album, vinyle, cd, voire maxi 45-tours et faces b (quand tu en alignais comme à la parade)… Tout un tremblement éditorial qui depuis des lustres a façonné mon écoute.
Alors, sorry my dear, mais de toi j’attends d’abord une histoire avec un début, un milieu et une fin. Une belle scène d’ouverture, du suspense, de l’ombre, de la lumière, du mystère, de la joie, de l’émotion, du funk et de la soul, du blues et du jazz, des mélodies gouleyantes, des solos de guitare habités, etc., etc.
Le minimum syndical princier quoi !
Ainsi, je dois avouer que même si, ici et là, j’ai déjà écouté certaines chansons de “HITnRUN phase two”, je les découvre vraiment en les écoutant dans un ordre imaginé par toi. Et cette logique musicale me parle. Que dis-je : me chante. C’est la seule qui puisse me retenir, me donner envie de continuer à écouter ta musique, ce que je fais désormais depuis plus de trente ans – gasp.
Allez, j’ai un peu le trac mais je me lance track by track.
Baltimore
Ta protest song positive et généreuse dédiée à la ville célébrée par la géniale série The Wire, la hometown de Frank Zappa. Baltimore, la ville où les black lives, telle celle de Freddie Gray, ne semblent toujours pas plus compter qu’ailleurs. Tempo medium, “mi-dansant” dirais-je, guitare en prolongement de ta voix, et même plus : c’est elle qui chante, lovée dans des chœurs qui scandent la justice et la paix. Elle n’a pas l’air, comme ça, cette chanson, mais elle pourrait devenir l’un de tes minor classics. Si, si. Pour qu’on se souvienne des morts, n’oublie pas de la faire vivre sur scène, o.k. ?
Rocknroll Love Affair
Bon, celle-là, à l’aune du temps princier, c’est une vieille chanson. 2012, c’était quand déjà ? Qu’est-ce qu’elle fait là ?! Je ne sais pas trop, et c’est ce qui me plaît. Du coup, je la redécouvre encore une fois, parée d’une section de cuivres bien plus prégnante (petit supplément d’âme). Trois étoiles, pour le groove pneumatique, le refrain, et les paroles aussi, très réussies. Tiens, par moment, je retrouve cette légèreté R&B qui caractérisait Cream – tu le sais, tout ce qui nous renvoie au golden time, on prend !
2 Y. 2 D.
Dis donc, les Hornheads sont décidément dans la place ! (J’aime cette flûte qui titille autant qu’une clarinette dans une vieille chanson de ton héros Sly Stone.) Et l’arsenal vintage, starring le bon vieux piano électrique, est à l’honneur aussi. Too Young Today… Toi aussi tu ne vieillis pas, tu as neuf vies (au moins), comme la jeune femme dont tu parles. Ça tombe bien, ce genre de bonbon R&B fond dans les tympans, mais pas dans les neurones. Et je me dis aussi : tu sembles avoir retrouvé la science du refrain accrocheur. Bonne, très bonne nouvelle ça…
Look At Me, Look At U
L’instrumentarium ne bouge pas. Batterie moelleuse, basse chocolatée, claviers bleu nuit (c’est toi qui t’y colle ? on dirait bien). Tempo sensuel, cuivres sexy, Stevie Wonder cité, au passage. Le Martini aussi… (Tu l’aimes rouge ou blanc ? blanc, je suis sûr.) Pas forcément ma préférée, mais méfiance : elle ressemble à l’une de ses chansons dont les charmes insidieux ne semblent agir qu’à vitesse lente. Tiens, au moment où je termine cette phrase, j’ai rappuyé sur la touche play pour la réécouter et, déjà…
Stare
Comme disent le jeunes : « Gros kif. Pur funk. » J’approuve grave. Sur scène, elle va faire un malheur. N’oublie pas de… (Etc.) Basse slappée façon Larry Graham, cuivres en rotation lourde. Chant tout en retenue groovy. « We got a brand new beat » : tu m’étonnes ! Please, please, please mon Prince qui reviendra forcément jouer chez nous : fais-nous donc un medley Musicology / $ / Stare ! Double, drôle et subtile auto-citation : Sexy Dancer pour les petits râles et Kiss, évidemment, pour la p’tite cocotte qui fait désormais partie du patrimoine mondial du funk. Et ce pont, cette fausse fin, ce synthé étrange et brumeux : « Énorme ! » Ah ouais. Du grand toi, du grand Prince. Qui me donnerait presque envie de faire une bêtise : jeter le dernier D’Angelo. Ce qui serait franchement idiot, certes, mais…
Xtraloveable
Encore une qui circule dans le cybermonde depuis un moment. Et bien voilà : sandwichée entre Stare et Groovy Potential, elle ne sonne pas pareil ! Elle prend un tout autre relief. Ce mélange de cuivres tournicotants et de synthés polychromes, entre 2’25” et 2’50”, c’est limite magique. « Rooouuuh » : j’adore ces petits cris sexy-funky. Y’a que toi qui… Tu le sais, on a sur nos disques durs la version eighties (oui, je sais, pirate…), mais celle-ci nous la fera oublier. Quant aux trois dernières secondes – il faut toujours rester aux aguets avec toi –, elles déchirent (faut que je fasse attention, moi, à ne point trop parler le djeunse comme ça…).
