Le 2 juin, Roger Waters publiera son nouvel album solo Is This The Life We Really Want ? Visite guidée du brûlot anti-Trump de l’ancien Pink Floyd en compagnie de son producteur Nigel Godrich.
« If I had been God, I would have re-arranged the veins in my face/ To make them more resistant to alcohol/ And less prone to ageing », chante Roger Waters, 73 ans, dans « Deja Vu », le titre d’introduction d’Is This The Life We Really Want ? Vingt-cinq ans après Amused To Death, son dernier essai solo, l’ancien bassiste du Floyd tempère les ravages du temps par un activisme profondément ancré dans l’actualité. La figure hégémonique de Donald Trump s’inscrit au coeur des 54 minutes d’un disque aussi sombre que spectaculaire. « Picture a leader with no fucking brain », s’alarme l’architecte en chef de The Wall dans « Picture That » le sommet prog de l’album, avant de sampler l’inventeur des fake news en introduction du morceau-titre, un étonnant mash-up des envolées Floydiennes et des expérimentations orchestrales de Radiohead.
Remise à jour
Fil rouge entre le quintet d’Oxford et le membre fondateur de Pink Floyd, Nigel Godrich endosse le rôle du producteur d’Is This The Life We Really Want ? « Roger ne s’intéresse pratiquement pas à Radiohead, je pense qu’il n’a jamais écouté un de leurs albums. Il m’a juste posé des questions sur leur organisation interne et il voulait aussi savoir s’il y avait un Roger Waters dans le groupe (sourire) », évacue d’entrée le collaborateur de Beck, Air, Paul McCartney et récent résident parisien. Au-delà d’un clin d’oeil au riche CV de Nigel Godrich, Is This The Life We Really Want ? propose une passionnante remise à jour du son rugueux et bombastique des années 75-79 du Floyd. « Pour moi, Pink Floyd n’était plus vraiment Pink Floyd après le départ de Roger », explique Godrich. « C’était lui qui définissait les principales orientations et surtout, Roger écrivait les textes. La musique du Floyd restait la musique du Floyd, mais ses chansons et la manière d’articuler sa pensée m’ont beaucoup manqué. Roger a toujours ce pouvoir, cette magie. Je n’avais pas envie de recréer Pink Floyd en studio, mais de rebooter Roger Waters, de le rendre aux fans, un peu à la manière de la nouvelle saga Star Wars. J’avais envie de l’entendre s’exprimer à nouveau, et surtout de l’entendre jouer de la basse. »
Pas de guitar-heroes
Fondation inamovible de l’album, les fréquences graves de Roger Waters s’accompagnent des cordes (superbes) de David Campbell, le père de Beck, sur un belliqueux « Bird In A Gale » en droite lignée d’Animals, la pause acoustique de « Broken Bones » et le pianotage désarmant de « Most Beautiful Girl ». Contrairement aux featurings pétaradants de Jeff Beck et Eric Clapton dans Amused To Death, Is This The Life We Really Want ? exclue toute présence de guitar-hero : le nouveau groupe de studio et de scène de Roger Waters préfère intégrer discrètement le talentueux guitariste/songwriter Jonathan Wilson dans un nouveau canevas sonique privilégiant les orchestrations. « C’était un des mots d’ordre lors de la pré-production de l’album », commente Nigel Godrich. « Tous ces solos me gênaient beaucoup dans Amused To Death, un disque que j’ai toujours eu du mal à écouter jusqu’au bout. Il n’était pas question non plus de placer des solos de slide guitar ou des breaks à la David Gilmour. On a juste utilisé des cordes et d’autres textures. Jonathan joue une ou deux parties un peu chantantes, mais c’est à peu près tout. »
Roger et Paul
Privé d’effets de manche mais pas d’emphase pour autant, Is This The Life We Really Want ? brise donc 25 ans de silence et quelques vieilles habitudes. Un genre d’exercice auquel le producteur était habitué depuis son implication en 2005 dans Chaos And Creation In The Backyard, le chef-d’oeuvre tardif de Paul McCartney. « Le seul point commun entre Roger et Paul, c’est que tous les deux ont produit dans le passé une oeuvre qui éclipse tout ce qui a suivi. Ils sont aussi tous les deux bassistes, et souvent les bassistes sont d’excellents songwriters car ils possèdent leur propre sens mélodique« , analyse Nigel Godrich, dont les deux groupes préférés de tous les temps sont… Pink Floyd et les Beatles ! « Quand tu travailles avec une de tes idoles, tous tes fantasmes et tes rêves d’enfance s’envolent rapidement par la fenêtre. Au bout de deux jours de travail, tu te retrouves devant Paul ou Roger, c’est tout », tempère le producteur, avant d’évoquer la distinction cruciale qui sépare les deux icônes. « Paul est un musicien. Roger n’est pas vraiment un musicien, mais avant tout un parolier. Il écrit toujours ses textes avant de composer des mélodies. (Il chante un extrait de « Mother ») « Mother, do you think they’ll drop (pause) the bomb. » Rien n’est symétrique, rien ne tombe juste. En cela, Roger est une sorte d’anti-musicien. » L’anti-musicien et ses nouveaux accompagnateurs viennent d’entamer une tournée mondiale qui passera par la France en mai-juin 2018.
Roger Waters Is This The Life We Really Want ? (Columbia/Sony Music). Sortie le 2 juin en CD, vinyle et version digitale.