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Iggy Pop, mémoires d’un Idiot

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A l’occasion de la sortie du coffret The Bowie Years, Muziq replonge dans les coulisses de The Idiot, le premier album solo insurpassé d’Iggy Pop.

Le 16 mai 1976, David Bowie est attendu sur le plateau de Système deux, la nouvelle émission de Guy Lux tournée dans les studios de l’ORTF. Le quart d’heure de retard du Thin White Duke se transforme en demi-heure, puis en heure complète. Bowie, qui est sur le point d’achever la tournée Station To Station avec deux concerts au Palais des sports de Paris, est censé interpréter Life On Mars ?, Golden Years et Stay entre diverses interventions de Nicoletta, Patrick Juvet, Pierre Vassiliu, Rika Zaraï et Sim, qui chantera Rocky Balloon déguisé en cowboy. À 15 heures, l’équipe technique et les musiciens plient bagage. Le cocktail cocaïne/vin rouge absorbé la veille au soir privera David Bowie d’une rencontre inédite avec Guy Lux. « Je vais lui briser sa carrière à ce petit pédé ! », fulmine l’animateur-vedette de la France Giscardienne et le futur inventeur du Bilto. Bowie, ce n’était vraiment pas son dada…

La vie de château
David Bowie et son camarade Iggy Pop, qui a rejoint la tournée quelques mois plus tôt, séjournent alors dans un hôtel de la rue des beaux-arts. Au bout de quelques jours passés à éviter les paparazzi, Bowie et Iggy quittent la capitale pour se reposer au Château d’Hérouville, situé au nord-ouest de Paris. Bowie est un familier de l’endroit depuis l’enregistrement de Pin Ups, en 1973. Sur place, il rencontre Laurent Thibault, ancien bassiste de Magma et responsable du studio d’enregistrement du château fondé par le compositeur Michel Magne. Les deux hommes passent la nuit à discuter. À la grande surprise de Thibault, David Bowie s’avère être un fin connaisseur de la discographie de Magma et du langage kobaïen. A l’issue de la conversation, la décision d’enregistrer sur place le premier album solo d’Iggy Pop est prise. Laurent Thibault occupe le poste d’ingénieur du son et joue de la basse, la batterie est tenue Michel Santageli (batteur d’Alan Stivell et de Jacques Higelin) tandis que David Bowie s’accapare la majorité des parties de guitares, de claviers et de saxophone. Le guitariste Carlos Alomar n’est pas présent lors de ces premières sessions et Dennis Davis et George Murray, la section rythmique du groupe de scène de Bowie, n’interviendront que quelques semaines plus tard.

En journée, le studio est occupé par Bad Company. David Bowie et Iggy Pop se mettent au travail le soir venu. Selon un rituel immuable, Bowie émerge aux alentours de 19 heures, après avoir passé la journée à se plaindre de la nourriture empoisonnée servie au château, cause de fréquents aller-retours aux urgences de l’hôpital de Pontoise. « J’adorais ce studio. Par contre, la nourriture était détestable », confirme Tony Visconti, qui allait venir à Hérouville co-produire Low en compagnie de Brian Eno quelques semaines plus tard. « On nous donnait du lapin chaque soir ! Après cinq soirs, on a demandé autre chose à dîner. Ils nous ont donné des laitues à peine déterrées ! ». Le sommaire repas du soir expédié, les musiciens se réunissent jusqu’aux petites heures du matin dans le studio situé dans les combles du château. Iggy Pop est assis en train d’écrire à même le plancher, entouré d’une montagne de livres et de papiers divers. Durant plusieurs nuits du caniculaire juillet 1976, David Bowie et Iggy Pop embarquent à bord du « Vaisseau ». L’effet de réfraction, provoqué par la triple épaisseur des vitres du studio du château d’Hérouville, donne la sensation de naviguer sur une mer d’huile constituée par les champs obscurs situés alentour. À l’arrière-plan, les collines éclairées de Taverny forment un rivage lointain, tandis que les soucoupes volantes surgissent des phares des automobilistes engagés sur la route d’Auvers-sur-Oise. Les soirs de grand vent, les poutres en bois du studio craquent comme celles d’un trois-mâts pris dans la tempête…

