La bonne maison Eagle Vision sort ces jours-ci en DVD et en blu-ray deux films à (re)découvrir du Beatles disparu.
Il est tout à fait judicieux d’avoir additionné Imagine et Gimme Some Truth, deux films sortis à trente ans d’intervalle, mais tous deux conçus à partir des mêmes sources. Au début de l’été 1971, lorsque John Lennon accouche, dans le studio de sa luxueuse propriété d’Ascot, de ce qui sera son dernier disque britannique, les caméras tournent en permanence, du matin au soir, ne ratant rien de ce qui constitue son quotidien avec Yoko Ono. Du petit pipi du matin aux promenades dans l’immense parc, en passant par les poses déjeuner et les séances d’enregistrement, le ballet amoureux de John et Yoko est scruté sous tous les angles. Si l’intensité de leur liaison crève alors les yeux, il faut bien admettre qu’ils incarnent leurs rôles respectifs avec un sens de la mise en scène qui peut parfois irriter. Tous ces fragments de vie vont être montés par John & Yoko eux-mêmes, avec pour B.O. l’essentiel des chansons de l’album. Simplement baptisé Imagine, le film fait la part belle à de trop nombreuses séquences conceptualisées, la plupart du temps focalisées sur la romance des tourtereaux, avec une autocomplaisance parfois fatigante.
Mais ne boudons pas notre plaisir de voir le grand John, qui, après une année de thérapie spartiate, semble nager en plein bonheur. Exit la barbe de vieillard ou la tonsure monacale : il semble avoir rajeuni de dix ans, dans son corps et dans sa tête. Ses chansons traduisent cette mue salutaire et le film entier, tout comme la qualité du répertoire, en témoigne.
Gimme Some Truth, le second film, est, par la grâce de sa conception économe et brute de décoffrage, à la fois plus intéressant et surtout plus émouvant. Il enchaîne habilement les séances en studio, sans aucun commentaire off. Ne subsistent alors que les passionnantes séquences de construction des chansons, les questionnements sur les arrangements, les doutes et les agacements d’un Lennon souvent insécure. En contremaître du chantier, Yoko ne se prive pas de l’aider à travers des remarques pointilleuses, mais dont il faut bien admettre la pertinence, face au producteur Phil Spector dont on cerne finalement assez mal le réel apport artistique.
Côté musiciens, John est épaulé par la fine fleur de l’époque : Nicky Hopkins aux claviers, Klaus Voorman à la basse, Jim Keltner, Alan White et Jim Gordon à la batterie, Joey Molland et Tom Evans de Badfinger aux guitares, et même George Harrison qui intervient à la slide, en solo ou au dobro sur une poignée de titres.
Si l’élaboration patiente de la chanson Imagine fait partie des moments magiques, on ne peut s’empêcher d’être un peu mal à l’aise lorsque Lennon, hilare et hargneux, taille un costard à McCartney dans le très fielleux How Do You Sleep ?, épaulé à la guitare par un George Harrison consentant de fait à cette mise en pièces vacharde : « C’est le méchant », précise-t-il alors face caméra…
Ces plongées au cœur du réacteur sont entrecoupées de séquences extérieures, ballades énamourées dans le parc de Tittenhurst, vie quotidienne (Yoko recousant la braguette de l’ex-Beatles, petit-déjeuner), interview, séance de dédicace, réception de quelques proches (parmi lesquels Fred Astaire, Andy Warhol, Jack Nicholson, Miles Davis, Jack Palance…), participation à une manifestation pour la paix, etc. Lennon s’y montre souvent facétieux comme un gamin, comme lorsqu’il entrouvre furtivement sa robe de chambre pour laisser sa quéquette prendre l’air, sous le regard un peu navré de Yoko. En bonus : les coulisses d’une séance photo organisée avec David Bailey. John et Yoko y prennent la pose sous les injonctions du célèbre photographe, encourageant John dans ses gamineries comme lorsqu’il caresse longuement le sein droit de sa muse.
Réalisé par Andrew Solt et récompensé en 2001 d’un Grammy Award, Gimme Some Truth – The Making of John Lennon’s Imagine Album offre une plongée honnête et sans effet de manche dans le processus créatif qui amena Lennon à produire son album le plus populaire, porté par l’une de ses chansons les plus universelles. Sa grande gueule, sa fragilité chronique, sa fantaisie et sa voix singulière nous manquent encore à plus d’un titre.
Enrichis de quelques images inédites et rassemblés en un unique DVD (ou Blu-ray) de 138 minutes, ces films ont naturellement fait l’objet d’une soigneuse restauration des images et du son, ainsi que, pour nous autres Gaulois réfractaires, d’un sous-titrage en français.
PS : Yoko Ono s’est récemment livrée à une multiplication des pains destinée à combler une fois de plus l’insatiable appétit des fans. Ainsi, “Imagine”, l’emblématique album de son défunt mari, sorti en septembre 1971, va se démultiplier sous la forme du coffret “Imagine – The Ultimate Collection”, comportant l’album original remixé, singles, bonus, outtakes, versions alternatives et instrumentales, éléments du mix (soit 140 titres répartis sur 6 disques !), d’un beau livre de 320 pages (Éditions du Chêne) et, donc, de la réédition des deux films qui nous intéressaient aujourd’hui. A suivre… •
DVD/Blu-ray “Imagine – Gimme Some Truth” (Eagle Vision / Universal, sortie le 5/10)