Hier soir à Reims, le quintette all stars de ces trois jazzmen majeurs a comblé le public connaisseur du Sunnyside Reims Festival.
« Combien de concerts à eux cinq à ton avis ? – Au moins 25 000, vu que tout a commencé, pour la majeure partie d’entre eux, dès la fin des années 1960… – Ça laisse rêveur… » Entre deux gorgées de bière – de la Sunnyside 19, créée spécialement pour le festival par Senses Brewing –, les jazzfans disent toute l’admiration qu’on se doit d’avoir pour Dave Liebman, Randy Brecker, Marc Copland, Drew Gress et Joey Baron, qui viennent de donner l’un de ces concerts qu’on déguste à petites gorgées – nous y revoilà – comme pour mieux apprécier chaque note, chaque accord, chaque nuance ; cet interplay comme naturel, aussi, qui relie entre eux ces virtuoses on ne peut plus expérimentés. À eux cinq, effectivement, ils ont des milliers de fois fait honneur au jazz, cette musique, ce langage certes international mais qu’on aime plus que tout, pourquoi s’en cacher, quans il a l’accent new-yorkais et réflète cette culture presque immémoriale : celle d’une musique humble et ambitieuse à la fois, jouée sans attitude mais portée à des altitudes que seuls les authentiques savent faire vivre.
Le temps passe, les cheveux blanchissent, les corps fatiguent, mais les thèmes sont toujours là, signés Copland, Brecker, Gress ou Baron, des thèmes inspirés et inspirants, qui nous manquent tant de ce côté-ci de l’Atlantique ; les soli sont d’une cohérence et d’une musicalité sans égal – Liebman au saxophone ténor, cette fluidité fiévreuse, c’est toujours un bonheur, Brecker, pas une note syperflue, Copland, l’élégance suprême dans chaque intro. Pas une minute d’ennui, et du ravissement, même, en (re)déouvrant The Mystery Song de Duke Ellington, resongé avec ce qu’il faut de respect et d’invention.
Au Sunnyside Reims Festival, à la fin, le public ne manque pas d’applaudir chaleureusement un homme qui prend le temps de quitter la scène en marchand difficilement avec sa canne (puis un saluant brièvement de la main gauche, sans se returner, mais avec beaucoup de cœur). Il n’a rien du dernier spiritual jazzer à la mode qu’on aura oublié dans trois semaines, mais il incarne tout ce qu’on aime dans le jazz : cette dignité faite musicien, cette puissance de feu si subtilement canalisée. Son nom est Liebman, Dave Liebman, et à ses côtés, Randy Brecker était son alter ego, faussement bougon, dans sa bulle, mais pas moins habité par sa passion. Dans le minibus qui nous ramenait à l’hôtel, il nous confia qu’un live inédit des Brecker Brothers enregistré en 1981 allait bientôt sortir, tandis que Dave Liebman et Marc Copland se projetaient mentalement sur le concert du lendemain, en Allemagne, près de Munich. Bravo et merci messieurs. Sweet dreams, et continuez comme ça le plus longtemps possible.
Le Sunnyside Reims Festival continue ce soir au Shed avec “Mechanics” de Sylvain Rifflet et “Prophetic” d’Axel Rigaud.