Avant son concert au Café de la Danse à Paris, nous avons rencontré la chanteuse, auteure et compositrice Kadhja Bonet, dont les deux premiers albums, “The Visitor” et “Childqueen”, n’ont laissé personne indifférent.
« Charlotte cultive le mystère de Charlotte », comme disait si bien Jean Rochefort, alias Etienne Dorsay, évoquant l’insaisissable Annie Duperey dans Un éléphant ça trompe énormément. Si l’on avait le talent du regretté dandy moustachu, on dirait bien la même chose à propos de la non moins mystérieuse Kadhja Bonet, dont le premier mini-album, “The Visitor”, tomba du ciel en 2016, suivi, il y a quelques mois, par “Childqueen”. Des chansons originales, des reprises choisies, une musique en apesanteur, onirique, intemporelle, drapée de cordes couleur pastel, et semble-t-il gravée dans une dimension parallèle où le temps qui passe n’a que peu d’emprise sur les corps et les âmes.
Cette dimension parallèle est moins mystérieuse qu’il n’y paraît : c’est tout simplement le home studio de Kadhja Bonet, sa pièce à musique, son cocon créatif. « La musique est un acte très égoïste, et je tiens à préserver mon intimité. Si j’avais les moyens, je me construirais le home studio le plus génial du monde et j’y travaillerais pour le restant de mes jours. »
Kadhja Bonet adore vos questions, mais, tout en esquissant un sourire timide ou en lâchant un petit rire étouffé, fait tout ce qu’il faut pour les esquiver. Mais enfin tout de même, Mademoiselle Bonet, quelles sont vos influences ? « Je ne sais pas si je peux répondre… [Long silence] Je fais tout mon possible pour ne pas être influencé par tout ce qui passe à la radio… Les gens me demandent toujours mes références, et je n’aime pas trop répondre, car ce n’est pas comme ça que j’écoute de la musique, ce n’est pas comme ça que je travaille. J’essaye de m’éloigner des références. C’est très difficile ! Je ne sais pas si j’ai réussi, mais j’y travaille. Je veux que ma musique soit honnête, je veux juste être… [rire gêné] moi ! Et je me fiche de savoir si le résultat est bon ou mauvais, car c’est ainsi que je fonctionne. »
Et toc.
Mais alors, la musique, c’est toute votre vie, c’est ça ? La gloire, vous vous en fichez n’est-ce pas ? « Complètement. Je vous l’ai dit : j’adore rester chez moi pour enregistrer tranquillement. » Et vous faites tout ça toute seule, ou presque, c’est ça ? « Oui, et s’il y a beaucoup de cordes dans mes chansons, c’est que je suis à l’aise avec ça. Je veux dire, si j’étais une super saxophoniste, il y en aurait dans ma musique ! Mais petite, j’ai commencé au violon, en jouant de la musique classique, Bach, Mozart, Beethoven – j’étais à la merci de mes profs. Plus tard, j’ai découvert Debussy, Chostakovitch, Dvorák… Mais j’enviais les gamins de la classe jazz, ils étaient plus libres, ils pouvaient improviser, sortir des carcans… Si je me sens plus libre aujourd’hui ? Hmm, ma musique est très calculée, très composée, très arrangé.. J’aimerais pouvoir me lâcher un peu, aller voir ailleur… » Et pourquoi pas dans le monde de la musique de film tiens ? « Oui, j’adorerais composer des musiques de films. » Message passé !
Quand “The Visitor” tomba du ciel, outre le charme intemporel des chansons de Kadhja Bonet, ses deux reprises ne pouvaient laisser indifférent. Francisco de Milton Nascimento tout d’abord. « Je l’adore… Sa voix est si émotionnelle, il y a tant de sentiments dans sa musique, il est le seul à pouvoir en faire passer autant. Francisco, je l’avais dans ma tête en permanence, alors je me suis résolue à enregistrer ma propre version… » Et puis, encore plus bouleversante, Portrait Of Tracy de Jaco Pastorius, poème virtuose pour basse électrique solo de 1976 resongé en chanson d’amour. « Aaaah, Jaco… J’adore cette mélodie… Je l’ai découverte sur YouTube – la version originale, oui, rassurez-vous. Je voulais mettre ça dans mon univers sonique… Le titre, Portrait Of Tracy, m’a intrigué aussi. Je voulais en savoir plus. C’était sa première femme, oui, je sais, et je voulais imaginer à quoi ressemblait leur relation. »
Avant de quitter le petit bar branché du XIe à Paris où notre entretien a lieu, on lui confie notre étonnement quant aux influences musicales qu’on lui prête de ci de là. « Les gens me comparent souvent avec Corinne Bailey Rae ou plus encore Minnie Riperton, c’est vrai, et je suis d’accord avec vous : je crois que c’est à cause de ma couleur de ma peau… » On lui fait écouter Vashti Bunyan sur notre iPad, tout en lui avouant que la première fois l’on a entendu “TheVisitor”, on l’imaginait plutôt chanteuse folk née à Londres… « Ah ah ! C’est vrai ? J’adore Vashti Bunyan en tout cas. »
Et quitte à cultiver un peu le mystère, un jour peut-être vous dira-t-on quelles sont ses chansons préférées de Prince, qu’elle adore – elle qui pourtant regardait en boucle la cassette VHS de Moonwalker qui appartenait à son père quand elle était petite. Comment ça « On veut savoir tout de suite » ? Ok… The Ballad Of Dorothy Parker, If I Was Your Girlfriend, Erotic City et Lady Cab Driver… Tiens, si elle en chantait une lundi soir au Café de la Danse ? •
Concert Lundi 22 octobre à Paris (Café de la Danse)
CD “The Visitor” et “Childqueen” (Fat Possum Records / Differ-Ant)
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