“Originals”, qui sortira le 7 juin en digital et le 21 juin en CD (puis le 19 juillet en CD/LP Deluxe), contient quinze chansons de Prince offertes à d’autres artistes, mais qu’il avait d’abord pris soin d’enregistrer lui-même, la plupart du temps seul, entre Chanhassen, Eden Prairie, Los Angeles et Atlanta. L’envoyé spécial de muziq.fr les a écoutées hier dans un hôtel parisien de La Place de La Madeleine. Compte-rendu express, titre par titre, et en exclusivité, just 4 U. Spécial bonus en fin d’article : notre “Purple Coda” en hommage au Purple Yoda.
Précaution d’usage : une grande partie des chansons qui composent “Originals” circulaient déjà sous le manteau, et certaines depuis des lustres, dans des versions plus ou moins proches de celles du disque qui nous intéresse aujourd’hui. Ces versions bootleg, ou “pirates”, ne sont pas prises en compte dans le modeste compte-rendu qui suit. D’autres sites se chargeront bien mieux que muziq.fr d’en parler. Et maintenant, « I need you to get me off, I’m your bomb getting ready to explode »…
1. Sex Shooter
Où l’on se demande, histoire de râler un peu en préambule, si la Prince Version de cette friandise groovy-salace immortalisée par Appolonia 6 – mais destinée à l’origine à sa consœur Vanity 6 – était l’opening song idéale pour la nouvelle livraison du Prince Estate… Car étrangement, Sex Shooter par Prince, c’est plus sage que par l’ex-fiancée de David Lee Roth. Et le backing track est quasiment jumeau de celui de la version originale – N.B. : ne pas confondre, dans ce modeste article, les versions “Originals”, chantées par Prince, avec les version originales, créées par leurs heureux destinataires entre 1982 et 1991.
Version originale : Appolonia 6, “Appolonia 6”, Warner Bros. Records, 1984.
Version Prince enregistrée en avril 1983 au Kiowa Trail Home Studio de Chanhassen, MN.
2. Jungle Love
Aah, là, d’accord, le cri du bonobo en rut au début, c’est le cri primate, pardon, le cri primal façon Prince, qui chante ensuite avec un rien de retenue – mais un rien seulement hein… Se doutait-il déjà que cette petite jungle en folie funky-funny ne ferai jamais partie de sa propre discographie ? « You wanna make love or what ? » (Courez sur princevault.com pour en savoir plus sur la gestation de Jungle Love par The Time.)
Version originale : The Time, “Ice Cream Castles”, Warner Bros., 1984.
Version Prince enregistrée en mars 1983 au Sunset Sound de Los Angeles, avec Jesse Johnson à la guitare. Morris Day, Jesse Johnson et Jill Jones sont dans les chœurs.
3. Manic Monday
Prévue à l’origine pour Appolonia 6. Jill Jones et Brenda Bennett font les chœurs dans cette Prince Version, bijou pop écrit et composé par Prince, alias Christopher, l’un de ses nombreux pseudonymes. Pouvoir apprécier le groove princier à la batterie (c’est lui, aucun doute), la délicatesse de cette partie de piano, ces guitares en douces cascades et cette voix si émouvante, rien que pour ça, rien que pour tout ça, il faudra s’offrir “Originals” les ami.es. Personnellement, je ne pourrais plus, désormais, écouter la version des Bangles – sorry girls…
Version originale : The Bangles, “Different Light”, Columbia, 1985.
Version Prince enregistrée en février 1984 au Sunset Sound de Los Angeles.
4. Noon Rendez-Vous
Chef-d’œuvre ! Qui risque d’éclipser 4ever la version de Madame Sheila E. Séquence émotion : les premières mesures a cappella et comme en lévitation par Prince, sur tapis de beats électroniques vaporeux et de piano cristallin. Un truc à vous faire fondre sur place, vous transformer en boule de frissons king size. Prince en mode falsetto brisé tout du long : boîte de Kleenex à prévoir.
Version originale : Sheila E., “Sheila E. In The Glamorous Life”, Warner Bros., 1984
Version Prince enregistrée en février 1984 au Sunset Sound de Los Angeles.
