Dans “On Time, A Princely Life In Funk”, son autobiographie coécrite avec David Ritz, Morris Day dialogue avec un Prince plus vrai que nature revenu d’entre les morts. Un livre drôle et émouvant dont la lecture s’impose à tous les fans du grand disparu du 21 avril 2016.
Si Morris Day n’esquive pas dans On Time, A Princely Life In Funk les zones d’ombre de sa longue, joyeuse et tumulteuse histoire d’amour avec Prince – car il s’agit bien d’amour, d’amour confraternel, de brotherly love comme on dit là-bas –, il ne tergiverse pas quand il s’agit de résumer en quelques mots son ami disparu, qu’il qualifie volontiers de « possessed genius », génie possédé vingt-quatre heures sur vingt-quatre par ses rêves de musique, déterminé à tous les réaliser, no matter what, quitte à tout donner, et à tout prendre, sans toujours rendre, à sa garde rapprochée de serviteurs du funk.
« Prince » est le premier mot de On Time, A Princely Life In Funk, un titre qui en dit long sur la vie color purple de son auteur qui, s’il n’avait jamais rencontré celui dont il « entend toujours la voix dans sa tête » serait sans doute, à l’heure qu’il est – what time is it ?! – un bon batteur local au c.v. comprenant moult groupes funk et autres combos jazz-rock. Car avant que sa vie ne change 4ever au contact de Prince, le jeune Morris Day avait, dit-il, travaillé son instrument fétiche tel le héros de Whiplash, à l’ombre de ses drums heroes : les batteurs de James Brown, David Garibaldi de Tower Of Power, Art Blakey et ses Jazz Messengers, Sonny Payne (du big band de Count Basie), Billy Cobham, Tony Williams, etc. etc. Bref, avant de devenir l’inénarrable lead singer de The Time, notre homme savait parfaitement la valeur du time, et surtout du premier, que les connaisseurs aiment à nommer The One, beat fondateur sans quoi l’idée même de funk serait inconcevable.
Morris Day n’aurait évidemment jamais publié On Time, A Princely Life In Funk si son modèle taille patron, son big boss à l’humeur si versatile n’était pas resté coincé dans l’ascenceur ce sinistre matin du 21 avril 2016. Il n’en profite cependant pas pour régler ses comptes. Tout juste remet-il les pendules à l’heure – what time is it ?! –, rappelant par exemple que c’est bien lui qui joue de la batterie sur… (on vous laisse découvrir les chansons en question), ou que sans lui, et quelques “ex” notoires de Grand Central, le funk band du cru dans lequel Prince fit ses premières armes, The Time n’aurait certainement pas placé la barre du groove contagieux aussi haut et, dès ses débuts, déchaîné les foules sur scène. Au point de vite faire l’ombre à leur créateur – sur disque, The Time, comme chacun sait, c’était Prince/Jamie Starr à 90 %. Mais sur scène, Morris, son hilarant valet miroitier Jerome Benton et les redoutables funksters qu’on sait (Jesse Jonhson, Jimmy Jam, Terry Lewis et Jellybean Johnson) se débrouillaient comme des grands, et servaient non sans flamboyance la cause de The One. Seulement voilà, quand on est 2 good sur scène et que l’on est qu’un side project – certes génial – du boss, on finit pas se prendre des œufs pourris sur la tronche ! (Lire page…)
Dans On Time, A Princely Life In Funk, il n’y a pas à proprement parler de révélations – quoique –, mais beaucoup d’anecdotes qui en disent long sur la personnalité larger than life de Prince, de ses mitaines en laine rose à ses plans de guitare à vous faire tomber la culotte (« panty-dropping licks » : Morris a le sens de la métaphore funky) en passant par ces démos de Grand Central qu’il aurait utilisées pour obtenir son deal d’artiste solo avec Warner Brothers en 1977… Ce qu’on aime aussi, dans ce livre remarquablement (co)écrit à quatre mains avec l’expérimenté David Ritz, c’est l’abondance de références musicales :
– Imaginez un peu, la première audition, pour remplacer Charles “Chazz” Smith dans Grand Central, Morris qui aligne en souplesse en sans ciller ses grooves millimétrés sur Dance To The Music de Sly & The Family Stone, Evil Ways de Santana, Free Your Mind And Your Ass Will Follow de Funkadelic ;
– Imaginez un peu, Prince et Morris Day en train d’écouter fiévreusement des vinyles de Frank Zappa…
– Imaginez un peu, Prince frappant à la porte de Morris Day pour qu’il lui prête son tape recorder au beau milieu de la nuit…
– Imaginez un peu, les concerts avec Grand Central, Prince en pantalon patte d’éph’ interprétant Shining Star d’Earth, Wind & Fire, Fight The Power des Isley Brothers, Love Ballad de LTD, Ffun de Con Funk Shun…
– Imaginez un peu, le tournage de Purple Rain, Hollywood qui arrive à Minneapolis, les réveils à l’aube – what time is it ?! –, les leçons de comédie, la drogue, les filles…
La belle trouvaille narrative de On Time, A Princely Life In Funk, c’est donc la présence troublante de Prince à chaque page, ou presque (celles où il n’apparaît pas, on doit avouer que…). Car Prince, ou du moins le fantôme de Prince n’arrête pas de relancer, de titiller, de remettre en place, de taquiner, de sermonner voire d’allumer (gentiment) le narrateur, Morris Day, qui instaure avec lui un dialogue souvent drôle, voire touchant, et même, parfois, si, si, émouvant – préparez-vous à avoir la gorge serrée quand approche la date fatidique évoquée plus haut.
Pas sûr que ce principe littéraire (mettre dans la bouche du Grand Disparu des mots qu’il n’a jamais prononcés) ne plaise au Prince Estate, mais il faut avouer qu’à la lecture, le plaisir est grand. On saluera aussi l’humilité de Morris Day, qui fait somme toute passer sa propre vie au second plan, sans pour autant en négliger les épisodes révélateurs et marquants, bien conscient que celles et ceux qui vont lire son livre vont le faire pour en savoir plus sur… (Devinez qui.)
Dans The Beautiful Ones, Mémoires inachevées de Prince [ATTENTION SPOILER], on se retrouve quelques minutes durant entre Prince et Dan Piepenbring, backstage, tandis que The Time fait son grand comeback live à Paisley Park, début 2016 (après neuf ans de fâcherie). Ce concert, Morris Day l’évoque lui-même avec beaucoup d’émotion dans les dernières pages de On Time, A Princely Life In Funk, quand son frère qui ne dormait jamais, qui avait peur des drogues et qui l’avait fait plus d’une fois tourner en bourique finit par lâcher, comme s’il savait, comme s’il sentait que (devinez quoi), un « I love U brother » qui hantera pour toujours son destinataire : Morris Day mesdames messieurs, l’indispensable alter ego ultra-funky de la galaxie Prince. We love U 2, Morris.
LIVRE Morris Day with David Ritz : On Time, A Princely Life In Funk (éd. Da Capo, 222 pages).
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