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Prince en strings au Palais des Sports : retour sur une soirée d’enfer

Deux jours après la digne soirée The Revolution à La Cigale, retournons au Palais des Sports en écrivant à Prince.

Mon cher Prince,
Le 26 novembre dernier, au Palais des Sports, où, en 1988, tu étais discrètement passé bras dessus bras dessous avec Sheila E écouter ton ami Miles Davis – ne nie pas : je vous avais vu sortir juste après le concert du Maître, qui avait d’ailleurs, ce finaud, joué Human Nature ET Movie Star –, on célébrait ta musique en mode “symphonique”. De ce spectacle sobrement intitulé 4U : A Symphonic Celebration Of Prince, je dois t’avouer que je n’espérais pas grand-chose, estimant, à tort ou à raison, qu’il est plus facile de dé-ranger tes chansons que de les ré-arranger, quel que soit l’angle musical adopté – symphonique, jazz, electro, reggae, peu nous chaut.

Tu nous manques Prince. Mais j’arrive, pour l’instant, à combler ce vide émotionnel en replongeant régulièrement dans ta discographie officielle. Tes chansons par centaines, telles que TU avais souhaité nous les présenter, suffiront à mon bonheur jusqu’à ce que moi aussi j’aille retrouver ton fantôme et celui de Miles dans une loge du Palais des Sports pour vous poser quelques questions. (Comment ça « pas (de) question(s) » ?!  Sache que Miles, lui, avait accepté en 1990. Alors, please, ne fais pas ta mauvaise tête.)
En attendant, nous risquons donc de subir plus que de raison hommages, tributes et autres célébrations plus ou moins approuvées par tes ayants-droit, cette caste d’héritiers appelée à régner sur l’“actualité” musicale du XXIème siècle. Oui, je sais, je m’égare, et je sens que tu veux malgré tout savoir si 4U était un spectacle digne d’intérêt.

Hé bien, non, non et non. Scénographie : zéro, light show : zéro, décors : zéro, qualité des vidéos et des photos projetées sur grand écran : zéro. Quant aux membres de cet orchestre symphonique venu de Russie, ils faisaient TOUS une tronche de trente-six pieds de long en jouant le nez vissé sur leur partition. Pas concernés, pas impliqués, en pilotage Automatic. Emotion : zéro.
Qui, parmi eux, avait déjà écouté ne serait-ce qu’un seul disque de Prince ? Avec l’Ensemble Modern ou le Metropol Orkest, crois-moi mon cher Prince, cette affaire aurait eu une autre allure. Encore aurait-il fallu qu’ils aient les bonnes partitions sous les yeux… Car c’était bien là que le bât blessait.

Sérieux, c’était quoi cette mélasse pseudo-classico-symphonique ?
Tes mélodies d’ivoire et tes grooves d’ébène ? Noyés dans une mélasse sonique “composée” avec je ne sais quel logiciel.
Après le concert, un ami prétendait avoir dans son portable l’appli capable d’“écrire” ce “style” d’“arrangements” (mate mes guillemets qui relativisent la valeur de ces mots). Pour le coup, j’ai failli le croire.
Mon cher Prince, mon pauvre Prince, si tu avais été là, je suis persuadé qu’au bout de quelques minutes – quelques secondes ? – tu serais monté sur scène pour tout arrêter d’un geste rageur, façon « On the one ! », suivi d’un « Get out of my stage… ».

Des cordes ? Pourquoi pas ? Mais toi qui adore Clare Fischer et Claus Ogerman, tu méritais tellement mieux…[Récemment, Lisa Coleman nous confiait dans Jazz Magazine que “Symbiosis” de Bill Evans, arrangé par Ogerman, figurait parmi tes disques de jazz favoris : c’est fou le nombre de cult records que l’on a en commun tous les deux.]

Claus Ogerman, lui, s’y entendait pour draper de velours moiré les chansons (ou les instrumentaux) de George Benson, Jõao Gilberto, Rufus, Mark-Almond, Dr. John, Diana Krall ou Frank Sinatra. Certes, tu n’as jamais travaillé avec Ogerman, mais je ne serais pas étonné que tu connaisses par cœur son “Gate Of Dreams” de 1977, voire son “Cityscape” de 1982, avec le regretté Michael Brecker au saxophone.

Quant au non moins regretté Clare Fischer, je dois t’avouer que je suis toujours aussi sidéré quand je réécoute vos divines collaborations dans l’album de The Family, la BO de “Batman” et, plus encore, dans “Parade”. Sans oublier son travail avec Rufus & Chaka Khan, qui avait sans doute attiré ton attention dès le mitan des seventies.
“Parade” tiens, parlons-en : à l’initiative de ton encombrant fan officiel, Ahmir “Questlove” Thompson, les arrangeurs au kilomètre et les symphonistes à la petite semaine y ont plongé leurs gros doigts gourds, et leurs étouffants mille-feuilles de cordes plaquées à la hussarde n’étaient rien d’autre que de lourdingues paraphrases post-mortem, loin, si loin des délicates et lumineuses tentures diaphanes du grand Clare.

(Parenthèse : Ahmir Thompson, comme tu le sais, adore Irresistible Bitch. Du coup, cette funkyssime dragée au poivre aux paroles fleuries est évidemment passée à la moulinette classico-chantilly. Et sur le grand écran en carton punaisé au-dessus de la scène qui nous permettait de savoir quel morceau était en train d’être symphoniqué, Irresistible Bitch est devenu Irresistible tout court. Chienne de vie.)

Quant au final, entièrement dédié au méticuleux massacre de Purple Rain, je ne préfère même pas t’en parler, tant je crains de te faire de la peine. Et ne compte pas sur moi pour te résumer en quelques mots l’“apport” de la grotesque “première violoniste” de l’orchestre : ses coups d’archet, son foulard mauve floqué de ton Symbole (c’était Cyber Monday ce soir-là, peut-être y avait-il 15 % Off sur le site officiel, je n’ai pas fais gaffe), ses épaulés-jetés et son sourire Ultra Brite ultra forcé hantent encore ma mémoire. Tintin et le Capitaine Haddock en train de subir les assauts d’une sorte de Castafiore du violon ? C’était nous !

PRINCE 4U OK Tintin

Bref, mon cher Prince, ce triste soir de novembre, ta musique était peut-être rhabillée en strings mais, crois-moi, j’ai eu l’impression qu’on lui avait mis un slip sur la tête. Si tu pouvais passer un coup de fil à tes ayants-droit pour leur demander de plutôt se concentrer sur la réédition de tes albums out of print ou la projection de concerts inédits dans des lieux choisis, je t’en serais gré. (Et n’oublie pas de passer un petit coup de fil à Wendy,  Lisa et leurs amis, qui, malgré quelques petits coups de mou, ont autrement célébré ta mémoire avant-hier soir à La Cigale.)

Tiens, une idée, comme ça : au lieu de confier à des tâcherons l’exécution de ta musique, pourquoi ne pas sortir en salle les captations de ta dernière tournée, Piano & A Microphone ? Imagine un peu, les images de ces concerts bouleversants projetées sur un écran XLarge à l’Opéra de Paris ! Ce serait merveilleux, et tellement plus respectueux de ton œuvre… •

Kiss.