Quelques jours seulement après Junie Morrison et Clyde Stubblefield, l’hécatombe continue, et l’on pleure encore le départ d’un citoyen d’honneur de la Planète Musique. Cette fois, il faut se résoudre à dire adieu à l’un des plus bouillonnants pionniers du jazz en fusion, Larry Coryell, qui s’est éteint le 19 février à 73 ans.
« Larry Coryell a révolutionné la guitare jazz de nombreuses façons, en montrant que vous n’aviez pas à jouer comme Barney Kessel ou Jim Hall, qu’il y avait d’autres manières de faire. Larry a eu des hauts et des bas dans sa carrière et dans sa vie personnelle, mais j’ai beaucoup d’admiration pour lui. » Gary Burton
Larry Coryell, je l’ai rencontré deux fois. La première au festival d’Antibes Juan-Les-Pins, au début des années 1990. Sa gentillesse et son sens de l’auto-dérision m’avaient surpris : « Naaa, je ne sais plus jouer maintenant, mon fils est bien meilleur que moi aujourd’hui ! » (Tsss…) La seconde le jour où j’interviewais le toujours souriant et enthousiaste Mike Stern qui, après avoir devisé deux heures durant avec votre humble serviteur, était allé saluer Coryell dans sa chambre d’hôtel – heureux hasards des tournées, ils étaient tous les deux à Paris ce jour-là… Les voir se saluer chaleureusement (genre « Hey maaan, how are you doin’ maaan ? Cool to see you maaan… ») et Stern essayer l’une des guitares de Coryell (levant les yeux aux ciel tel un grand frère amusé) avait quelque chose de très touchant – n’est-ce pas Yazid ?
On ne va pas se mentir : passé les glorieuses seventies, on a commencé à avoir un peu de mal à suivre les pérégrinations discographiques de Larry Coryell. En revanche, du milieu des sixties à la fin des seventies, il y a beaucoup de raisons de s’enthousiasmer et disques à (ré)écouter amoureusement. “The Dealer” de Chico Hamilton d’abord, sous-titré, rien que ça, “Introducing Larry Coryell” : mazette, le solo que notre jeune Texan (22 ans) prend dans le morceau-titre, une merveille ! “Memphis Underground” de Herbie Mann, 1968, avec Sonny Sharrock et Roy Ayers. Ses disques avec Gary Burton, bien sûr, novateurs et indispensables : “Duster” et “Lofty Fake Anagram”, 1967, “A Genuine Tong Funeral”, “In Concert”, 1968.
Ses premiers opus persos ensuite : “Lady Coryell”, 1968, avec Treats Style et Stiff Neck, et Elvin Jones derrière les fûts ; “Coryell”, 1969, avec le punchy Sex, et Ron Carter à la contrebasse ; le fameux “Spaces” avec, excusez du peu, John McLaughlin, Chick Corea, Miroslav Vitous et Billy Cobham – le délicieux Rene’s Theme, le flamboyant Spaces (Infinite)…
Et ceux de son combo jazz-rock évidemment, The Eleventh House, arrivé en plein milieu de la bataille, en 1974, tandis que Weather Report, Return To Forever et le Mahavishnu Orchestra régnaient déjà suprême (mais qu’importe) : “Introducing Eleventh House With Larry Coryell”, 1974 (première mouture, avec Randy Brecker à la trompette, et Alphonse Mouzon à la batterie, qui lui aussi nous a récemment quittés), “Level One”, 1975 (avec son ami et grand admirateur Steve Khan en guest), “At Montreux” (sorti en 1978 mais enregistré en 1974).
Sans oublier ses duos et ses trios avec ses chers confrères : “Twin-House”, 1977 (produit par Siggi Loch pour Atlantic), avec Philip Catherine, “Two For The Road”, 1977 aussi, avec Steve Khan, et “Tributaries”, 1979, avec John Scofield et Joe Beck.
So long mister Coryell… En écrivant au petit matin ces quelques lignes, je réécoute vos disques. Tiens, là, c’est Joyride, une composition du claviériste de l’Eleventh House, Mike Mandel. Vers la fin, après votre ébouriffant solo, vous citez Third Stone From The Sun de Jimi Hendrix. Quarante-sept ans qu’il vous attendait celui-là pour jammer sur le blues ! Ne soyez pas trop modeste mister Coryell, sortez votre six-cordes de son étui, et embras(s)ez le ciel avec lui ! •
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