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Muziq Interview

Prince, Joni, Jimi, Fela… : Wendy & Lisa se souviennent

WENDY LISA 5 Nancy Bundt PRN Music Corp

À l’occasion de la sortie de “Prince And The Revolution Live” le 3 juin prochain (NPG Records / Sony Music), la guitariste et la claviériste du groupe mythique de Prince parlent de feu leur boss, mais aussi de Joni Mitchell, Stevie Ray Vaughan, Jimi Hendrix et Fela Kuti. Spécial bonus : notre premier entretien avec le duo paru en 2009 dans Muziq.

ACT I, WENDY MELVOIN ET LISA COLEMAN SUR MUZIQ.FR

Wendy, Lisa, nous fument très nombreux, en France, à éprouver un grand sentiment de frustration quand Prince décida de ne pas venir jouer en Europe après la sortie de “Purple Rain”. Savez-vous pourquoi il tourna alors seulement aux États-Unis ?
Wendy
À l’époque, nous avions déjà quasiment terminé “Around The World In A Day”. Prince était certes très excité d’être sur la route avec “Purple Rain”, mais il rejouait en quelque sorte le film chaque soir, et n’avait qu’une hâte : revenir à la liberté de simplement jouer des morceaux. Je sais que le management et tous les booking agents étaient très frustrés que nous n’allions pas jouer sur d’autres continents, mais quand Prince avait fini… il avait fini ! La meilleure option était donc de faire ce concert monumental retramsmis dans le monde entier, au même moment. C’était vraiment quelque chose de fou à faire. Et je suis surprise que tout se soit bien passé, sans un accroc. D’un point de vue personnel, ça m’a bluffée, et ç’a permis à un très grand nombre de personnes autour du monde de voir ce spectacle, le Purple Rain show.
Lisa Je suis totalement d’accord avec Wendy. Prince était effectivement extêmement impatient de passer à autre chose…
… il voulait aller toujours plus vite, tourner, en quelque sorte, around the world… in a day.
…Wendy & Lisa
Vooooilàà, c’est ça !
Wendy Et enchaîner avec “Parade” sans tarder non plus ! Il était déjà au-delà de “Purple Rain”.

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Wendy, j’aime beaucoup votre sonorité dans Let’s Go Crazy, et vous êtes d’ailleurs, après Prince bien sûr, la première musicienne à apparaître sous les spotlights. Étiez-vous complètement libre de choisir votre son sur scène ?
Wendy
Oui, j’étais libre, mais je dois vous dire – et c’est amusant que vous insistiez là-dessus – qu’il ne voulait pas que ma distorsion soit plus imposante que la sienne. C’était fait exprès. Et cela faisait tout à fait sens quand on sait qu’il était le soliste principal, avec toutes ses interventions. Quand c’était lui qui utilisait la distorsion, la différence était énorme. Si j’avais tenté d’avoir le même son, le même timbre, il m’aurait demandé d’en faire moins. Je voulais produire mon propre son sur scène, pour sûr !

Lisa, il y treize ans [lire plus bas, NDR], vous m’aviez confié que votre mère vous avait poussé à jouer la Symphonie Jupiter de Mozart sur scène quand vous aviez 8 ans, et que vous aviez « pleuré et ri en même temps ». Vous est-il également arrivé de pleurer et de rire en même temps quand jouiez avec Prince ?
Lisa
Oui, il y a quelques jam sessions… Hmm, je vous parle d’un sentiment très profond là… Pas seulement un petit rire ou un petit sanglot…
Wendy …on appelle ça l’hystérie ! [Rires.]
Lisa …oui, cela relève plus d’une sorte d’hystérie profonde… Certaines jam sessions, lors des répétitions, duraient parfois si longtemps que ça finissait par être comme de la méditation. Répeter ces quatre ou ces huit mesures encore, et encore… Je ne parle pas des concerts, car là j’étais, comment dire, très consciente, je devais rester consciente ; mais en répétition vous pouvez en quelque sorte quitter votre corps… Aller de plus en plus haut (« getting higher and higher »).
Est-il arrivé qu’il vous surprenne dans ce genre d’état ? Il pouvait être assez chambreur, voire assez dur, non ?
Lisa
C’est vrai oui. [Sourire.] Heureusement, ça n’est jamais arrivé, car il était tellement à ce qu’il jouait qu’il ne faisait pas toujours attention à ce qui se passait autour de lui.

