Hier soir, sous un ciel jaune et sur la scène du Théâtre Antique de Jazz à Vienne, Chick Corea a honoré la mémoire de Paco de Lucia.
Ainsi, le jeune pianiste de 78 ans – soixante de moins dans la tête, ce qui lui donne à peu près l’âge qu’il avait quand il est arrivé à New York pour commencer de jouer avec Mongo Santamaria – tourne cet été à la tête de son bien nommé Spanish Heart Band, du nom de son premier album entièrement dédié à ses passion latines, “My Spanish Heart” (Polydor, 1976), et dont le tout récent “Antidote”, fraîchement récompensé d’un Choc dans Jazz Magazine, est le plus beau follow up dont on pouvait rêver venant de la part d’un musicien sans frontières qui pourrait facilement se contenter d’aligner les concerts en pilotage automatique dans les plus prestigieux festivals de jazz. Mais non. Chick Corea est bien trop dévoré par la passion de la musique pour adopter un rythme de sénateur avant de rejoindre, un jour ou l’autre, comme nous tous, nos héros disparus.
Chick Corea aime la vie, et il suffit de le regarder duettiser, partager, communier, même, avec ses musiciens pour comprendre à quel point la pratique du jazz live a sur lui un effet qu’on jurerait magique. Il y a quelques années, à Vienne (Autriche), il nous confiait qu’il sentait le poids des ans avant de monter sur scène, mais que dès qu’il se mettait à jouer ses premières notes, il se sentait léger comme l’air. Hier soir, sur la scène du Théâtre Antique de Jazz à Vienne, cela se voyait, cela crevait les grands écrans fort heureusement placés sur chaque côté de la scène.
Chick Corea parle à son public avec douceur entre chaque morceau. La plupart d’entre eux renvoient à son association miraculeuse avec le regretté génie de la guitare flamenca, Paco de Lucia (1947-2014). Zyryab, Duende, The Yellow Nimbus : ces mélodies flamboyantes transforment la soirée « en hommage à ce cher ami ». Et quand il explique le pourquoi du comment de The Yellow Nimbus, ce nimbus jaune qui selon lui personnalisait l’aura de son ami Paco, le ciel viennois finement strié de nuages change de couleur – devinez laquelle.
Rarement le pianiste aura réuni autour de lui un groupe aussi homogène et soudé. C’est d’ailleurs exactement celui qui est à l’œuvre dans “Antidote”, qui mêle plusieurs générations d’improvisateurs, de Jorge Pardo, remarquable à la flûte, au danseur Nino de los Reyes, soliste éblouissant qui met tout son corps en jeu, comme n’importe quel autre musicien, en passant par l’expérimenté Steve Davis au trombone, le disciple de Paco de Lucia Niño Josele à la guitare, ou encore le subtil régulateur Marcus Gilmore à la batterie.
Soir de grand soir, donc, pour Chick Corea, l’Italien-Américain au cœur espagnol, qui a honoré son statut de jazzman historique en offrant au public de Jazz à Vienne un concert brûlant d’actualité, sensuel et sans temps mort, et dont Spain, forcément, fut le final obligé. Mais toujours réinventé. À très vite Monsieur Chick.