5. Make Up
Encore un chef-d’œuvre ! On l’adorait déjà par Vanity 6, mais là, c’est encore plus saisissant de futurisme electro, funk, dark-wave, whatever. En 1981, Prince faisait déjà du Nine Inch Nails que Trent Reznor – grand fan – ne le savait même pas ! « Smoke a cigarette, I’m not ready yet » ? Ben nous, mon Prince, on a fini par se fumer le cerveau, cobayes volontaires implosés par ta bombe à fragmentation sonique de deux minutes et vingt-six secondes. On t’aime tu sais.
Version originale : Vanity 6, “Vanity 6”, Warner Bros., 1982.
Version Prince enregistrée à l’été 1981 au Kiowa Trail Home Studio de Chanhassen, MN.
6. 100 M.P.H.
Moui, bon, là, en revanche, cette Prince Version de petite cylindrée – et trop courte – ne nous fera pas oublier celle de Mazarati, qui sonnait déjà parfaitement comme du Prince. Next, please…
Version originale : Mazarati, “Mazarati”, Paisley Park, 1985.
Version Prince enregistrée en juin 1984 au Flying Cloud Drive Warehouse, Eden Prairie, MN.
7. You’re My Love
Prince en mode crooner pop, implorant, cajôlant, dans un registre pour le moins inhabituel. (Mais arrêtez de rire, vous allez finir comme les hyènes de Qui veut la peau de Roger Rabbit !) Kenny Rogers enregistrera You’re My Love quatre ans après que Prince l’ait couchée sur bande. Prince ne comptait certainement pas la garder pour lui – quoique, comment vraiment savoir ? Le pont est très joli, qui préfigure un peu celui de The Most Beautiful In The World, votre ballade préférée de Prince. Parfois, l’ombre de Money Don’t Matter 2Nite plane sur cette chanson qui, c’est certain, vous laissera pantois. D’admiration ? Voire…
Version originale : Kenny Rogers, “They Don’ Make Them Like They Used To”, RCA, 1986.
Version Prince enregistrée en mars 1982 au Kiowa Trail Home Studio de Chanhassen, MN.
8. Holly Rock
Comme c’est amusant d’entendre Prince chanter « Sheila E. is my name » ! Musicalement, cette Prince Version nous semble supérieure à celle de Sheila E., mais on est en droit de préférer la façon dont la sublime percussionniste l’interprète dans la BO de Krush Groove, où l’on retrouvait aussi Chaka Khan, LL Cool J, Kurtis Blow, Debbie Harry, Gap Band et les Beastie Boys, excusez du peu. Bref, nous sommes partagés, mais pour la bonne cause : les écouter l’une à la suite de l’autre (et inversement) procurera deux fois plus de plaisir. « Now, dixit Prince, try to dance to that. »
Version originale :“Krush Groove – Music From The Original Motion Picture Sound Track”, Warner Bros., 1985.
Version Prince enregistrée en avril 1985 au Sunset Sound de Los Angeles.
9. Baby, You’re A Trip
Ben oui, Prince chante magnifiquement – pas vrai Alexis ? [Alexis Tain, auteur de Prince, le cygne noir, mon voisin de droite, aussi ému que moi, NDR.] Ce falsetto, ces soupirs, ces râles, ces cris de bébé… C’est comme ça qu’on l’aime le petit, unique en ses genres, habité, possédé. Et cette partie de basse électrique mes ami.e.s ! Baby, You’re A Trip, c’était l’une des nombreuses perles offertes par Prince à sa copine Jill Jones pour son album Paisley Park, l’un des meilleurs jamais produits et supervisés par Sa Majesté. Je vous entends déjà : fait-il aussi la fameuse coda a cappella ? « Yes sir ! »* (* Robert Dalban Mix.)
Version originale : Jill Jones, “Jill Jones”, Paisley Park, 1987.
Version Prince enregistrée en juillet 1982 au Sunset Sound, Los Angeles.