WENDY LISA 1 Nancy Bundt PRN Music Corp

Wendy, aviez-vous des conversations de “guitaristes” avec Prince ? Parliez-vous de vos propres héros, Wes Montgomery, John McLaughlin… ?
Wendy
Oui, oui, il s’est peu à peu ouvert à tout ça. Prince était vraiment un “Carlos Santana guy”, mais on pouvait parler de n’importe quel genre de musicien avec lui, pas seulement des guitaristes. Vous savez, je suis une amateure de musique et une musicienne éclectique, et c’est ce que j’ai apporté avec moi. Mais je n’aurais jamais dit à Prince quelque chose comme « Oh, tu dois absolument apprendre ce solo de John McLaughlin avec Shakti, tu dois écouter ci, écouter ça… ». Il m’arrivait de jouer certains trucs et il pouvait les écouter. C’est drôle que vous me posiez cette question, parce que je me souviens, nous étions en plein Purple Rain Tour, le disque de Stevie Ray Vaughan & Double Trouble, “Couldn’t Stand The Weather”, venait de sortir, et Lisa et moi le passions beaucoup, backstage, dans notre loge. Il l’entendait à travers la paroi, et je me souviens qu’une fois il a pointé le bout de son nez, et je l’entends encore dire : « Il n’y aura toujours qu’un seul Jimi Hendrix… » C’était assez drôle qu’il dise ça, mais en réalité je crois qu’il voulait plutôt dire : « Voilà un type avec qui je ne serai jamais en compétition… »

Il était un peu puriste ?
Wendy
Oui et non. Il était puriste quand il voulait l’être, quand ça l’arrangeait… [Rires de Lisa.]

Lisa, même question : vous parliez de vos claviéristes favoris ?
Lisa
Avec Prince, on parlait pas mal de musique classique. On avait de vraies conversations musicales, il était curieux, il disait parfois, quand je jouais quelque chose : « C’est quoi ça ? » Je répondais « Oh, rien de spécial », ou « C’est un morceau de John McLaughlin… » Il était très sensible, un rien pouvait le piquer au vif : « Oh, c’est d’untel ça hein ? Eh bien, va jouer avec lui… » [Rires.]
Wendy C’était son côté compétiteur ça ! Mais s’il y avait bien une artiste sur laquelle nous étions toujours d’accord tous les trois, c’était Joni Mitchell.
Lisa Joni Mitchell, oui, absolument.
Wendy Dès le début, ce qu’on savait, tous les trois, c’était que cette femme avait quelque chose que l’on chérissait musicalement. Nous avions le même amour pour elle, on se sentait dans la même bulle, avec cet amour maniaque, pour elle, en tant qu’artiste.
Vous la voyez souvent je crois…
Wendy
Oui, et depuis pas mal d’années. Quand elle a eu sa rupture d’anévrisme, elle a dû suivre une longue convalescence, on allait régulièrement chez elle jouer au Scrabble, ou dîner.

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Wendy, Lisa, vos voix se mélangent parfaitement dans 1999, sur le live. En quoi Prince a-t-il influencé la façon dont vous chantiez ensemble ?
Lisa
On a tant travaillé qu’on a appris à bien mélanger nos voix, à ralentir parfois, ne pas chanter trop “pointu”, spécialement sur scène, quand vous vous excitez vous avez tendance à tout chanter trop vite.
Lisa, vous restiez toujours derrière vos claviers : vous auriez pu jouer des claviers portables à l’époque, comme Herbie Hancock ou George Duke…
Lisa
Il m’avait demandé de le faire, mais j’ai dit non ! je ne me sens pas à l’aise avec ça [elle grimace.] Je n’aimais pas ces claviers en forme de guitare, je trouvais ça un peu ringard… [Rires.] Il a compris… « Tant pis pour toi ! » [Rires.]

Wendy, vous aviez 19 ans quand vos avez joué la première fois sur scène avec Prince, à Minneapolis, au First Avenue, en août 1983…
Wendy
J’étais jeune et je pensais que j’étais bonne dans ce que je faisais, mais je ne suis pourtant pas du genre à fanfaronner – surtout maintenant –, mais à cette époque je ne pensais pas une seule seconde que je n’avais rien à faire là, je me disais « Ça y est, tout s’assemble parfaitement ! ». Mais j’étais nerveuse, et je me souviens d’avoir eu conscience qu’il ne fallait surtout pas que je déconne ! Je ne voulais pas tout bousiller. Je ne sais pas si Lisa s’en souvient, mais quand on répétait toutes les deux, je me disais souvent « Je ne pense pas que je peux le faire, je ne pense pas que je peux le faire ! ». Il y avait tellement de morceaux que je devais apprendre exactement comme Prince les avait joués… Le jour du concert, il m’a regardé, backstage : « Es-tu nerveuse ? Tout le monde peut être nerveux, mais le problème, quand on est nerveux, c’est qu’on a tendance à se précipiter. Donc, si tu te sens nerveuse, débranche ton corps, et arrange-toi pour jouer en arrière du temps. » Je n’oublierai jamais, et c’est probablement le meilleur conseil qu’on m’ait jamais donné en tant que guitariste rythmique. Je fais toujours attention à bien jouer en place. Je n’ai pas besoin de machine.

