Hier soir, le festival de jazz parisien a commencé sous les meilleurs auspices avec le duo entre Jeanne Added et Bruno Ruder, qui ont souligné d’un trait subtil la légende princière.
Depuis le 21 avril 2016, triste jour de la mort subite et sidérante de Prince, on ne s’enchante pas toujours, et l’on déchante même, parfois, que d’aucunes et d’aucunes tournent les pages de son catalogue de chansons, dont on ne mesure toujours pas, à ce jour, l’incroyable richesse, même si bien sûr mille et une – on exagère à peine – mélodies magiques ont depuis des lustres pénétré notre psyché.
Mais Jeanne Added, c’est autre chose, qui, je cite, n’aurait jamais osé nous faire tourner la tête avec ce tour de chant « si on ne lui avait pas demandé » (Le Printemps de Bouges en l’occurrence), et ne se serait pas embarquée dans ce voyage dans les étoiles sans son pianiste star, le non moins magnifique Bruno Ruder, fidèle compagnon de route (à écouter sur bandcamp, Yes Is A Pleasant Country : Added, Ruder et Vincent Lê Quang).
Mais Jeanne Added, hier soir, ce fut, je cite encore, « la chair de poule » (le bassiste Sylvain Daniel sur Instagram) de la première à la dernière seconde, d’un Sign O’ The Times à couper le souffle et comme suspendu dans le temps à ce Nothing Compares 2 U forcément émouvant où l’on n’osa à peine à chanter avec elle, car nothing compares 2 Prince, nothing compares 2 this song et, on le sait depuis longtemps – mais cela fait plaisir de constater que tous les espoirs qu’on avait placés en elle depuis ses années jazz (qui vibrent en elle à jamais) sont bien plus que réalisés : transcendés –, nothing compares 2 Jeanne Added, qui en reprenant ce standard moderne l’a quelque sorte chipé à Sinead O’Connor pour le rendre à Prince. (Merci Jeanne.)
Mais ce ne fut pas tout, bien sûr, et dans les pages du catalogue princier évoqué plus haut, Jeanne Added a su, quitte à désorienter une partie du public pas forcément aussi familier qu’elle des secrets bonheurs qu’il contient, choisir de faire sienne des chansons d’évidence dont on ne se lassera sans doute jamais – I Would Die 4 U, Take Me With U, Pop Life, I Feel For You… : mais pourquoi viens-je d’écrire « sans doute » ? –, mais aussi des diamants et des perles parfois méconnus, des airs qui nous collent au cœur et au corps et qui rapprochent et relient les belles gens : She Loves Me 4 Me, magistralement réarrangé, Last December, Anna Stesia, Under The Cherry Moon (serti d’un solo étourdissant de Bruno Ruder, où l’on cru voir passer, rieur, le fantôme de Fats Waller), jusqu’à ce Eye Wish U Heaven évidemment adressé au Prince du soir, et au cours duquel Jeanne Added finit par s’enfoncer comme dans une nuit sans lune, couleur cerise cela va de soi – oui, Under The Cherry Moon fut aussi un autre moment mémorable.
Et puis il eut, aussi, Little Red Corvette. Jeanne à la basse électrique, comme à l’époque, qu’on jurerait presque lointaine, déjà, de ses premiers récitals en solo, à l’Atelier du Plateau, Paris 19e, ou dans un jardin d’amis à Vague de Jazz, aux Sables-d’Olonne ; et puis il y eut encore The Ballad Of Dorothy Parker, a cappella tout d’abord, et toujours comme à Vague de Jazz (dans la cour d’une école maternelle des “Sables-d’O”, elle s’en souvient je crois, et nous aussi, 4 ever). Une Ballad Of Dorothy Parker bouleversante de sophistication à vif, dont elle tira un fil inattendu : dans cette chanson qui est un chef-d’œuvre absolu, Prince cite quelques mots d’un autre chef-d’œuvre, Help Me de son héroïne Joni Mitchell, et Jeanne Added se mit donc à chanter Help Me, et ce fut, à nouveau, un moment d’émotion rare, à l’image d’un concert qui ressemble comme deux gouttes de pluie violette au plus bel hommage qu’on pouvait rendre au génie de Prince.
PS : Au troisième rang, on a reconnu un autre subtil enchanteur de la cause princière, Nicolas Gabet, qui il y a peu nous ravit au Bal Blomet. Prince, dit-on, n’aimait guère qu’on reprenne ses chansons ; dommage que le destin l’ait empêché de goûter à ses preuves d’amour made in France.
Jeanne Added (chant, basse électrique) et Bruno Ruder (piano) ont interprété :
Sign O’ The Times (“Sign O’ The Times”, 1987)
I Would Die 4 U (“Purple Rain”, 1984)
She Loves Me 4 Me (“The Raibow Children”, 2001)
Take Me With U (“Purple Rain”, 1984)
The Ballad Of Dorothy Parker (“Sign O’ The Times”, 1987) / Help Me (Joni Mitchell, “Court And Spark”, 1974)
Adore (“Sign O’ The Times”, 1987)
Pop Life (“Around The World In A Day”, 1985)
Last December (“The Rainbow Children”, 2001)
I Feel For You (“Prince”, 1979)
Little Red Corvette (“1999”, 1982)
When You Were Mine (“Dirty Mind”, 1981)
Under The Cherry Moon (“Parade”, 1986)
Anna Stesia (“Lovesexy”, 1988)
Eye Wish U Heaven (“Lovesexy”, 1988)
Nothing Compares 2 U (“Originals”, 1984/2019)