Deux coffrets du supergroup pop-prog’ Asia viennent de paraître à quelques semaines d’intervalle : “The Official Live Bootlegs Volume One” et “Live At The Budokan Tokyo 83” . Nostalgie, quand tu nous tiens…
Asia mesdames messieurs ! C’était qui ? Le claviériste Geoff Downes, qui venait de cosigner avec Trevor Horn le classique instantané Video Killed The Radio Star (The Buggles, ça vous chante ?). Dans la foulée, et toujours en tandem avec le futur producteur de Frankie Goes To Hollywood, Propaganda et Seal, Downes avait infiltré Yes pour graver l’excellent (et sous-estimé) “Drama” ; de Yes, Steve Howe était bien sûr le guitariste historique depuis 1971 ; le bassiste et chanteur John Wetton, lui, s’était fait connaître avec King Crimson et gravé plusieurs chefs-d’œuvre avec le groupe de Robert Fripp (“Larkes’ Tongues In Aspic”, “Starless And Bible Back”, “Red”), puis avait enchaîné diverses piges, de Roxy Music à Phil Manzanera en passant par Uriah Heep et bien sûr U.K., dont une partie de répertoire (Rendez 6:02, Nothing To Lose…) préfigurait l’estétique Asia ; quant au batteur Carl Palmer, c’était bien sûr le P d’Emerson, Lake & Palmer, avec Keith Emerson dans le rôle du E et Greg Lake dans celui du L. Ces quatre là formèrent donc en 1982 un inattendu supergroup nommé Asia, qui s’appela un temps The Group (too bad guys, y’avait déjà The Band…), avec Trevor Rabin à la guitare et Rick Wakeman aux claviers.
À l’aube des années 1980, le rock prog’ a mangé son pain blanc. Fini les albums concepts et les longues suites à tiroirs, les dinosaures des années 1970 qui refusent d’évoluer sont condamnés à disparaître, et les plus malins d’entre eux reviennent au format pop dont ils avaient fait imploser les codes au début de la décennie. Genesis au premier chef, sous l’influence toujours plus grandissante de Phil Collins (Turn It On Again, en 1980, est un tournant), puis, dans la foulée, Yes nouvelle manière, qui fera un malheur avec Owner Of A Lonely Heart en 1983 (à la prod’, encore lui : Trevor Horn).
Mais entre temps, Asia avait publié son premier album éponyme, à la pochette, magnifique, illustrée par Roger Dean. Succès instantané-planétaire, surtout aux États-Unis (plus de dix millions d’albums vendus !). “Asia” est un petit miracle, sonne comme un best of (Wildest Dreams, Sole Survivor, Here Comes The Feeling…), et le riff mémorable de Heat Of The Moment préfigure celui d’Owner Of A Lonely Heart, qui fera passer Yes dans une autre dimension (TOP 10, MTV et tutti quanti).
Sur scène, dès les premiers concerts du groupe, au printemps 1982 [notre rédac’ chef Fred Goaty, quel veinard, était à celui du Pavillon Baltard, NDR], Geoff Downes, Steve Howe, John Wetton et Carl Palmer jouent toutes les chansons de l’album, sans, ô fierté (pas questions d’être un cover band !), puiser dans les répertoires de Yes, King Crimson, The Buggles ou Emerson, Lake & Palmer, ce qu’ils finiront cependant par faire dans les années 2000, après s’être reformés, comme en témoigne le remarquable et luxueux coffret de cinq double CD “The Official Live Bootlegs Volume One” qui va de 1982 à 2010, prouvant au passage que nos quatre super héros du prog rock protéïforme avaient bien vieilli (RIP John Wetton, qui nous a quittés en 2017). Comme de coutume, Roger Dean a dessiné la pochette, et ses admirateurs sont ravis (magnifique cet aigle-léopard). Le son est de très bonne qualité, et les concerts de 1982 et 1983 (le répertoire s’était enrichi des chansons d’“Alpha”) titillent bien plus que ceux de 2007, 2008 et 2010 nos souvenirs de jeunesse…
L’autre coffret, “superdeluxueux” celui-là, “Live At The Budokan Tokyo 83”, contient deux LP en vinyle jaune et blanc, deux CD (le premier concert du Budokan et celui qui fut retransmis en direct sur MTV), le blu-ray du concert, avec son & images restaurés (vous pouvez jeter votre vieille cassette VHS), un livret de 40 pages au format 30cm et les goodies de rigueur : art prints signés Roger Dean (le dessin de la pochette du coffret et celui d’“Alpha”), un fac similé du backstage pass, deux tickets de concert et, last but not least, un pin’s d’Asia, du genre de ceux que vous achetiez naguère chez l’Indien au Marché aux Puces de Saint-Ouen.
La différence avec l’autre coffret ? Elle est de taille puisque ce n’est pas John Wetton qui chante et joue de la basse mais son confrère et compatriote Greg Lake, embauché à la rescousse par les trois autres. On aurait préféré que Wetton s’y colle, mais il faut bien avouer que le non moins formidable Greg Lake s’en sort avec les honneurs : le phrasé, le timbre (assez proche de celui de Wetton, dans un registre un peu plus grave), le jeu de basse et la force tranquille de Master Lake n’avaient que peu d’égal (lui aussi, hélas, nous a quittés en 2016). Un coffret indispensable, et sans doute appelé à devenir très vite collector.
COFFRETS “The Official Live Bootlegs Volume One” (Asia Heritage / BMG, déjà disponible) et “Live At The Budokan Tokyo 83” (Asia Heritage / BMG, dans les bacs le 10 juin).
Photos, illustrations : (c) BMG