Ce soir-là, vous aviez joué Purple Rain pour la toute première fois…
Wendy
Je m’en souviens très bien, oui. Il adorait l’intro. Lors des répétitions, j’avais essayé de trouver une façon de faire sonner le morcau de manière encore plus belle, pour lui donner une sorte de “Joni Mitchell touch”, au lieu de simples triades et de power chords… (Le jour où Joni Mitchell m’a vue jouer Purple Rain, elle m’a dit : « Est-ce que tu joues en open tuning ? » Je lui ai répondu que non.) Et c’est là que mes influences jazz ressortirent… J’ai donc commencé à jouer l’intro, devant lui, il a dit « That’s it ! ». Le soir où je l’ai jouée au First Avenue pour la première fois, il s’est installé backstage pour m’écouter jouer. Il aimait tant cette intro… Je crois que ça dure presque dix minutes, non ? C’est quelque chose de fou ! Il voulait l’écouter encore et encore et encore. Se la mettre en tête pour toujours. Ce n’est certainement pas parce qu’il n’avait pas pu relacer ses chaussures avant de revenir sur scène qu’il a attendu si longtemps, vous voyez ce que je veux dire ? Non, certainement pas. Il voulait écouter cette intro, et en plus c’était la première fois que je jouais sur scène avec lui, c’était énorme ! Et je pense que les gens s’attendaient plutôt à découvrir quelqu’un dans le genre de Dez Dickerson. [le précédent guitariste de The Revolution, NDR].

Lisa, quelle chanson vous préfériez jouer sur scène avec Prince ?
Lisa
Toutes ! Chaque chanson est une aventure. Vous aimez la façon dont je joue l’intro de Little Red Corvette ? Oh, merci, ils sont pas mal ces trois accords… [Rires.] Hmm, je suis une « chord person », j’adore les accords, la façon dont ils s’imbriquent… Parfois, Prince étirait l’intro de Little Red Corvette, et je cherchais des manières de faire sonner ces accords de manière pas trop répétitive. Il y avait toujours des opportunités, même s’il n’aimait pas toujours ce qui se passait !

Wendy, le fameux medley Irresistible Bitch / Possessed, ces fantastiques parties de guitare rythmique, elle sont aussi de votre cru j’imagine ?
Wendy
Ça vient de moi, oui, de moi [elle insiste]. Quand je pense à la vitesse à laquelle je joue, ça me fait penser à du Fela Kuti, genre Zombie, cette fameuse intro, il y a une connexion, définitivement.

Photos : © PRN MusicCorp. – Nancy Bundt photographer

ACT II, WENDY MELVOIN ET LISA COLEMAN DANS MUZIQ EN 2009

Wendy, Lisa, vos pères, Mike Melvoin et Gary Coleman étaient des amis proches et des musiciens de studio très demandés depuis la fin des années 1960. Qu’avez-vous appris d’eux, musicalement et professionnellement ?
Lisa
J’ai appris ce qu’il en retournait d’être en studio. Mon père m’a emmenée à énormément de séances d’enregistrement, et j’ai donc pu voir, très jeune, comment ça se passait. J’ai assisté à des séances des Jackson 5, des Mamas And Papas, de musiques publicitaires (pour les chewing-gums Wrigley), et j’ai même vu Frank Zappa répéter au Hollyood Bowl ! Mon père est aussi un compositeur de musique électronique, et fut l’un des premiers musiciens de Los Angeles à acheter un Arp 2600 – c’est Tom Oberheim qui lui avait vendu, en 1972. Mais c’est ma mère, Mary Lou Ynda, qui m’a poussée à jouer en public la Symphonie Jupiter de Mozart quand j’avais à peine 8 ans, ce qui m’a faite rire et pleurer en même temps, et surtout ouvert le cœur.
Wendy Comme Lisa, mon père m’a aussi emmenée en studio quand j’étais petite. J’y ai vite appris les usages, à m’y sentir à l’aise. La lumière rouge n’a jamais été une angoisse. Le studio était juste une autre pièce. Je ne m’y suis jamais sentie intimidée. C’est le cadeau que nous faisaient nos pères. Mais là encore, c’est ma mère qui m’a poussée encore plus fort.

