Lou Reed, Iggy Pop, David Bowie, Syd Barrett, Queen… Le bien-nommé Mick Rock est l’auteur de certains des clichés parmi les plus cultes de l’histoire du genre. Interview d’archive en hommage à la disparition du photographe à l’âge de 72 ans.
De quelle manière êtes-vous entré dans l’univers de la photographie ?
Mick Rock : Un peu par hasard. J’étudiais les langues modernes et la littérature à Cambridge, Rimbaud, Baudelaire et les autres…Un jour, j’ai emprunté l’appareil photo d’un ami et je me suis mis à jouer avec. C’était très amusant, à tel point que je pensais avoir terminé une pellicule avant de m’apercevoir que l’appareil était vide ! Peu de temps après, j’ai commencé à photographier quelques groupes locaux. Cette expérience a provoqué un déclic. En plus, on pouvait gagner un peu d’argent en prenant ces photos ! À cette même époque, j’ai rencontré Syd Barrett. C’est lui qui m’a fait comprendre que la photographie de musiciens ou de groupes pouvait être un exercice passionnant. La photographie n’était pas mon but. À l’époque, je voulais être parolier, mais les événements m’ont entraîné dans une autre direction. La photographie est entrée dans ma vie et elle m’a emmené ailleurs.
Quelle a été votre première pochette d’album ?
J’ai brièvement travaillé avec Hipgnosis et j’ai photographié la pochette intérieure de Meddle de Pink Floyd, en 1968. Ensuite, j’ai photographié les session de The Madcap Laughs avec Syd, puis j’ai réalisé mes premières pochettes pour Rory Gallagher et quelques obscurs groupes de jazz. J’ai rencontré David Bowie en 1972. On m’avait proposé de l’interviewer, et comme j’avais mon appareil avec moi, j’ai pris quelques photos. Bowie était encore inconnu, il ne devait pas y avoir plus de 400 spectateurs lors de son premier concert de la tournée Ziggy Stardust et j’ai été le témoin privilégié de son ascension vers la célébrité. Peu de temps après, j’ai commencer à photographier Lou Reed, Iggy Pop, Mott The Hoople, Roxy Music, Queen et Cockney Rebel.
Quelles étaient vos principales influences artistiques au début de votre carrière de photographe ?
Mon influence principale ? Le LSD. En réalité, j’étais sous un trip à l’acide quand j’ai emprunté l’appareil photo d’un ami à Cambridge. Pour la première fois, j’ai vu les choses de manière intuitive et instinctive comme jamais je ne les avais vues auparavant. Je n’ai pas pris d’acide depuis 1971, mais à l’époque, c’était vraiment une expérience unique. Steve Jobs a déclaré qu’il avait été aussi influencé par le LSD, et je suis sûr que cette drogue a influencé la manière de penser de beaucoup de membres de ma génération.
Quelle était la situation d’un photographe rock au début des années 1970 ?
On ne gagnait pas beaucoup d’argent avec nos photos, mais ce n’était pas important. Nous étions encore des hippies et nous ne voulions surtout pas travailler. Nous étions juste des fans des groupes, et nous avions l’opportunité de les photographier. De plus, les photographes n’étaient pas tellement pris au sérieux comparé à aujourd’hui. Nous étions très peu, et il n’existait pas beaucoup de supports où publier nos photos. D’un autre côté, il n’y avait pas autant de pression de la part des médias.
Étonnement, vous n’avez jamais photographié de pochette d’album pour David Bowie.
En fait, on trouve une de mes photos sur une réédition de Space Oddity. J’ai dirigé les sessions de Pin-Ups et signé le lettrage et la back-cover, ainsi que celle de la réédition de The Man Who Sold the World.
Vos pochettes d’albums les plus célèbres sont certainement celles de Transformer de Lou Reed (1972) et de Raw Power d’Iggy Pop (1973).
C’est amusant, car dans mon souvenir, ces concerts que j’ai photographiées avaient eu lieu dans la même salle deux vendredi soirs différents. On m’a dit plus tard que les concerts de Lou Reed et Iggy Pop au King’s Cross Cinema de Londres avaient eu lieu à un ou deux jours d’écart, en juillet 1972. Au départ la pochette de Transformer devait être illustrée par la photo qui se trouve au dos. Ces photos ont été prises par Karl Stoker, qui avait déjà réalisé les pochettes des deux premiers albums de Roxy Music. Il y a eu un problème lors de l’impression des photos, elles étaient floues. Je trouvais ça intéressant et je les ai montrées à Lou. Je ne le connaissais pas bien à l’époque. Si je me souviens bien, David Bowie me l’avait présenté en coulisses après le concert d’où provient la pochette de Transformer. Par contre, Iggy n’était pas présent lorsqu’on a choisi la photo de la pochette de Raw Power, il n’y avait que moi et son manager. Le label avait besoin d’une photo pour le lendemain, c’est tout. Il a déclaré la détester, mais il a expliqué plus tard qu’il détestait tout le monde à ce moment-là de sa carrière. Pour les Ramones, il fallait quelque chose d’organique, de spontané.
Quelle était l’idée de départ de la prise de vue de Queen pour la pochette de Sheer Heart Attack ?
Les membres de Queen voulaient avoir l’air d’avoir été littéralement vomis sur une île déserte. Je les ai disposés dans le studio, je les ai aspergé de glycérine pour qu’ils aient l’air mouillés. La pochette de Sheer Heart Attack est constituée de deux photographies, car Roger Taylor et ses cheveux qui ressemblent à des algues n’entraient pas dans le cadre lors de la première prise de vue. L’idée était très simple, mais elle s’est avérée peu confortable pour le groupe (rires).
Les artistes étaient-ils impliqués dans la création de vos pochettes d’album ?
Ca dépend. Par exemple, les pochettes d’End of the Century des Ramones ou I Love Rock’n’Roll de Joan Jett sont nées de circonstances totalement différentes. Ils sont souvent impliqués, mais pas toujours. La pochette d’End of the Century ne devait surtout pas ressembler à une mise en scène publicitaire.
Quels sont les ingrédients d’une pochette d’album réussie selon vous ?
Avant tout, son impact doit être immédiat. Elle doit frapper les esprits tout en restant simple. L’attitude et l’éclairage sont primordiaux. Certains aiment les pochettes complexes et remplies de micro-détails. Ce n’est pas mon cas.
De toutes celles que vous avez photographiées, quelle sont vos pochettes d’album préférées ?
C’est difficile à dire. C’est comme me demander quelle est ma photographie préférée parmi toutes celles que j’ai prises et ça dépend de mon humeur, de l’heure de la journée, du jour de la semaine et à qui je suis en train de parler. On me parle souvent de celle de Queen II. J’aime beaucoup son éclairage et sa composition très simple. J’en ai aussi photographié beaucoup où les groupes n’apparaissent pas. Lou Reed a produit un groupe, Wild Angels, en 1976, et la pochette de leur album m’a toujours plu.
Quelles sont vos pochettes d’album préférées de tous les temps ?
Celle pour Blonde on Blonde de Bob Dylan photographiée par mon ami Jerry Schatzberg. Elle est directement reliée à la musique, qui à son tour procure un attachement sentimental à la photo de couverture. Celle du premier album du Velvet Underground m’a également beaucoup frappé. Du Warhol typique avec un peu d’ironie et fort contenu érotique. Une pochette très simple, très esthétique.
Propos recueillis par Christophe Geudin