Groovy Potential
La magie des années 1980 trempée dans le son vintage. Une merveille de ballade jazzy auréolée de cuivre étincelants. Mais qu’est-ce qui t’arrive, tu a retrouvé les clés de l’inspiration ou bien ?! Cette coda sévèrement groovy me rend dingue : on dirait le big band de Count Basie jouant Controversy ! On en pleurerait de joie tiens… Comme tu t’en doutes, on est un peu à cran en ce moment… L’horreur nous fait de l’ombre, et tes lumières nous font du bien. Merci. Et encore bravo.
When She Comes
Et ça continue… Une leçon de soul music intemporelle, lente et sensuelle… Un instant classic, aucun doute. Porté par des arrangements classieux. Quelle voix ! Dis-moi, c’est un accordéon là, non ? Mais oui, c’est bien ça : j’aime When She Comes parce qu’elle me rappelle Do U Lie ! Depuis trente ans, ta voix n’a pas changé d’un iota. Toujours aussi pure. Phrasé, diction, timbre : ta maîtrise est totale, chaque mot compte et tes silences sont d’or . « A psychedelic cabaret in his mind » : et avec ça, tu as retrouvé ta verve poétique.
Screwdriver
Encore une “vieille” chanson. Mais de nouveau ré-arrangée. Un peu moins teigneuse que les versions précédentes. Plus à mon goût ainsi relookée à vrai dire. Pas forcément aussi profonde et élégante que les deux précédentes, mais on t’aime aussi comme ça, en rocker énervé, guitare en bandoulière et mediator qui griffe. Pourquoi pas finalement ? Tout ça, c’est vraiment toi.
Black Muse
Retour à la découverte pure et dure. Dès les premières mesures, du Ceprin pur jus – tiens, j’y pense, faudrait que je t’apprenne le verlan. Un soupçon de Strange Relationship dans le groove d’abord, puis, dès la troisième minute, un fort parfum steviewonderien, un bel enchevêtrement de claviers, de vocaux “multi-trackés”, de cuivre, de batterie millimétrée et de percussions fourmillantes. On croit que l’affaire va se métamorphoser en jam jazz-funk, mais ta voix reprend le dessus, et une chanson dans la chanson apparaît, comme par miracle. Du grand, du très grand Toi. (Tu as vu, le T capital, ToTal respecT, hein… J’espère que Tu apprécies…)
Revelation
Dingue : l’album est de plus en plus addictif ! Encore une ballade jazzy (note bien que le mot jazzy n’est pour une fois pas péjoratif). Encore une leçon de chant. Falsetto cristallin avec contrechants de sax soprano façon Grover Washington, Jr. J’aimerais pouvoir chanter le mot « revelatiiiioooon » comme toi, en faisant de petis « hooouuu » à la fin… Et ce solo de guitare… Aussi sexy que ta perf’ vocale… Un modèle d’invention/concision. Et j’aime aussi : ces nuages de synthés et cette coda en voix ralenties.
Big City
Alors là… Ta plus belle fin d’album depuis, depuis… Je ne sais plus, et je m’en fous. Quelque part entre Sly & The Family Stone, les Beatles et Le Magicien d’Oz. Une touche de pop psychédélique, des saveurs gospel, des chœurs baroques, nous revoilà revenus aux temps merveilleux où tu enfilais les perles avec Wendy et Lisa. l‘intro est magique. Le pont est à tomber par terre : scats féminins (Liv Warfield ?), cuivres. C’est dansant, joyeux, positif, mélodique, lumineux, ça groove, ça swingue, c’est magnifiquement arrangé et produit. « Where’s my guitar ? » dis-tu. On s’attend à un solo, mais non, juste quelques notes tricotées avec amour. J’adore. Tiens, j’ai envie d’embrasser cette chanson.
Voilà, c’est fini. « That’s it », comme tu dis. Mais où puises-tu cette énergie phénoménale qui te pousse à ne JAMAIS arrêter ? Je sais que tu ne répondras pas à cette question autrement qu’en continuant à publier là un morceau au débotté, ici un album entier, en faisant fi de toute logique commerciale. Ne change pas. Reste toi-même, ce singulier pluriel insaisissable, incontrôlable et imprévisible.
Je t’en veux un peu depuis que tu as décidé, sur l’un de tes fameux coups de tête, d’annuler ton concert prévu à l’Opéra Garnier le 11 décembre. Je me disais, on se disait tous, « Il aurait dû venir, lui, au moins, célébrer la musique, communier avec nous, sans compassion de façade et prières mécaniques ». Bon, ce sera pour une autre fois. En attendant, ton “HITnRUN phase two” nous réchauffe le cœur. Merci Prince.
Et, pour une fois j’en suis sûr, chaque nouvelle écoute – je n’en suis qu’à trois – renforcera ma conviction profonde : c’est un grand cru. De la musique adulte, jouée par un homme qui assume son âge et sur qui, paradoxalement, le temps ne semble guère avoir prise. « He believes in jazz, rhythm and blues and this thing called soul » chantes-tu. Nous aussi. Mais pas seulement : quand tu élèves ainsi le niveau, à hauteur d’homme mais avec certaine grandeur d’âme, on croit en toi.
“HITnRUN phase two”, en vente sur tidal.com, et forcément en train de circuler sur le Net via tous les sites de transfert digital…
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