Wendy, comment avez-vous appris à jouer de la guitare ?
Quand j’avais 6 ans, j’écoutais mon frère jouer pendant ses cours de batterie, et quand il avait terminé, je me glissais dans la pièce et répétais la leçon, sans que personne ne s’en doute. Naturellement, il a fini par s’en rendre compte, et ça l’a énervé ! Le Noël suivant, mes parents m’ont acheté une guitare… Quand j’étais jeune, j’aimais tant de musiciens différents, et pas seulement les guitaristes. Mais s’il fallait absolument en citer un, je dirais John McLaughlin. À 10 ans, j’ai découvert “Birds Of Fire” du Mahavishnu Orchestra : HOLY SHIT !

Lisa, le piano et vous, ça a commencé comment ?
Dès que j’ai pu atteindre les touches, j’ai laissé courir mes doigts. Ma mère dit que j’ai écrit ma première chanson à 3 ans… Nous avions un piano à la maison, et quand mes parents ou leurs amis musiciens en jouaient, j’étais fascinée. J’essayais d’imiter ce qu’ils f aisaient. Évidemment j’étais frusrée parce que je n’arrivais pas à reproduire les mêmes sons. Puis, peu à peu, j’y suis arrivée, et mon cœur a chaviré. Tout ce que je voulais, c’était jouer du piano, sentir la vibration des notes à travers le bois.

On ressent particulièrement votre culture jazz et classique dans votre jeu. Et on dit que le père de Wendy a aussi été une influence…
Oui, c’est vrai, il m’appris plein de petits trucs, dès mon plus jeune âge. Nous, les gamins, jouions tous ensemble dans la maison et, souvent, il nous apprenait des morceaux, ou en écrivait même spécialement pour nous. J’ai appris beaucoup de choses grâce à lui. Il m’a même appris à lire et à écrire une partition. Et, plus que tout, l’écouter- jouer en étant assise à ses côtés a fait beaucoup de bien à mon petit cerveau spongieux …

Wendy, vous avez enregistré avec votre sœur Susannah quand vous étiez adolescentes…
Oui. Susannah et moi avons fait des petites musiques de pub, et quelques bêtises en tant que choristes à la fin des années 1970, à Los Angeles. On était jeunes et mignonnes, et les gens trouvaient ça amusant de faire travailler des jumelles du coin.

Vous avez, toutes les deux, débuté très jeunes dans le groupe de Prince. Lisa, vous étiez la première, en mai 1980. Que pensez-vous lui avoir apporté en tant que musicienne ? On dit que vous lui avez fait découvrir beaucoup de musique classique, qu’il ne connaissait que le Boléro de Ravel…
Lisa
C’est en partie vrai. Une nuit, il est effectivement venu avec un enregistrement du Boléro, il s’est assis avec nous et l’a écouté attentivement. Il a levé les yeux au ciel plusieurs fois, il était tout excité. Wendy et moi sourions – et on a même ri je crois. Mais on a fini par entrer ensemble dans la transe du morceau. Une autre fois, je lui ai fait écouter du Vaughan Williams, et il est devenu fou ! Idem avec les Concertos Brandebourgeois de Bach : j’avais fait une cassette pour passer dans le tour bus, et il m’a demandé une copie pour la jouer dans la salle avant les concerts. Je trouvais ça génial : Prince était toujours ouvert et curieux.

Vous vous souvenez de votre premier concert avec lui ?
Lisa
Oh oui ! Je me souviens de mon tout premier concert avec lui, en plein air, à Minneapolis. J’étais si nerveuse…Il m’a laissé prendre un solo, à ma grande surprise. Et c’était horrible ! Je me souviens aussi en avoir fait un peu trop sur certaines chansons, ce qui a poussé Prince à me glisser en aparté, après le concert : « Essaye donc de rester au plus près des morceaux … » Hum, sans doute étais-je un peu trop heureuse d’être là …

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Quand vous êtes devenue membre de The Revolution, Prince n’était pas encore tout à fait une superstar. Pensiez-vous qu’il allait devenir si grand ? Avez-vous été surprise par le succès phénoménal de “Purple Rain” ?
Lisa
C’était inimaginable que le groupe ait tant de succès. Quand j’ai débuté, nous voyagions en train et en bus. Puis vint le temps des limousines et des jets. Mais c’était moins une surprise qu’une expérience incroyable. On travaillait tant, la vie passait si vite – de plus en plus vite…

Wendy, en tant que guitariste, qu’avez-vous appris de lui et qu’a-t-il appris de vous ?
Wendy
Nous avons un groove très similaire, il y avait une véritable synergie entre nous quand nous jouions ensemble. Côté solos, rien à voir. J’ai aussi appris que moins, c’était plus. Ne pas surjouer ! Les espaces ! Trouver les espaces !