Ombres noires
À ce stade de l’enregistrement, les morceaux de The Idiot ne sont que des bribes instrumentales rassemblées sur un appareil à mini-cassettes. David Bowie joue le rôle de directeur musical, sans toutefois donner la moindre indication à ses partenaires. Tout se joue à l’instinct, comme le raconte Laurent Thibault : « Je lui demandais sans arrêt si ce que nous jouions lui convenait. Il ne me répondait pas et il se contentait de me regarder fixement, sans un mot. C’est là que j’ai compris qu’il ne répondrait jamais. Par exemple, quand Bowie jouait du piano Baldwin branché sur un ampli Marshall, Michel était obligé de se lever de sa batterie pour voir ce que faisait Bowie. Bowie ne disait toujours rien. De mon côté, j’enregistrais tout. David réécoutait ensuite la bande, et dès que le résultat lui plaisait, nous passions au morceau suivant. Au bout d’un moment, nous ne lui avons même plus posé de questions. » Les titres s’accumulent, sans pour autant savoir si le résultat se retrouvera sur l’album d’Iggy Pop ou sur celui, encore en gestation, de David Bowie. Laurent Thibault : « Low a été enregistré après The Idiot, mais Low est sorti en premier. David ne voulait pas qu’on puisse dire qu’il était inspiré du disque d’Iggy alors qu’en fait, il s’agit du même. Certains des morceaux qu’on a enregistrés pour Iggy se retrouvent dans Low, comme What in The World qui s’appelait au départ Isolation. » Fun Fun Fun sera de même rebaptisé Funtime et Borderline deviendra China Girl. La version originale du tube interplanétaire que David Bowie réenregistrera en 1982 a été inspirée par la fascination des deux expatriés pour Kuelan Nguyen, la compagne de Jacques Higelin, qui enregistrait Alertez les bébés à Hérouville au même moment.

Si Dum Dum Boys relate l’histoire mouvementée des Stooges, les sources d’inspiration des compositions de The Idiot sont parfois inattendues : un soir, au cours du repas, Iggy Pop se remémore son adolescence passée dans le Michigan. Il se souvient d’un cloaque situé tout près des usines de la Motor Factory de Detroit et du grondement mécanique des machines s’échappant des entrepôts voisins. C’est de là que viendra le titre Mass Production. L’enregistrement du dernier morceau de The Idiot constitue un des sommets créatifs de ces séances : « on avait fait une boucle à partir du synthétiseur ARP de David, mais le son était aléatoire et ça l’énervait. J’ai eu l’idée de l’enregistrer sur une bande 1/4 de pouce, et une fois que le son lui a plu, j’ai monté une boucle tellement gigantesque qu’il a fallu installer des pieds de micros tout autour de la console. Quand la bande défilait, on pouvait voir le petit collant blanc, ce qui donnait l’impression d’observer un train électrique. David est resté trois quarts d’heure sur son siège tournant, à regarder les bandes défiler aux quatre coins de la pièce, avant de prononcer le « record » fatidique ». Laurent Thibault et Michel Santageli participent à la majorité de l’album, et Dennis Davis et George Murray rejoueront des parties sur Mass Production et Dum Dum Boys lors des séances d’overdubs au studio berlinois Hansa. On doit aussi à Phil Palmer (le neveu de Ray Davies des Kinks) quelques ajouts de guitare sur Nightclubbing, Dum Dum Boys et China Girl. Toutes les autres parties de guitares sont signées David Bowie, qui déclarera plus tard ne jamais eu avoir aussi mal aux doigts que pendant l’enregistrement de The Idiot. Edgar Froese, le multi-instrumentiste de Tangerine Dream, a également failli participer aux séances, mais il quittera le château le lendemain de sa venue pour une raison inexpliquée.
Au cours du séjour à Hérouville, le facétieux Iggy commet l’irréparable en poussant David Bowie dans la piscine (remplie) du château. Quelques mois plus tôt, lors d’une party hollywoodienne en compagnie de Peter Sellers, l’interprète de l’inspecteur Clouseau avait prévenu David Bowie du danger causé par les « ombres noires » rôdant au fond des piscines. Courroucé par son plongeon forcé, Bowie décide d’abandonner le projet sur le champ en mesure de rétorsion, et Iggy Pop se réfugie à l’Open Market en attendant que l’orage se calme. Une tempête éclatera pourtant, mais la victime ne sera pas celle que l’on croit.

