Dr. John, alias le Night Tripper, nous a quitté cette nuit, terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 77 ans. Muziq se souvient…
« On peut faire sortir un homme de la Nouvelle-Orléans, mais on ne peut pas faire sortir la Nouvelle-Orléans d’un homme », nous racontait Malcom John Mac Rebennack, alias Dr. John, en juillet 2004. « J’entretiens une relation amour /haine avec cette ville. Ce qu’en ont fait les politiciens me rend malade, mais j’aime ses musiciens, ses habitants, sa nourriture… Cette ville est petite et pauvre, mais son brassage est intéressant, proche de ce qu’on trouve au Brésil ou à Cuba. »
Si les retranscriptions des interviews de Dr. John étaient rendues ardues par son épais patois créole, sa musique a toujours été limpide. Dans Under a Hoodoo Moon : The Life of the Night Tripper, sa stupéfiante autobiographie haute en couleurs parue en 1994, Dr. John retraçait un parcours à l’introduction digne d’une série noire sudiste de Jim Thompson. Passé de la guitare au piano suite à une balle de revolver écopée lors d’un deal de dope foireux, Dr. John passe par la case prison avant d’enregistrer son premier album Gris-Gris en 1968 grâce à la bonne étoile de Sonny Bono : « Sonny et Cher tournaient un film et ils avaient loué un studio pour enregistrer la bande-son. Avec Harold Battiste, nous étions chargé de fournir les arrangements. Sonny Bono a été assez sympa pour me prêter le studio. Entre les prises, on s’est mis à jammer. Je n’aurais jamais pu imaginer que le résultat allait sortir un jour. Ahmet Ertegun est devenu cinglé quand il a entendu cette « voodoo shit ». Manque de chance pour lui, les hippies ont adoré. » Mélange de grooves vaudous, de funk hanté et de folklore créole, Gris-Gris sera suivi d’une série d’albums majeurs, parmi lesquels The Sun, Moon & Herbs (1971), un intriguant gumbo réunissant, entre autres, Mick Jagger et Eric Clapton, mais surtout les superfunky In The Right Place (1973) et Desitively Bonnaroo (1974), concoctés avec deux titans du groove de la Nouvelle-Orléans : Allen Toussaint et The Meters.
Les années 1980 seront moins généreuses avec Dr. John, victime d’une addiction à l’héroïne correspondant à la distance séparant l’épatant Dr. John Plays Mac Rebennack Vol.1 en piano solo (1981) d’In a Sentimental Mood (1989) et ses relectures élégantes de standards de Duke Ellington, Johnny Mercer et Cole Porter. En mai 2014, lors de son dernier passage parisien au Trianon quelques mois mois après la parution de Locked Down, son ultime réussite produite par Dan Auerbach (The Black Keys), Dr. John avait paru bien las, tassé derrière son clavier et largement distancé par ses accompagnateurs. Trois ans plus tard, The Musical Mojo Of Dr. John: Celebrating Mac And His Music, un hommage à sa carrière réunissant Bruce Springsteen, les Neville Brothers et Allen Toussaint s’achevait sur une relecture collective de « Such a Night », le classique de 1973 qui clôturait également la formidable série Treme.
Le Night Tripper nous a quitté cette nuit, terrassé par une crise cardiaque à l’âge de 77 ans. « Je suis le grand zombie », menaçait ce dernier en 1968 dans « I Walk On Guilded Sprinters ». Après avoir illuminé vos soirées, Dr. John va maintenant hanter vos nuits.