Où viviez-vous quand vous étiez dans son groupe ? À Minneapolis ?
Lisa
Oui. Ou aux alentours, dans des petits appartements, des hôtels, les maisons des membres de l’équipe, ou même avec Prince, dans sa maison de Kiowa Trail, qui devint plus tard la “Purple House”, qu’il a fini par donner à son père.

L’une des périodes les plus créatives de Prince fut celle où vous faisiez partie de son groupe. Quelle sorte d’influence aviez-vous sur les arrangements par exemple ? Changiez-vous parfois quelque chose dans ses chansons ?
Lisa
Prince s’est énormément reposé sur Wendy et moi quand sa vie est devenue trop remplie pour une seule personne. Il travaillait sur ses films, il écrivait et enregistrait pour ses autres groupes, The Time, Vanity et Apollonia 6, Madhouse, et bien d’autres artistes. Nous avions d’excellentes relations musicales, une véritable intimité stylistique, alors il nous laissait souvent finir les chansons, arranger, faire les overdubs, les chœurs et les arrangernents de cordes. Où que nous soyons, il nous envoyait des cassettes, on les retravaillait et on les lui renvoyait. C’était une vraie collaboration.
Wendy Je l’ai souvent dit par le passé, mais c’est la vérité : il y avait un immense respect mutuel de part et d’autre. On se piquait librement des idées. On lui autorisait une sorte d’accès libre à notre univers, et il faisait de même avec nous.

Les sensibilités jazz de sa musique à cette époque provenaient en grande partie de vous et d’Eric Leeds, non ?
Lisa
Encore une fois : on passait beaucoup de temps ensemble. On écoutait de la musique tout le temps. On le branchait sur les disques que l’on aimait. Miles Davis, Wayne Shorter, Bill Evans… Eric Leeds était aussi une énorme source d’énergie créative et d’inspiration pour nous tous. Pas seulement pour le jazz, mais aussi pour ses arrangements de cuivres très funky ! C’est un super soliste, il a le funk en lui.
Wendy Je dirais que même sa pop était jazz, vous voyez ? Il est venu avec son amour du jazz. Moi-même, j’ai des racines jazz : j’ai étudié avec l’un des plus grands guitaristes de jazz, Ted Greene. Mes accords étaient profonds et ouverts.

Prince était-il un “control freak” [un obsédé du contrôle] ou était-il ouvert à toutes les suggestions ?
Lisa
Les deux. Il avait – et a toujours – confiance en lui, donc il n’a pas peur des suggestions. Et rien de plus facile pour lui que de ne pas être d’accord… Il demandait toujours qu’on s’implique. Il insistait pour qu’on se “produise” nous-mêmes. Et cela avait vraiment du sens. Pour qu’un groupe fonctionne correctement, chaque membre doit bien comprendre son rôle pour que la chanson ou que le show soient réussis. On travaillait tout ça très dur aux répétitions. Wendy Le contrôle ? Oui. L’obsession ? Non. Une grande confiance. Il ne passait jamais beaucoup de temps à se remettre en question.

Pensez-vous retravailler un jour avec lui ? Le souhaitez-vous ? Cela a-t-il un sens pour vous ? A-t-il besoin de vous ?
Lisa
Ça me plairaît beaucoup. Je SAIS que ça serait très bon. Du sens ? Ce n’est pas la question. Est-ce que ça m’intéresse ? Oui, parce que c’est un vieil ami. Besoin de moi ? Non.
Wendy J’espère qu’on le fera ! J’adorerais produire un album entier de lui. Choisir le studio, l’ingénieur du son, mixer, l’aider à explorer les territoires inexplorés de sa maturité. A-t-il besoin de moi ? Non.

Lisa, quels sont les disques que vous emporteriez sur une île déserte ?
Un Dionne Warwick, un Chopin (les Concertos pour Piano n °1 et 2), un Paul Hindemith (Nobilissima Visione ou Mathis der Maler), un Stevie Wonder (“ »Songs ln The Key Of Life”), “The Hissing Of Summer Lawns” de Joni Mitchell.
Wendy ?
Les Nocturnes de Chopin (par Arthur Rubinstein), “Hejira” de Joni Mitchell, une anthologie de Sly & The Family Stone, une de Led Zeppelin. Et “One Nil” de Neil Finn.
Lisa, quel est votre meilleur “french souvenir” ?
Jean-Hughes Anglade… Yes, baby !
Wendy ?
Jean-Hughes Anglade. Hé hé…

Photo : © PRN MusicCorp. – Nancy Bundt photographer