 » Il m’a jeté le magazine à la gueule ! « 
The Idiot sort en mars 1977 et rencontre un succès critique jusqu’ici inédit dans la carrière de l’Iguane. Seule ombre au tableau, un livret erroné qui ne rend pas justice à Laurent Thibault, second rôle décisif du chef d’œuvre commun d’Iggy Pop et de David Bowie. Dans le livret, Tony Visconti est crédité en tant que seul producteur de The Idiot, alors qu’il n’est intervenu qu’à l’étape du mixage de l’album, réalisé à Berlin. Cette injustice est le résultat d’une indiscrétion de la presse rock française de l’époque : pendant l’été, un journaliste est venu s’immiscer au château d’Hérouville au cours de l’enregistrement de The Idiot. L’article (paru dans une revue non-identifiée et intitulé Bowie et la vie de château) paraîtra quelques semaines plus tard : « David n’était pas présent le jour de l’interview, mais il m’a dit qu’un journaliste allait passer et il m’a indiqué ce qu’il fallait que je lui réponde. iggy_idiot_40th_mont_1000sqAprès coup, quand David est revenu au château, il m’a jeté le magazine à la gueule en sortant de la voiture. Il m’a dit qu’il ne savait pas qu’il y avait un traître parmi nous. Je n’avais pas encore lu l’article, il l’avait lu avant moi et il comportait des choses que je n’avais pas dites. Par exemple, on me demandait qui allait venir prochainement au château, et j’ai soi-disant répondu que ça serait le premier qui enverrait le chèque. Je n’ai jamais dit une chose pareille de ma vie. On m’a aussi demandé le nom des musiciens. David voulait bien donner l’information, mais il a changé d’avis entre-temps. Il m’a dit ensuite que comme cet article français risquait de paraître dans le monde entier, que mes dires seraient validés, et que par conséquents, il ne pouvait plus mettre mon nom sur la pochette. Bien sûr, j’ai tiré une tête de six pieds de long, et plus tard, en route vers Paris, il m’a dit que c’était une bonne leçon. »

Visionnaire à plus d’un titre, The Idiot demeure, 45 ans après sa conception, l’album insurpassé d’Iggy Pop. Crée le dernier jour des séances à Hérouville par le duo Bowie/Pop alors que leurs accompagnateurs avaient plié bagages, les beats pré-electro de Nightclubbing imprégneront durablement les rythmiques du post-punk et de la (cold) new wave. Quelques mois plus tard, le duo dynamique allait poursuivre sa collaboration avec le binaire Lust For Life, puis le FMisant Blah-Blah-Blah (1986, et mystérieusement absent du nouveau coffret The Bowie Years). En 2016, année du trépas de David Bowie, Iggy Pop choisit d’illustrer la tournée Post-Pop Depression avec la quasi-totalité des titres de la cuvée grand cru 1976-1977. Un brillant épilogue pour une carrière à la courbe accidentée, mais aussi le plus bel hommage indirect rendu au Thin White Duke depuis sa disparition.

Iggy Pop The Bowie Years (Universal, Coffret 7 CD) / The Idiot (Edition deluxe 2CD) et Lust for Life (Edition deluxe 2CD) disponibles le 29 mai.

The Bowie Years – 7CD
DISC 1 (The Idiot)
Sister Midnight
Nightclubbing
Funtime
BabyIggy box
China Girl
Dum Dum Boys
Tiny Girls
Mass Production

DISC 2 (Lust for Life)
Lust for Life
Sixteen
Some Weird Sin
The Passenger
Tonight
Success
Turn Blue
Neighbourhood Threat
Fall in Love with Me

DISC 3 (TV Eye Live)
T.V. Eye
Funtime
Sixteen
I Got A Right
Lust for Life
Dirt
Nightclubbing
I Wanna Be Your Dog

DISC 4 (Demo’s and Rarities)
Sister Midnight – Mono Single Edit
Sister Midnight – Single Edit
China Girl – Single Edit
Dum Dum Boys – Alt Mix
Baby – Alt Mix
China Girl – Alt Mix
Tiny Girls – Alt Mix
I Got A Right – Single
Lust for Life – Edit
Interview with Iggy about Recording the Idiot

DISC 5 (Rainbow Theatre – Finsbury Park, London 07/03/1977)
Raw Power
TV Eye
Dirt
1969
Turn Blue
Funtime
Gimme Danger
No Fun
Sister Midnight
I Need Somebody
Search and Destroy
I Wanna Be Your Dog
Tonight
Some Weird Sin
China Girl

DISC 6 (Agora Cleveland 21/03/1977)
Raw Power
TV Eye
Dirt
1969
Turn Blue
Funtime
Gimme Danger
No Fun
Sister Midnight
I Need Somebody
Search and Destroy
I Wanna Be Your Dog
China Girl

DISC 7 (Mantra Studios, Chicago 28/03/1977)
Raw Power
TV Eye
Dirt
Turn Blue
Funtime
Gimme Danger
No Fun
Sister Midnight
I Need Somebody
Search and Destroy
I Wanna Be Your Dog
China Girl