10. The Glamorous Life
Même (joyeux) problème que pour Holly Rock (lire plus haut). La perf’ vocale so sexy de Madame E. nous a tous tellement marqués que nous voilà troublés. Reste que ces licks de synthés nous enchantent, tout comme ce sax toujours aussi bouillant (Larry Williams), plus, même, que le chant princier – qui, là encore, savait forcément que The Glamourous Life était pour sa protégée, et personne d’autre. « Bon, alors voilà Sheila, écoute bien cette belle maquette, c’est exactement comme ça qu’il faut chanter, o.k. ? Si tu donnes le meilleur de toi-même au micro, si tu te surpasses, ce sera génial. Pour ne pas te mettre trop la pression, je ne me suis pas donné à fond tu vois, pour que le modèle à suivre reste à ta portée… – O.k. darling… Sinon ça va les chevilles, pas trop serrées dans tes bottines ? » (Dialogue imaginaire.)
Version originale : Sheila E., “Sheila E. In The Glamorous Life”, Warner Bros., 1984.
Version Prince enregistrée en décembre 1983 au Sunset Sound de Los Angeles. David Coleman au violoncelle.
11. Gigolos Get Lonely Too
C’est drôle, les échos du célébrissime riff du single culte Thank You de Sly & The Family Stone sont encore plus évidents dans cette Prince Version… Déjà marqué par une forte présence princière – les chœurs ! – dans la version 1982 de The Time, Gigolos Get Lonely Too façon Prince est un rien moins nasty-coquin qu’à la (Chili) sauce Morris Day. Un peu plus de soul, voire de mélancolie… Mais, mais… Mais oui, c’est bien Morris dans les chœurs ! (Et même à la batterie.)
Version originale : The Time, “What Time Is It ?”, Warner Bros. 1982.
Version Prince enregistrée en janvier 1982 au Sunset Sound de Los Angeles.
12. Love… Thy Will Be Done
L’“emprunt” à peine déguisé au Fifty-Fifty Clown de Cocteau Twins est encore plus évident que dans la version de Martika. Encore une fois, plus d’émotion – enfin, disons, une autre forme d’émotion – dans la Prince Version que dans celle de Martika (superbe au demeurant, et que l’on écoutait en boucle à l’aube des années 1990). Love… Thy Will Be Done, splendeur gospel-pop diaphane, nous rappelle à quel point le génie princier était une bénédiction pour les voix féminines. Aux complétistes, on signalera la présence de l’étonnant Prince Mix de Love… Thy Will Be Done, disponible dans la “Reheated Edition” de “Martika’s Ktichen” publiée en 2017 par Cherry Pop.
Version originale : Martika, “Martika’s Kitchen”, Columbia, 1991.
Version Prince enregistrée en janvier 1991 à Paisley Park, Chanhassen, MN.
13. Dear Michelangelo
Qui gagne ? Dear Michelangelo par Sheila E. ou Dear Michelangelo par Prince ? Les deux mon capitaine ! Dans tous les cas, une leçon de funk baroque et barré, étrange et sombre, furieusement princier. Tiens, en réécoutant la Prince Version de Dear Michelangelo, je redécouvre ce super solo de guitare, qui me rappelle celui de la seconde partie de la géniale version longue de Scandalous (The Rapture, dans The Scandalous Sex Suite). Quant à Eddie Mininfield, il se déchaîne au saxophone alto, au point qu’on se demande parfois si on n’est pas en train d’écouter le Prime Time d’Ornette Coleman…
Version originale : Sheila E., “Sheila E. In Romance 1600”, Warner Bros., 1985.
Version Prince enregistrée en janvier 1985 à Mastersound, Atlanta.
14. Wouldn’t You Love To Love Me ?
O.k., le son est moyen… Wouldn’t You Love To Love Me ? figurait-elle sur l’une des cassettes par milliers amassées dans The Vault ? La longue histoire de cette chanson offerte à Michael Jackson – qui n’en fit rien, l’ingrat – est à découvrir sur princevault.com. Cette version du tout début des années 1980 avait tous les atouts pour squatter les dance floors. Prince préféra la remiser par devers lui pour, in fine, l’offrir à Taja Sevelle – quand il était amoureux, Prince n’offrait pas des fleurs, mais des chansons.
