BMG vient de rééditer le troisième album de Japan, “Quiet Life”, qui marquait la mue radicale du groupe de David Sylvian, alors âgé de 22 ans.
Cher David Sylvian,
C’est en 1983, dans la BO de Merry Christmas Mr. Lawrence, en français, Furyo, que j’ai découvert votre voix envoûtante, lovée dans les synthétiseurs de lumière de Ryuichi Sakamoto. N’ayant à cette époque pas assez d’argent de poche pour m’offrir tous les 33-tours qui me faisaient rêver, ne soupçonnant pas même l’existence de votre groupe, Japan, qui déjà n’existait plus (un double live posthume, “Oil On Canvas”, avait paru en 1983, mais avait échappé à mes radars, dont la portée n’était pas encore très lointaine), ce n’est qu’en 1987, grâce à votre sublime “Secrets Of The Beehive”, que j’ai définitivement élu domicile dans votre univers.
C’est donc à rebours que j’ai découvert Japan, et je dois avouer que j’ai eu du mal à comprendre ce qui se passait : fasciné par votre voix de brume translucide aux reflets moirés, je dois avouer que je vous reconnaissais à peine dans “Adolescent Sex” et “Obscure Alternatives” ! Y avait-il eu, à ses débuts, un autre David Sylvian, glam rockeur sous (lourde) influence ? Un jeune homme pas encore sûr de son art qui se cherchait et, plus encore, cherchait à plaire ?
Cela dit, vous n’aviez qu’une petite vingtaine d’années, ceci explique cela. On cherche à cet âge-là, mais on ne trouve pas forcément encore.
Fort heureusement, les trois autres albums Japan me procurèrent des plaisir bien plus durables et profonds. C’est grâce à Fip, un soir, que j’ai ensuite découvert, subjugué, Ghost, la chanson qui a tout changé pour vous. Comme beaucoup d’autres avant moi, j’ai cru que c’était Brian Ferry, ou Roxy Music, mais la désannonce de la Fipette m’s remis dans le droit chemin.
J’ai donc immédiatement acheté “Tin Drum”, puis, dans la foulée, “Gentleman Take Polaroids” et, enfin, “Quiet Life”. Et là, je comprenais bien mieux ce qui, en quelques années, vous avait mené du glam rock à la pop synthétique élégante et glacée.
En 2003, “Tin Drum” avait été réédité dans une belle box en carton (avec bonus disc et livret de photos), puis, un an plus tard, les rééditions digipack d’“Adolescent Sex”, “Obscure Alternatives”, “Quiet Life” et “Assemblage” avaient suivi (toutes remasterisées, avec bonus tracks audio et video, livrets et liner notes), ainsi que celle de “Gentleman Take Polaroids” (moins généreuse en suppléments).
Depuis, plus rien de notable, si l’on veut bien mettre à part la vraie-fausse reformation de Japan en 1991, nom de code Rain Tree Crow.
Il faut dire que dans les années 2000 et 2010, votre carrière solo a pris un tournant radical. Après votre sans faute des années 1984-1999 – “Brilliant Trees”, “Gone To Earth”, “Secret Of The Beehive”, “The First Day”, “Damage” (avec Robert Fripp) et “Dead Bees On A Cake” –, où vous collboriez déjà avec des artistes comme Jon Hassell, Bill Frisell, John Taylor, Kenny Wheeler, David Torn, Marc Ribot ou encore Bill Nelson, vint le temps des expérimentations de plus en plus personnelles et osées avec des avant-gardistes de la musique et électronique et du jazz : “Blemish” (avec Derek Bailey et Christian Fennesz), “Snow Borne Sorrow” (avec Arve Henriksen, Theo Travis, Keith Lowe, Steve Jansen…) “Died In The Wool” (avec Jan Bang, Erik Honoré, Evan Parker, Keith Rowe…), “Wandermüde” (avec Stephan Mathieu), “There Is No Love” (avec Rhodri Davies et Mark Wastell)… (Sans oublier la réédition de vos deux albums avec Holger Czukay, “Plight & Premonition” et “Flux & Mutability”.)
Au gré de ces albums passionnants, les graves desseins de votre voix furent de plus en plus prononcés, comme s’il fallait descendre, lentement mais sûrement, vers une sorte de pénombre vous préservant du cirque pop ambiant qui semblait ne plus vous attirer du tout.
Mais avant, il y avait donc eu “Quiet Life”, qui vient donc de ressortir dans l’une de ces rééditions “Super Deluxe” qui deviennent peu à peu la norme pour ces albums classic rock – comme on dit aujourd’hui – qui ont marqué leur époque, et qui permettent à ceux qui les ont croisés en leur temps de s’offrir en retour en arrière avec tout le confort moderne.
Ce magnifique coffret 30cm immaculé contient le 33-tours original en version half-speed remastered on 180gsm vinyl (les connaisseurs apprécieront), une seconde gatefold sleeve contenant cette fois trois CD – celui du disque original, un truffé de bonus (dont votre collaboration avec Georgio Moroder), “A Quieter Life”, un “Live At Budokan 27/03/1980”, dont la qualité sonore est hélas tout juste digne d’un pirate (ce qu’on entend surtout, ce sont les hurlements stridents des fans !) – , ainsi qu’un livret de vingt-quatre pages avec liner notes signées Anhtony Reynolds et de nombreuses photos. Avez-vous supervisé cette réédition ? J’avoue mon ignorance, et je peine à imaginer comment vous pouvez, plus de quarante ans après sa création, ressentir cette musique qui fut aussi la vôtre.
“Quiet Life” est sans doute l’album de Japan le plus homogène, un vrai travail de groupe, même si vous êtes l’auteur et le compositeur de toutes les chansons – All Tomorrow’s Parties étant comme chacun sait un classique du Velvet Underground signé Lou Reed. C’est dans ce disque que vous formez avec Rob Dean (guitare électrique), Richard Barbieri (claviers, futur collaborateur d’un de vos admirateurs, Steven Wilson), le regretté Mick Karn (basse électrique, saxophones) et votre frère Steve Jansen (batterie) un groupe tendu vers le même but : épouser the shape of things to come, les nouvelles formes à venir de la pop créative, tout en restant accessible. Votre producteur d’alors, John Punter, avait travaillé quelques années plus tôt avec Brian Ferry et Roxy Music, et cela s’entend.
Ce que l’on apprécie vraiment, dans “Quiet Life”, hormis votre timbre de voix unique, ce phrasé un peu traînant, un rien affecté mais toujours séduisant, c’est l’alchimie musicale, alors en pleine mutation : exit, disais-je plus haut, les poses glam, welcome, ô joie, une pop finement ciselée, toute en séductions graphiques. La guitare de Rob Dean, qui se rêve quelque part entre celles de Robert Fripp et de Phil Manzanera, les claviers couleur pastel de Richard Barbieri, la basse au son rond et sensuel de Mick Karn, la batterie enfin révélée et inventive de Steve Jansen : tout cela sert idéalement des chansons qui reflètent parfaitement leur époque.
Merci pour tout cher David Sylvian, et à bientôt peut-être. En attendant, ce retour vers le futur de Japan nous a comblé.
COFFRET “Quiet Life Super Deluxe Edition” (BMG, déjà dans les bacs). “Quiet Life” a aussi été réédité en CD simple, sans bonus, mais avec le livret.