En plein été 1995, le premier album d’un jeune chanteur et multi-instrumentiste de vingt et un ans fait sensation. Son titre, “Brown Sugar”. Son auteur, D’Angelo. Cet album majeur vient d’être réédité en Deluxe Edition.
Quand l’envie nous prend d’écouter un disque de Michael “D’Angelo” Archer, le choix est limité. L’empire, ou plutôt la petite principauté discographique du natif de Richmond ne comptant hélas que quatre albums. Maigre butin pour un créateur de sa trempe. Le plus récent, “Black Messiah”, paru à la surprise générale en 2014, s’était fait désirer pendant… quatorze ans ! (Record mondial.) L’impatience était grande, immense, voire démesurée, puisque “Black Messiah”, disque remarquable s’il en est, était le successeur annoncé – et donc maintes fois repoussé – de “Voodoo”, chef-d’œuvre certifié millésimé 2000 et promesse d’un XXIe siècle qui serait nu soul ou ne serait pas. Avec cette arme de séduction massive, D’Angelo était en passe de détrôner son idole, Prince, qui lui avait fait l’honneur en 1996 de citer son nom dans l’une de ses chansons, Get Yo Groove On.
Aucun signe avant-coureur ne nous avait préparé à une aussi longue attente, si ce n’est que D’ (pour les intimes) avait déjà mis un lustre à concoter “Voodoo”. [En 1996, au Japon, les fans du nu soulman avaient cependant eu droit, les veinards, au mini CD “Live At The Jazz Cafe, London”, réédité depuis dans le monde entier en version longue.] D’emblée, cette incapacité à battre le fer tant qu’il était hot l’avait plus ou moins empêché de régner sur le petit monde de la nu soul en monarque triomphant, rôle auquel son premier album, “Brown Sugar”, tombé du ciel en juillet 1995, l’avait pourtant prédestiné.
Car “Brown Sugar” n’était pas seulement un disque sexy, séduisant, cool, swinguant et funky marqué par les grooves hip-hop et certaine ferveur gospel (D’Angelo y jouait de tous les instruments mais avait eu le bon goût d’inviter Ali Shaheed Muhammad, Mark Whitfield, Larry Grenadier, Will Lee et Gene Lake à distiller de ci de là leur savoir-faire), mais aussi le manifeste créatif d’un surdoué en train de paver une voie royale pour ses contemporains, les Erykah Badu, Lauryn Hill, Maxwell et autres Bilal. Il est donc enfin temps de vous débarasser de votre vieille éditon japonaise de “Brown Sugar” et de ses trois misérables bonus tracks, car “Brown Sugar : Deluxe Edition” en propose… vingt et un – comme pour rappeler l’âge qu’avait D’Angelo en 1995 ?
Attention : aucune chanson inédite sur ce double CD. Seuls des remixes – certains très rares et jusque-là uniquement parus en vinyles – viennent gonfler le track listing original. Ils ne sont évidemment pas tous bouleversants, mais le Def Squad Remix de Me And Those Dreamin’ Eyes Of Mine (avec Redman, qui reviendra claquer d’autres rimes dans “Voodoo”) et les remixes signés DJ Premier valent le détour. Spécial bonus : une remasterisation soignée de l’album original supervisée par Russell Elevado et des liner notes classieuses signées Nelson George.
Maintenant, il ne reste plus qu’à attendre une réédition Super Deluxe de “Voodoo”, augmentée si possible d’un live de l’historique tournée US de 2000 (avec Roy Hargrove à la trompette et le regretté Jef Lee Johnson à la guitare), et bien sûr le nouveau D’Angelo, à paraître dans trois semaines (qui sait ?) ou dans dix ans. •
CD “Brown Sugar : Deluxe Edition” (Virgin Records / Universal)
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