Au fin fond de la vallée de l’Ubaye, au cœur des montagnes basses alpines se niche Barcelonnette, petite commune d’environ 3000 habitants. Depuis maintenant plus de vingt ans, un festival de jazz y prend place pendant la dernière quinzaine de juillet. Rien de spécial sous le soleil ? Si, un stage dont les principaux protagonistes ont entre 12 et 20 ans.
L’idée est simple : encadrés par une équipe de musiciens talentueux (et bien souvent anciens stagiaires) tels le formidable pianiste Enzo Carniel, le saxophoniste Maciek Lasserre ou le batteur Tao Ehrlich, environ 80 jeunes stagiaires, passionnés de musique, se retrouvent pour deux semaines intensives, essentiellement guidés par l’idée de jouer ensemble, de faire partager leur enthousiasme naissant aux quatre coins de la ville. Sous la houlette de Stéphane Kochoyan, emblématique directeur artistique de l’événement, trois soirs de concerts en plein air clôturent ce festival. On lui doit, au fil des éditions, les mémorables prestations de Al Jarreau, Archie Sheep, Ahmad Jamal, Tigran Hamasyan, Mélodie Gardot, Dee Dee Bridgewater, Roberto Fonseca, et plus proche encore, un Marcus Miller tellement séduit par le concept du festival que la petite scène de la Place Manuel, où se produisent les enfants du jazz, porte maintenant fièrement son nom.
Cette année n’a pas failli à la règle. Guillaume Naturel, incontournable directeur musical du stage, a encore concocté un superbe big band, réarrangeant et swinguant brillamment sur des reprises de Stevie Wonder, Claude Nougaro, ou Neal Hefti. Seule ombre au tableau, la programmation des trois concerts de cette année s’est éloignée sensiblement du concept de festival dit de jazz, puisque de jazz, il ne fut que peu question. Le premier soir a accueilli les sympathiques Deluxe, dont l’énergie communicative et le sens du show a séduit la majeure partie du public. Le second soir fut la bonne surprise et le point majeur du festival grâce à Yuri Buenaventura, qui gratifia les stagiaires, en préambule de son concert, d’une masterclass passionnante, empreinte d’une générosité que peu de musiciens de son niveau sont capables d’offrir. En soirée, son latin jazz torride enflamma le grand parc de la Sapinière, Yuri s’incarnant en une sorte de James Brown latino, tout aussi exigeant avec ses musiciens que communicatif et chaleureux avec son public. Il offrit, avec sincérité et humanisme, le meilleur de lui-même, invitant sur scène un jeune stagiaire trompettiste qui n’est sans doute pas prêt d’oublier ce moment magique de partage. La fête se poursuivra jusqu’au petit matin, au fond du mythique bar du Choucas, lieu essentiel de jam sessions qui accueille tout aussi bien les profs que les stagiaires et, ce soir l’ensemble des musiciens de Buenaventura. Voilà un artiste ayant parfaitement compris le sens premier du festival, en créant ce lien magique et indispensable, nourri d’échanges et de pédagogie que les stagiaires attendent chaque année avec passion.
Le Choucas sera le lendemain de nouveau notre lieu de prédilection : nous fûmes un certain nombre à être moins sensible à la présence de Zucchero, icône pop-rock eighties comme tête d’affiche (et qui évita toute connivence avec les stagiaires, et c’est dommage…). Nous préférâmes plus tard dans la soirée retrouver la flûte de Guillaume Naturel, se mêlant ce soir là encore aux jams improvisées. Mais peu importe les étiquettes musicales, comme peu importe l’éclectisme de la programmation, tant que le festival ne perde pas l’esprit initial qui est le sien : ce sens du partage culturel que ces jeunes musiciens en herbe, tout comme le large et fidèle public qui suit l’événement depuis des années souhaitent voir perdurer. Souhaitons donc longue vie au Festival des Enfants du Jazz de Barcelonnette, en espérant qu’à l’avenir, son concept de base, ayant si profondément touché bon nombre de grands musiciens qui en ont fait l’histoire, ne soit pas définitivement oublié. •