Retour en salles et en DVD/Blu-ray de Ragtime, l’éblouissante fresque historique de Milos Forman mise en musique par Randy Newman.
La musique de film est une tradition familiale chez les Newman. Neveu d’Alfred et Lionel Newman, compositeurs phares de l’âge d’or du cinéma (on doit à Alfred la fanfare cuivrée accompagnant le logo de la Twentieth Century Fox), Randy Newman est également le cousin de Thomas et David, qui écrivent aussi pour Hollywood. Le songwriter acerbe de Sail Away et « Short People » est encore adolescent lorsqu’il intègre une société d’édition californienne où éclosent ses talents précoces de compositeur/arrangeur. En 1966, Randy Newman fait son entrée par la petite porte du score de feuilleton avec la partition du soap Peyton Place. Trois ans plus tard, il surfe sur la slide-guitar de Ry Cooder dans « Dead Gone Train », tiré de la bande-son de Performance, puis signe quelques segments pour l’obscure comédie anti-tabac Cold Turkey, en 1971. Randy Newman devra pourtant attendre dix ans avant de retrouver Hollywood. La pression occasionnée par un lourd héritage familial n’y est sans doute pas étrangère : « Tous les musiciens qui composent des musiques de films sont paralysés par la peur de ne pas savoir quoi faire », commentait Randy Newman pour Muziq en 2008. « John Williams a écrit des centaines de chefs-d’œuvre, mais il ressent la même chose à chaque fois. Pourquoi ? Tu n’as rien et tu dois arriver à quelque chose, même si tu y es déjà arrivé plein de fois. J’avais vraiment eu la trouille pour Cold Turkey. Qu’allait penser ma famille ? Je les entendais presque dire dans mon dos : « Courage mon brave » (en français dans le texte, ndr.). »
Au cours de l’été 1981, Randy Newman passera plusieurs nuits blanches après avoir reçu du producteur-mogul Dino de Laurentiis l’invitation de signer la bande originale de Ragtime. Chaînon manquant entre La Porte du paradis et Il était une fois en Amérique, l’éblouissante fresque historique de Milos Forman (Vol au-dessus d’un nid de coucou, Amadeus) s’inspire du best-seller historique d’El Doctorow. Avec pour décorum le New York de 1906, la reconstitution fidèle de l’Amérique ségrégationniste du début du siècle et un casting incluant un James Cagney sorti de sa retraite servent d’inspiration à Randy Newman. Le pianiste, dont le répertoire puise régulièrement dans les racines du grand songbook américain, commence par effectuer quelques recherches du côté des ragtimes de Scott Joplin, Eubie Blake, Joseph Lamb et des ministrels songs. Le genre musical qui donne son nom au long-métrage correspond à un ancêtre syncopé du jazz, avec son léger décalage rythmique de notes intercalées entre les accords. Bien que déplorant un jeu de piano maladroit à longueur d’entretiens, Newman compose et accompagne quinze pièces pour big band jazz et grand orchestre, dont deux chansons originales, « Change Your Way » et « One More Hour », interprétée par Jennifer Warnes, future co-interprète du tube « (I’ve Had) The Time of My Life », le tube de Dirty Dancing. Le résultat, à la fois lyrique et imaginatif, lui vaudra deux nominations aux Oscars pour la meilleure bande-son et la meilleure chanson originale. « Le soir de la cérémonie, L’Académie a fait interpréter par Liberace un medley des chansons nommées. La mienne était chantée par un des acteurs de la série Shérif, fais-moi peur. Inutile de vous dire que j’ai passé une soirée très étrange… ».
Ce soir-là, Vangelis empoche la statuette pour la bande originale Les Chariots de feu et Burt Bacharach celui de la meilleure chanson pour « The Best You Can Do », le générique d’Arthur. Partie remise : Randy Newman tiendra sa revanche en décrochant deux trophées pour sa contribution aux productions Pixar en 2002 (pour Toy Story) et 2011 (Monstres et compagnie). Trois décennies après Ragtime, il fait même figure de vétéran de la bande originale à Hollywood. Pour autant, son sens de l’autodérision ne l’a jamais quitté : « J’ai beaucoup sué pour arriver à un résultat correct sur Toy Story. Six mois plus tard, on m’invite à une projection. Pixar a collé une poursuite de voitures et des dialogues sur ma symphonie ! Depuis, quand on me demande ce que je fais à Hollywood, je réponds : « vous entendez la musique de fond pendant que Buzz l’éclair se castagne avec les soldats de plomb ? C’est de moi. »
Ragtime de Milos Forman. Ressortie en salles à partir du 20 mars (Lost Films/L’atelier Distribution). DVD /Blu-Ray également disponible le 20 mars (L’Atelier d’images/Arte Editions).