Version originale : Taja Sevelle, “Taja Sevelle”, Paisley Park, 1987.
Version Prince enregistrée en juin 1981 au Sound Recorders de Los Angeles.
15. Nothing Compares 2 U
Bon, celle-là, vous la connaissez, votre 45-tours collector du Disquaire Day de l’an dernier est déjà rayé, non ? Aaaah, cette intro clin-d’œil à I Am The Walrus des Beatles, dans la légende princière direct ! Le G.C.O.C.P. (Grand Catalogue Officiel des Chansons de Prince) compte désormais trois versions de cette merveille presque aussi souvent reprise que Purple Rain depuis l’horrible 21. Laquelle est votre préférée ? Celle-là ? Comme nous !
Version originale : The Family, “The Family”, Paisley Park, 1985.
Version Prince enregistrée en juillet 1984 au Flying Cloud Drive Warehouse, Eden Prairie, MN.
CD/LP Prince, “Originals”, le 7 juin sur Tidal, le 21 juin en CD et sur les autres plateformes de téléchargement, le 19 juillet en édition Deluxe avec vinyles.
A SUIVRE Sur funku.fr et muziq.fr, des interviews surprises à découvrir très bientôt. Stay tuned.
PURPLE CODA
En guise de conclusion (forcément) temporaire, on se permettra de souffler au Prince Estate quelques épatantes idées – c’est cadeau, ça fait plaisir – pour leurs prochaines parutions CD et vinyle, sans leur faire l’injure de réclamer pour la énième fois les albums inédits dont on sait qu’ils existent (nos amis de schkopi.com en ont souvent parlé) et, of course, des CD et des DVD de concerts et/ou d’after-shows légendaires – au fait, quid du First Avenue 83 ? Soyons donc le plus imaginatif possible :
• Il va sans dire qu’il serait extrêmement fastidieux de passer en revue toutes les éditions “Deluxe” que l’on rêve de voir fleurir sur les facings des disquaires, de “Sign Of The Times” à “1999” (hello Pierre J.) en passant par “The Gold Experience”, “Dirty Mind” (oh oui !) ou “New Power Soul” (comment ça, « Ah non ! Pas “New Power Soul”… »). On se gardera donc bien de le faire.
• Un “Originals II” s’impose. Martika’s Kitchen de Martika, Yo Mister de Patti LaBelle, Eternity de Sheena Easton, G Spot de Jill Jones, Sticky Wicked de Chaka Khan, U de Paula Abdul, Baby Go-Go de Nona Hendryx, sans oublier With This Tear de Céline Dion : les diamants et les perles rares ne manquent pas.
• “The Alternate Prince : Around The Other World[s] In A Day”. Avec les versions différentes des grands classiques et des trésors oubliés, genre When Doves Cry avec la ligne de basse, I Wonder U avec les cordes de Clare Fischer, Soft And Wet millésime 1977, etc., etc.
• “America : The Best Of The Extended Mixes”, en triple CD bien sûr (voire quadruple), avec entre autres la Long Version de Sexy Dancer, l’Extended Version de Pop Life, celle de Shockadelica aussi, sans oublier l’hallucinante version so loooooongue d’America – 21’46” !
• “Love Like Jazz : The Instrumental Gems”. Avec les deux premiers et le troisième (inédit) de Madhouse, Junk Music, “N.E.W.S”, la séance de 1979 avec Bobby Z. et André Cymone… Un must pour les real music lovers amateurs de jazz-funk frappé du sceau du groove princier.
• “Can I Play With U : Prince & Miles Davis”. Toutes les versions de Can I Play With U ?, l’intru Miles Is Not Dead, les instrus de Prince offerts à Miles mais jamais (?) enregistrés par icelui et, qui sait, des merveilles inédites… Avec, en bonus, le DVD du concert de décembre 1987 featuring The Prince Of Darkness à la trompette.
Photo d’ouverture : Prince au Paradiso Club d’Amsterdam le 29 mai 1981, © Virginia Turbett (Warner Music). Photo ci-dessus : © Virginia Turbett (Warner Music).